Le temps où Donald Trump célébrait Elon Musk juste après sa réélection à la présidence des États-Unis (« Nous avons une nouvelle star, une étoile est née : Elon. C’est un gars incroyable », disait-il de lui, après son retour réussi à la Maison-Blanche) semble bel et bien révolu. L’idylle politique entre les deux hommes a soudainement volé en éclat, dans la journée du 5 juin.
En quelques heures, les deux hommes se sont mutuellement lancé des piques par réseau social interposé, et chacun sur celui qu’il possède : Elon Musk sur X et Donald Trump sur Truth Social. Mais c’est d’Elon Musk que les charges les plus virulentes ont émergé, jusqu’à laisser entendre que le Républicain est lié à de la pédophilie.
La crise épique que traverse la relation Musk-Trump apparaît alimentée par la frustration du premier à plusieurs niveaux. L’échec de son plan visant à réduire efficacement les dépenses publiques aux USA (DOGE), l’invalidation de ses candidats (comme Jared Isaacman à la tête de la NASA), sa mise à l’écart du pouvoir et, enfin, la One Big Beautiful Bill, qui fait l’inverse du DOGE.

Les attaques de Musk contre cette loi ont d’ailleurs poussé Trump à suggérer une piste d’économie : couper le robinet de l’argent public à SpaceX. « Le moyen le plus simple d’économiser des milliards de dollars dans notre budget est de mettre fin aux subventions et aux contrats gouvernementaux d’Elon Musk. J’ai toujours été surpris que Biden ne le fasse pas ! », a-t-il lâché.
Une remarque qui a fait un peu plus dégoupiller le patron de SpaceX. « À la lumière de la déclaration du président concernant l’annulation de mes contrats avec le gouvernement, SpaceX commencera immédiatement à mettre hors service son vaisseau spatial Dragon », a-t-il répliqué sur X, en citant le message de Trump.

Au-delà de la querelle invraisemblable entre deux des personnes les plus puissantes et les plus clivantes du monde (ce n’est pas la première fois qu’ils s’embrouillent, mais la virulence des propos est inédite), la question se pose de savoir quelles pourraient être les conséquences pratiques d’une rupture entre SpaceX et le gouvernement américain.
Il est difficile de déterminer si cette soudaine poussée de fièvre ne sera que passagère ou si elle marque une rupture définitive entre Musk et Trump. Il est toutefois possible d’imaginer les effets assez lourds qu’une rupture nette des deals avec Washington pourraient avoir sur la politique spatiale du pays, mais également en matière de défense.
Avenir très contrarié pour l’ISS


Première victime potentielle évidente : la Station spatiale internationale (ISS). SpaceX est un maillon essentiel pour opérer cette base. La société effectue des rotations régulières avec ses capsules Dragon, pour la ravitailler (vivres, équipements et matériels scientifiques) et pour acheminer des astronautes, à l’aller comme au retour.
Évidemment, SpaceX n’est pas le seul contractant pour ces tâches, mais les alternatives ne sont pas toujours prêtes (l’affaire Starliner de Boeing l’a montré), n’ont pas une disponibilité ou une cadence équivalente, et ne sont pas à l’abris de soucis ponctuels (on l’avait vu lors d’un raté avec le Soyouz et dernièrement avec un pépin sur le Cygnus).

SpaceX a permis ainsi d’apporter une meilleure redondance pour du fret vers l’ISS et à permettre à l’Amérique de moins dépendre de Moscou pour le transport d’équipage. Une rupture des accords perturberait significativement le planning à venir de la station, même si une partie des tâches pourrait être redistribuée à des tiers.
Cela pose aussi la question du désorbitage de l’ISS, car l’entreprise s’est vue confier la tâche de pousser la station vers la Terre, le jour où il faudra en finir (cela doit se faire aux alentours de 2030, sauf hypothétique prolongement). Or, on ne précipite pas une superstructure de 400 tonnes — la plus grande à ce jour dans l’espace — n’importe comment.
Lancements de la NASA, déraillement du programme Artémis ?
Pour comprendre à quel point SpaceX est devenu indispensable à la NASA, il faut aussi se rendre que cela pourrait mettre un terme aux lancements de satellites pour la NASA — certes, il existe des alternatives, comme l’United Launch Alliance, aux USA, ou bien Arianespace, en Europe. Ces prestataires n’ont cependant pas le rythme d’un SpaceX pour lancer vite.
Des répercussions néfastes sont également à craindre pour le programme Artémis, Là encore, SpaceX occupe un rôle central, que ce soit pour aider à l’assemblage de la station lunaire et faire le taxi entre elle et le sol lunaire. Il y a certes Blue Origin qui a décroché un contrat similaire, mais le groupe de Jeff Bezos (Amazon) n’est pas aussi avancé que SpaceX.

