Notre métier de journaliste nous conduit souvent vers les mêmes actions : informer, expliquer, éclairer, détailler, préciser. Dans la spécialité « tech » du journalisme, qui touche aux marques et aux produits, il faut aussi ajouter une composante « flairer le coup de communication ». Cela passe par une bonne connaissance des marchés, des marques, des appareils et des concepts en vogue — l’IA et la blockchain d’aujourd’hui sont les chatbots et réseaux sociaux d’hier.
Forts de ces expertises, nous parvenons souvent, on l’espère, à proposer un éclairage complet sur les nouveaux produits, tendances et phénomènes. Le 11 juillet 2018, HTC a pourtant réussi à nous pousser dans ses derniers retranchements avec son smartphone blockchain nommé Exodus. Ce que l’on sait pour sûr tient en une liste à trois puces :
- Le smartphone sortira au troisième trimestre de l’année 2018
- Il coûtera autour de 1 000 €
- Il intégrera un « porte-feuille matériel » pour cryptomonnaie, ce que l’on connaît par exemple chez les Français de Ledger.
Si l’on en était resté là, cela aurait été simple : on trouve un constructeur taïwanais en chute libre depuis plusieurs années sur le secteur de la téléphonie, qui vivote avec des concepts audacieux qui ne fonctionnent pas auprès du grand public et qui s’est mis en tête de céder à la tentation blockchain pour se faire une santé. Après tout, on ne pourrait lui en vouloir : en 2018, ajouter ce terme à un objet rapporte gros.
Explication de texte
Mais voilà, HTC a soit trop communiqué, soit pas assez. Et les éléments qui ont été donnés à la presse nous ont complètement perdus, même si nous avons publié un article complet sur le concept de « smartphone blockchain ». Nous avons demandé à HTC plus de précisions, mais entre temps, nous aimerions sincèrement connaître votre compréhension du projet Exodus : pour cela, voici comme base de réflexion une première explication de texte.
« HTC a pour objectif d’élargir l’écosystème Blockchain, en créant le premier smartphone au monde dédié aux applications décentralisées et à la sécurité. Grâce au lancement d’Exodus, qui intègre un portefeuille numérique très sécurisé, le rêve est désormais devenu une réalité ! »
La première promesse est donc celle des applications décentralisées (pourquoi pas, il est vrai que des blockchains comme Ethereum ont été conçues pour cela) et de la sécurité. Passons sur les nombreux problèmes rencontrés par toutes les plateformes qui n’augurent rien de bon : transparence des transactions et écriture dans la blockchain apportent de la traçabilité, ce qui n’est jamais mal, et les smart contracts permettent de se passer d’intermédiaire lors d’une transaction. Concrètement, on voit apparaître la notion de portefeuille numérique, ce qui n’intéressera personne aujourd’hui sauf celles et ceux qui tradent des cryptomonnaies.
Vient ensuite la citation de Phil Chen, nouveau Chief Crypto Officer de l’entreprise.
« Dans la nouvelle ère d’internet, les gens ont généralement pris conscience de l’importance de leurs données »
« Dans la nouvelle ère d’internet, les gens ont généralement pris conscience de l’importance de leurs données, ce qui est une opportunité idéale pour permettre à l’utilisateur de commencer à posséder une identité numérique. Exodus est un excellent point de départ puisque ce téléphone est l’appareil le plus personnel qui soit, mais c’est également de lui que proviennent toutes vos données. L’opportunité de décentralisation de l’internet offerte par Exodus m’enthousiasme car elle va redéfinir l’utilisateur moderne ».
Stop. Il y aurait donc une nouvelle ère d’internet dans laquelle les gens ont pris conscience de l’importance de leurs données et souhaiteraient posséder une identité numérique. On pourrait se dire que Chen fait référence à l’ère post-Snowden, ou post-Cambridge Analytica, et que la blockchain serait une réponse à ces inquiétudes. Dès lors, la solution serait d’avoir ses données dans son smartphone et de participer à la décentralisation de l’Internet.
Si l’on essaie de prendre au sérieux tout cela sans trop penser à Silicon Valley, on imagine donc que HTC (qui ne convainc plus personne depuis des années, rappelons-le) va devenir le pionnier d’un nouvel internet décentralisé avec ses applications, ses services, ses réseaux sociaux, son Uber, son Facebook, son Amazon, son Google… services qui n’existent pas encore, bien entendu. Dans les faits, cela semble complètement impossible, mais après tout pourquoi pas. Peut-être que la marque a déjà des partenariats prestigieux avec des services du genre encore en gestation, que HTC aurait accompagnés. Poursuivons.
« L’avènement de Bitcoin et Ethereum a transmis aux consommateurs le sentiment de la rareté numérique et des jetons non fongibles (NFT). Aujourd’hui, HTC s’est associé au premier jeu NFT au monde sur blockchain et CryptoKitties, afin d’être le premier à le distribuer sur mobile, notamment sur le U12+ mais également sur d’autres appareils HTC (la disponibilité peut varier selon les régions). C’est une première étape fondamentale dans la création d’une plateforme et d’un canal de distribution pour les concepteurs de biens numériques uniques. Dispositif le plus répandu dans l’histoire de l’humanité, le mobile doit devenir le centre névralgique de la distribution pour que les ressources numériques et les applications DAPPS expriment tout leur potentiel. »
Pardon ? La révolution de l’internet décentralisé par HTC, c’est un partenariat avec le service qui symbolise toutes les dérives de la blockchain, utilisée pour de la spéculation dérégulée, utilisant de précieuses ressources naturelles et allant jusqu’à bloquer le fonctionnement d’une plateforme comme Ethereum ? CryptoKitties peut faire sourire, mais c’est un jeu philosophiquement toxique si l’on prend un minimum de recul. Spéculation dérégulée, destruction de la planète et sabotage de technologies : veut-on que le prochain Internet soit soutenu par ces concepts ? Que HTC ait choisi cela comme partenariat privilégié donne une bonne idée des ambitions du constructeur.
« Le partenariat avec CryptoKitties marque le lancement d’un nouveau marché non fongible et d’un APP Store crypto-gaming. »
Un app store crypto-gaming. Parce qu’on a évidemment besoin de plus de jeux demandant une puissance de calcul inouïe pour forger un avatar aléatoire dont le seul gameplay est d’avoir une chaîne de caractères unique. C’est de pire en pire. Peut-être que la conclusion ira dans le bon sens ?
« Nous sommes conscients du potentiel de la rareté numérique et de l’unicité. Avec Exodus, HTC souhaite mettre en place un marché des actifs de blockchain. Nous sommes ici pour inviter tous les développeurs à distribuer leur jeu blockchain, leur collection et leur concept NFT à travers nous. Nous sommes convaincus qu’il existe un changement de paradigme et que le vent souffle de nouveau vers la propriété et la valeur du contenu »
Pas si mal. Alors oui, peut-être qu’il existe un changement de paradigme, peut-être qu’il existe un potentiel pour la « rareté numérique et de l’unicité » (???), peut-être que HTC sera fin 2018 ce que l’App Store d’Apple a été au marché des applications en 2008. Reste que le constructeur n’a rien fait pour nous rassurer avec sa communication et semble avoir mis de nombreux concepts dans un chapeau avant de bien mélanger. Qui sait, à la fin, il en sortira peut-être un bon petit plat.
Il est humblement possible que nous soyons tout à fait à côté de la plaque : nous attendons avec impatience votre avis et votre interprétation dans les commentaires.
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