[Témoignage] Justine est « dating assistante » : elle incarne des hommes sur les sites de rencontre pour leur décrocher des rendez-vous galants et les accompagne dans l’ombre jusqu’à ce qu’ils rompent leur solitude. Elle raconte comment ce surprenant travail s’articule… et tout ce qu’elle y a appris.

Dans ma vie professionnelle, je suis passée de la lumière à l’ombre. J’ai d’abord fait une école de théâtre et je suis devenue comédienne pour la télévision, le cinéma et au théâtre. Au bout de 10 ans, j’ai décidé de bifurquer en devenant également formatrice en prise de parole. J’ai conçu mes propres programmes — basés sur des jeux de comédiens — autour de la communication à l’oral. Savoir s’exprimer, créer du lien, mais aussi se mettre en avant et se vendre : j’accompagne depuis des professionnels en entreprise ou encore dans des médias.

Pour faire valoir cette casquette, j’ai décidé de passer un diplôme de coach professionnel reconnu par l’État en 2023, un diplôme que j’ai souhaité rentabiliser. J’ai interrogé Google pour trouver des missions, et je suis tombée sur une annonce pour le moins singulière : une agence de rencontre en ligne cherchait de nouveaux « dating assistants », des prête-plumes et coachs aidant les gens à trouver l’amour sur les sites et applications. Ça tombait bien : il me semblait que j’avais un don en matière de séduction.

Certains l’ont pour le marketing ou la pâtisserie, moi je suis comme née avec les codes de la drague ! J’ai toujours été celle qui conseille, qui guide son entourage en amour. En tant que comédienne, je sais aussi me mettre en valeur, être dans cette forme de séduction nécessaire pour convaincre dans des rôles. C’est un métier pour lequel il faut vouloir être regardée ; il m’a semblé intéressant d’accompagner des personnes dans cette quête de se plaire à soi-même pour pouvoir plaire aux autres.

L’évidence était partagée : j’ai été recrutée et formée à mon nouveau métier.

Dating assistant, un service comme un autre ?

Les assistants de rencontre gèrent les profils de leurs clients sur les applications et écrivent en leur nom à des personnes. Leur objectif : organiser des rendez-vous pour les clients occupés et/ou bloqués qui cherchent à trouver leur âme sœur.

On commence par une longue interview pour apprendre à connaître notre client. Tout y passe, de l’alimentation aux goûts musicaux. Pour l’incarner, nous devons maîtriser sa personnalité et son quotidien. Surtout, nous devons comprendre quelle femme il recherche. Car l’agence est essentiellement contactée par des hommes — hétérosexuels — de tous âges, plus occasionnellement par des femmes : elles semblent moins souffrir de leur célibat, et se font facilement aborder sur les applications. 

Certains clients manquent surtout de temps : ils souhaitent déléguer la recherche et la sélection de profils leur correspondant. C’était le cas de mon tout premier client, un jeune Suisse. Il recevait énormément de demandes et avait du mal à s’y retrouver. Voulant se marier et fonder une famille, il m’a chargée de lui organiser des rendez-vous avec des jeunes femmes partageant cette vision et correspondant à ses codes. Autrement dit, il sollicitait en quelque sorte un service de marieuse : je devais lui fournir la perle rare. 

L’investissement dépend du forfait choisi par le client, mais je passe généralement 1 à 2 heures par jour, le matin et le soir, à discuter avec des femmes pour une cinquantaine de messages quotidiens envoyés en moyenne. Je me limite à un maximum de 3 plateformes de rencontre, choisies avec le client suivant son profil.

Nous choisissons des applis et sites adaptés à l'âge du client. // Source : Photo de cottonbro studio/Pexels.
Un « dating assistant » choisit des applications et sites adaptés à l’âge de son client. // Source : Photo de cottonbro studio/Pexels

Je fais valider les profils que je contacte au client avant d’être trop avancée dans les échanges — même si je les sélectionne avec autant de précision que possible. Abandonner une discussion avec une personne qui me semblait parfaite pour mon client n’est pas évident, mais c’est le contrat : je dois repartir à zéro jusqu’à ce que je vise juste. Quand mon client refuse un profil, je prétexte auprès de mon interlocutrice qu’elle habite trop loin ou que j’ai peur des chiens.

Pas question, de toute façon, de trop faire durer les discussions : l’objectif est de décrocher un rendez-vous. Cela permet aussi d’éliminer les brouteurs et les personnes qui ne cherchent pas de relation longue. 

Dès mon premier client, la discussion et l’organisation de rendez-vous m’ont semblé naturelles, peut-être parce que j’avais l’habitude de jouer des rôles. Je me sentais à l’aise. Sans difficulté particulière, je lui ai programmé des rencontres avec trois jeunes femmes différentes. Cela a dû être probant : il ne m’a pas recontactée après sa semaine de rendez-vous.

Ce premier cas de figure, comme je l’ai ensuite mesuré, est rare : la clientèle se compose essentiellement de célibataires de longue durée, d’hommes qui sont dans des professions très masculines et/ou que le divorce a isolés. Ce sont majoritairement des personnes seules, qui ne sortent pas ou plus dans des lieux où ils pourraient faire des rencontres et pour qui les applications n’ont rien donné. Souvent, donc, ils n’ont pas les codes de la séduction. Se contenter de leur obtenir des rendez-vous n’aurait ainsi pas de sens ; ils ne sauraient pas comment les réussir.

