De toutes les nouveautés annoncées par Apple lors de la présentation de son nouvel iPhone 15, ce mardi 12 septembre 2023, c’est peut-être celle-ci qui a le plus ravi la Commission européenne. En effet, pour la première fois de son histoire, le téléphone de la firme de Cupertino va embarquer un connecteur USB-C. Du jamais vu dans l’histoire de l’iPhone.
La transition de l’iPhone vers l’USB est historique. Révolutionnaire, pourrait-on dire. Depuis l’arrivée d’Apple sur le marché des smartphones, en 2007, seuls deux connecteurs avaient été utilisés sur l’iPhone. D’abord le connecteur dock 30 broches, de l’iPhone première génération jusqu’à l’iPhone 4s. Puis, à partir de l’iPhone 5, sorti en 2012, c’est le Lightning qui est utilisé.
Depuis, jamais l’entreprise américaine n’avait dévié de cette ligne. Mais en 2023, tout a changé. Et pour le bien de tous et toutes, selon les responsables de la marque à la pomme. Pour autant, Apple n’en a étonnamment pas fait des caisses sur le sujet. Pas de justification particulière : l’entreprise se dit ravie de sauter le pas, en constatant simplement qu’il s’agit d’un standard de l’industrie.
L’USB-C, donc, va se déployer sur l’iPhone 15, mais aussi ses variantes (Plus, Pro et Pro Max). Il va offrir aux propriétaires une vitesse de transfert pouvant aller jusqu’à 10 Gbit/s, à condition d’avoir un câble adéquat, ce que ne manque pas de préciser Apple dans ses notes de bas de page. Ce port pourra aussi servir à recharger l’iPhone.
Cette satisfaction affichée par Apple lors de son keynote cachent toutefois mal une réalité : le groupe ne s’est pas franchement précipité pour accueillir l’USB-C sur son iPhone. Pourtant, cette norme est prête depuis pratiquement dix ans : elle a été finalisée à l’été 2014. Et Apple ne pouvait ignorer son existence, en raison de sa participation à l’organisation s’occupant de la norme USB.
Il serait exagéré de dire qu’Apple a boycotté l’USB-C jusqu’à aujourd’hui. Sur le reste de son catalogue, une ouverture progressive a eu lieu, et finalement assez tôt, quelques mois à peine après la finalisation de l’USB-C. On peut citer le MacBook 12 pouces sorti début 2015. Depuis, d’autres produits ont franchi ce cap, comme la tablette iPad Pro en 2018. C’est d’autant plus paradoxal qu’ils ont été, en quelque sorte, des pionniers
Mais, pour l’iPhone, force est de constater qu’il n’y a pas eu d’empressement évident. Une première réponse, flagrante, est à chercher du côté du Lightning. Avec ce connecteur, le géant de la tech avait l’opportunité de garder le contrôle sur son écosystème matériel et, par la même occasion, de percevoir une commission sur les accessoires (exclusifs) qu’il certifie.
Une première tentative avec le Micro-USB
Il faut néanmoins admettre que le Lightning était aussi, objectivement, un très bon connecteur pour son temps. En tout cas, c’était le nec plus ultra que l’on pouvait trouver à l’époque lors de son introduction, en 2011. À l’époque, l’USB-C n’existait pas encore et ce que le consortium USB avait de mieux à offrir était le Micro-USB.
Le Micro-USB n’avait pas encore la propriété d’être réversible (qu’on peut brancher dans un sens ou dans l’autre). Il avait deux embouts différents (Micro-A et Micro-B, dans la droite ligne des précédentes générations, avec Type-A et Type-B et Micro-A et Micro-B). La connectique était relativement fragile, d’ailleurs, et les débits étaient parfois à la peine.
À côté, le Lightning est déjà réversible et s’avère moins vulnérable. Il y avait donc des raisons techniques objectives à ne pas se précipiter sur le Micro-USB. Ainsi, du temps de l’iPhone 4s, Apple a préféré vendre un chargeur micro-USB plutôt que de voir cette connectique sur son téléphone. Une manière, aussi, de satisfaire, à sa façon, les exigences européennes.
Car du côté du Vieux Continent, on a évidemment poussé en faveur d’une prise et d’un chargeur universels, et cela, dès la fin des années 2000. Sauf qu’à l’époque, il aurait fallu s’en remettre au Micro-USB. Apple était impliqué dès 2009, après la signature d’un protocole d’accord visant à établir une norme standard pour les chargeurs. Échéance visée ? 2011.
Apple, finalement, a préféré choisir une autre voie avec le Lightning, au risque de se retrouver dans une position de confrontation avec la Commission européenne, mais aussi des instances du Parlement européen, qui sont régulièrement intervenues pour exprimer leur soutien à l’idée d’un chargeur universel — et, à travers lui, au principe d’une connectique universelle.