Or, le facteur temps est une donnée importante pour l’Amérique. Artémis consiste à renvoyer des missions habitées américaines sur la Lune, plus de cinquante ans après Apollo, Il s’avère que la Chine aimerait aussi lancer un vol habité sur la Lune et, de fait, une course informelle se joue entre les deux superpuissances.
Même si l’Amérique est déjà allée sur la Lune et n’a plus rien à prouver, car le pays est à jamais le premier à l’avoir fait, il y a inévitablement des enjeux d’image et de prestige qui jouent — et c’est aussi une source de motivation d’avoir un compétiteur stratégique qui vise le même but, comme au temps de la guerre froide avec l’URSS. SpaceX est ici assez indispensable.
Des menaces pour la défense américaine ?
Outre les dégâts que pourraient causer un divorce dur entre Washington et SpaceX dans le spatial civil, des dégradations du côté de la défense doivent aussi être envisagés. On pense au projet Starshield, qui consiste à être un doublon militarisé et exclusif du réseau Starlink, déployé au profit de l’armée et du gouvernement pour la communication via l’espace.
Par ailleurs, Starlink fournit des liaisons pour les militaires américains. Enfin, SpaceX est l’un des prestataires permettant au renseignement américain de déployer des satellites top secret pour espionner le reste du monde. Certes, l’United Launch Alliance peut aussi procéder à de tels vols, mais là encore, la fiabilité et la cadence de SpaceX jouent en sa faveur.
Le Dôme d’Or, ou Golden Dome pourrait aussi en pâtir. Il s’agit, pour rappel, d’un projet de bouclier antimissile devant protéger l’Amérique de tout type de tir visant son territoire. Le projet est pharaonique, onéreux, complexe et très loin d’être complété. SpaceX n’est évidemment pas le seul à participer, mais il devait occuper une place significative.
Il reste également à voir dans quelle mesure une cassure entre Elon Musk et Donald Trump pourrait affecter l’Ukraine, dans la mesure où son armée se repose en grande partie sur le réseau Starlink. La question du financement de ce matériel et de son fonctionnement a causé par le passé des tensions, Elon Musk ne voulant pas prendre à sa charge ces frais.
L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), une structure rattachée au département d’État, a participé à des financements et c’est pour cette raison qu’il peut y avoir certaines craintes sur ce sujet — bien que d’autres financements occidentaux ont fini par émerger, notamment du côté européen, pour prendre le relai.

Et un immense trou dans les finances de SpaceX ?
Tous ces accords avec la NASA et la défense américaine sont par ailleurs autant de contrats juteux pour SpaceX. Leur remise en question pourrait signifier aussi un trou d’air dans les finances de l’entreprise, ce qui pourrait, par ricochet, également affecter les projets du groupe — notamment dans le développement de sa fusée Starship.
Même si les contrats gouvernementaux ne représentent pas l’unique source de financement du groupe, ils en constituent une bonne partie. SpaceX peut néanmoins heureusement aussi compter sur des prestations de lancement de satellites pour d’autres clients, américains ou non, et par ailleurs sur une base croissante de clients désirant utiliser Starlink comme opérateur.
Ironie du sort : l’explosion en plein vol du tandem Trump-Musk survient à peine deux jours après un point de Musk sur les revenus commerciaux de SpaceX. Il indiquait que ceux-ci dépasseront l’ensemble du budget de la NASA en 2026 (ils atteignent 15,5 milliards cette année). Or, cela pourrait aussi voler en éclat si la crise va jusqu’à son terme.
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