Être prête-plume et coach à la fois

L’accompagnement commence avant les discussions en ligne. Je fais partie des « dating assistantes » qui relookent les clients et refont leurs photos de profil pour les mettre en valeur. Des tenues flatteuses et des clichés naturels, qui ont l’air d’avoir été pris par des amis, favorisent déjà les conversations et donc les rencontres. Les clients en ont besoin : ils ont généralement la double problématique de ne pas savoir se mettre en valeur, ni de savoir comment communiquer avec des femmes dans un contexte de séduction.

L’un des hommes qui m’a marquée a résisté : il refusait le relooking et la séance photo alors qu’il me semblait évident qu’ils lui seraient bénéfiques. C’était un agriculteur qui râlait en assurant que ça ne servirait à rien. À force d’insister, il a fini par céder. Son nouveau profil a eu un succès fulgurant : une semaine après sa mise en ligne, mon client rencontrait celle qui est toujours sa compagne. S’il n’avait pas besoin d’aide sur la façon de communiquer lors d’un rendez-vous, il m’a sollicitée les mois suivants au sujet de désaccords avec sa compagne. J’ai été sa confidente les 6 premiers mois de son couple, jusqu’à ce qu’il réussisse à mieux communiquer avec elle. 

Quand j’informe mes clients des discussions que j’établis pour eux avec des femmes, je ne me contente pas de transmettre mes résultats : j’échange avec eux sur les implications des messages. Cela leur permet de voir mon point de vue et d’entendre comment on parle de soi, s’intéresse à l’autre, organise un rendez-vous… Ils constatent que je les dévoile bien plus qu’ils ne l’auraient fait eux-mêmes — et que ça fonctionne.

Les clients peuvent suivre les discussions en temps réel. // Source : Source : Photo de Ron Lach/Pexels
Les clients peuvent suivre les discussions en temps réel. // Source : Photo de Ron Lach/Pexels

Je limite les sujets à des domaines basiques (parcours professionnels, loisirs, tableau familial…), mais en y incorporant une certaine légèreté et de l’humour pour dynamiser les conversations et les rendre agréables. Par contre, si je valorise les femmes avec lesquelles je discute, je ne leur parle pas de leur physique et je ne leur fais pas d’avances. Je m’intéresse à qui elles sont et à ce qu’elles font ; nombre de mes clients constatent alors de ce qui ne va pas dans leur approche. Ils peuvent ainsi se rendre compte du mode de communication nécessaire pour créer du lien, et peut-être une relation.

Un travail forcément enrichissant

Ma plus grande surprise lorsque je suis devenue « dating assistante » a été le sérieux des clients. Je n’imaginais pas qu’ils seraient tous aussi sincèrement désireux de rencontrer l’amour. Quand ils décident de se faire accompagner pour briser leur solitude, ils s’investissent réellement. Et il me semble que l’expérience leur est toujours utile. Parfois, le client découvre qu’il n’est en fait pas prêt pour une relation, qu’il a d’abord des choses à vivre et/ou à régler. Je me souviens ainsi d’un homme sortant d’un divorce très difficile qui me semblait assez déprimé. Il avait finalement surtout besoin de parler ; il n’a jamais accepté de rencontrer les femmes avec qui je discutais. Il a fini par prendre les rênes des discussions et noué des relations épistolaires avec quelques confidentes sur la même longueur d’ondes que lui. Il a trouvé des amies ; c’était les relations dont il avait alors le plus besoin. 

L’objectif est aussi que les clients deviennent indépendants sur les applications : s’ils obtiennent une ou deux rencontres grâce à moi, ils pourront se débrouiller seuls pour la troisième. Il est rare que le premier rendez-vous débouche sur une relation, mais il fait l’objet d’un débriefing et je les coache généralement jusqu’au premier baiser. Cet accompagnement est indispensable pour qu’ils évoluent. Je leur répète et leur explique comment s’ouvrir, s’intéresser, écouter, partager…

Au bout des deux mois que dure en moyenne mon accompagnement, 99 % des clients ont fait au moins un rendez-vous et 50 à 70 % d’entre eux ont eu un premier baiser. Pour la plupart, les choses prennent du temps — celui du changement. 

Bien sûr, il y en a qui refusent d’entendre que la femme qu’ils recherchent n’existent pas, ou qui ne suivent pas les conseils dispensés. Je ne peux pas les forcer à évoluer. Quand ces clients se rendent aux rendez-vous, sans surprise, c’est un échec. Si c’est heureusement très rare, il est ainsi arrivé qu’une femme s’interroge sur le décalage entre l’homme se tenant face à elle et celui avec lequel elle discutait en ligne. Certains avouent avoir recouru à mes services — ce qui n’est pas très bien reçu dans ce contexte. Pourtant, quelle que soit l’issue, mes clients me remercient toujours à la fin de notre « collaboration ». Ils ont au moins bénéficié d’un regard extérieur et d’un soutien.

Ce n’est pas une activité facile : les horaires sont décalés, certains clients se montrent ainsi très exigeants et le quotidien est assez solitaire. Après 2 ans de ce travail, pourtant, je ne compte pas arrêter : j’ai trop de tendresse pour les hommes que j’accompagne, et les aider est vraiment gratifiant. Assez naturellement, je suis même devenue recruteuse et formatrice des nouvelles recrues de l’agence. 

Depuis que je suis « dating assistante », j’ai moi-même énormément changé, nourrie de ces relations et de ce travail uniques. On s’accomplit forcément davantage soi-même lorsque l’on aide ainsi des personnes à mieux s’aimer et aimer les autres !

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