Changer la situation en modifiant l’USB
Pour que les choses changent, en somme, il fallait sans doute que l’USB change. Et au milieu des années 2010, les lignes ont bougé avec l’émergence de l’USB-C, dont la prise ressemble fortement à celle du Lightning, tout en reprenant certaines de ses spécificités, comme la réversibilité. Dans le même temps, l’USB 3.1 arrivait, avec une capacité de transfert accrue.
Ces évolutions techniques, couplées à la généralisation progressive de l’USB-C dans l’industrie, ont aussi eu pour effet indirect de relancer la campagne en faveur d’un chargeur universel. Ainsi, en 2018, Bruxelles a annoncé son intention de lancer une action plus résolue sur ce terrain, au nom, notamment, des enjeux écologiques (plus besoin d’avoir un chargeur par appareil, en somme).
Mais le rythme politique n’est pas toujours aligné sur celui de la technologie. Entre 2015 et 2022, la spécification de l’USB-C a connu pas moins de sept révisions. Au niveau européen, ce n’est finalement qu’en 2021 que la bataille s’est engagée pour une prise vraiment universelle. Le Parlement aurait préféré une action plus tôt, mais au moins, le dossier s’est débloqué.
Tout a changé en 2022, avec la loi sur le chargeur universel, au terme d’une longue gestation politique. Déjà à l’époque, il était impossible de ne pas voir une autre cible qu’Apple avec ce texte. Après tout, c’était encore le seul grand industriel à garder une connectique propriétaire sur son iPhone. Toutes les autres marques ont fini, bon gré, mal gré, par accepter le standard USB-C.
C’est d’ailleurs la même année que l’adoption de ce texte que l’on a commencé à entendre parler avec beaucoup plus d’insistance de l’arrivée prochaine d’un iPhone en USB-C, balayant au passage les rumeurs entendues un an plus tôt suggérant que cela n’arriverait jamais. Et, finalement, Apple a confirmé l’évidence en octobre 2022 : bien sûr que l’iPhone basculera en USB-C.
L’entreprise américaine ne pouvait guère plus attendre, de toute façon. L’USB-C, en plus d’avoir été retenu pour être le port de charge standard pour les smartphones, soumet toute l’industrie a une échéance précise : automne 2024. À cette date, tout le monde devra y passer. Or, il est inimaginable pour Apple de s’arc-bouter sur sa position et de se priver du même coup du marché européen.
Au-delà de la pression exercée par l’Union européenne, il y a aussi une réalité un peu plus terre-à-terre pour Apple. La marque américaine, qui se plait à dire qu’elle propose une expérience d’utilisation exceptionnelle avec ses produits, s’avérait un peu décevante en matière de gestion des câbles. Il fallait en effet jongler entre des appareils sous USB-C, tandis que d’autres étaient sous Lightning.
Il était temps de passer à l’USB-C
Éliminer le Lightning est évidemment regrettable pour tous les accessoires qui reposent dessus (il y a toutefois des adaptateurs), et cela constitue un faux pas écologique (la transition va engendrer du déchet, avec la mise au rebut de câbles et de chargeurs, entre autres). C’est vrai, du moins à court terme. Mais à long terme, ces inconvénients disparaissent.
Sans doute y avait-il du sens à défendre une prise propriétaire, envers et contre tous, en 2011, lorsque l’alternative proposée par le consortium USB n’était pas du tout satisfaisante. Dix ans plus tard, cette position ne tient plus face à l’USB-C. Surtout que le Lightning bride la vitesse de transfert (équivalent à l’USB 2.0, soit 480 Mbps) et bloque la recharge ultra-rapide.
Il est à noter que la loi sur le chargeur universel contient une exception : les appareils à charge sans fil. Ceux-ci ont le droit d’enjamber cette règle s’ils sont 100 % sans fil, y compris pour la recharge électrique. En conséquence, il n’est pas impossible que l’iPhone en USB-C ne soit qu’une parenthèse dans l’histoire d’Apple, en attendant un iPhone 100 % sans fil.
Il reste à savoir si Apple se lancera vraiment dans une telle option, qui, si elle est séduisante sur le papier, peut aussi apporter son lot de difficultés, en termes de SAV ou de recharge. La piste de la prise physique universelle apparaît plus raisonnable. Surtout que rien ne dit que celle-ci sera à jamais l’USB-C. L’important est d’avoir une norme commune.
Si un jour un format supérieur émerge et s’impose, la Commission européenne a fait savoir qu’elle n’a pas de problème à envisager une transition vers ce standard plus efficient. Une façon de répliquer à l’argument d’Apple parfois entendu, selon lequel le fait d’imposer une norme industrielle par la loi risque de brider l’innovation.
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