Le dimanche 18 juillet 2021, une « note de service » supposément envoyée par Burger King France est partagée sur Twitter par Rafael Cherfy, un syndicaliste de la CGT. Il dénonce les « attaques » des entreprises, qu’il accuse de vouloir profiter du pass sanitaire pour licencier leurs salariés.
La note en question, une capture d’écran, explique que, depuis les annonces gouvernementales du 12 juillet, certaines mesures concernant la vaccination et le pass sanitaire doivent être rappelées. « À compter du 31 août, tous nos salariés doivent disposer d’un passe (sic) sanitaire pour pourvoir (sic) travailler », peut-on notamment lire. « Les salariés ne disposant pas d’un passe sanitaire à compter du 31 août, ne pourront plus travailler. Leur contrat de travail sera suspendu et la rémunération n’aura pas à être maintenue. » Le tweet a depuis été supprimé, mais vous pouvez trouver une capture d’écran du message et de la note de service ci-dessous.
Cette note de service, qui n’était pas sourcée, non complète, et qui comportait de nombreuses fautes d’orthographe, n’a pas été envoyée par la chaîne de restaurants. Burger King France, contacté par Numerama, nous a déclaré qu’« aucune des notes communiquées ne provient de Burger King France ». Ils nous ont également précisé que les « dispositions légales s’appliquent à tous les restaurants Burger King, donc seul le pass sanitaire sera demandé et contrôlé conformément au projet de loi. Nous n’obligeons personne à être vacciné ».
Mais bien que la note partagée sur Twitter soit une fausse, le débat est tout de même lancé. Les entreprises pourront-elles obliger leurs salariés à se faire vacciner ? Les salariés qui ne travaillent pas dans le domaine de la santé seront-ils également concernés ? Les entreprises peuvent-être priver de salaire des employés non vaccinés ? Et, comme accuse l’auteur du tweet, préparent-elles les « licenciements de demain » ?
Ce que les entreprises ont le droit de faire pour l’instant
Pour l’instant, « les entreprises n’ont pas le droit d’obliger leurs employés à se faire vacciner contre le covid », tranche Maître Corinne Metzger, avocate spécialisée dans le droit du travail. « Cependant, quelques secteurs d’activité demandent bien des preuves de vaccination à leurs employés depuis des années », note-t-elle. C’est notamment le cas dans le secteur médical : depuis juin 2000, le code de la santé publique prévoit que le personnel d’un « organisme public ou privé de prévention de soins […], et qui exerce une activité professionnelle l’exposant à des risques de contamination doit être immunisé contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe ». De plus, « les personnes qui exercent une activité professionnelle dans un laboratoire de biologie médicale doivent être immunisées contre la fièvre typhoïde », est-il également précisé dans le code.
Il n’y a pas que le secteur médical qui est concerné : la Convention collective des pompes funèbres impose la vaccination pour « les salariés exposés à des risques de contamination », qui doivent être immunisés contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite.
Dans les cas des soignants et des employés des pompes funèbres, ce sont les entreprises et les médecins du travail qui sont chargés de vérifier que les employés sont bien à jour dans leur vaccination. Et, en cas de refus de se faire vacciner, les entreprises ont même le droit de licencier la personne en tort. En 2012, la Cour de cassation a en effet validé le licenciement pour faute grave d’un employé de pompes funèbres qui avait refusé de se faire vacciner, et ce alors qu’il ne représentait aucune contre-indication.
Il existe donc des lois qui obligent déjà les salariés de certains types d’établissements à se faire vacciner, et des précédents concernant les licenciements — les lois ne concernent juste pas les vaccins contre la maladie Covid-19 pour l’instant. Cela va changer : Emmanuel Macron a annoncé le 12 juillet son intention de rendre obligatoire la vaccination pour le personnel soignant. Le projet de loi encadrant cette obligation n’a pas encore été voté par l’Assemblée nationale : il a été présenté en Conseil des ministres lundi 19 juillet et sera débattu le mercredi 21 juillet à l’Assemblée. Cependant, ce projet de loi, s’il est voté, donnera aux entreprises concernées certaines obligations.
Que prévoit le projet de loi ?
Il est important de préciser que les mesures mentionnées dans le projet de loi ne seront peut-être pas celles qui seront en fin de compte votées. Pour l’instant, les principales mesures du projet de loi concernent la vaccination des soignants, l’extension du pass sanitaire, et le maintien à l’isolement des personnes testées positives au covid.
Concernant la vaccination des soignants, le texte élargit l’obligation aux ambulanciers, aux pompiers, ainsi qu’aux aides à domiciles. Le projet de loi prévoit qu’ils et elles auront jusqu’au 15 septembre pour se faire vacciner. Et si ce n’était toujours pas le cas au bout de deux mois, les personnels non vaccinés pourraient alors être licenciés. Les entreprises seront donc dans l’obligation de contrôler le respect de l’obligation vaccinale.
Le texte précise également que « les personnes qui justifient, par la présentation d’un certificat médical, d’une contre-indication à la vaccination sont exemptées des obligations d’immunisation mentionnées ».
En dehors du secteur médical, « tous les personnels des lieux où le pass est imposé aux clients devront également être munis du pass sanitaire à compter du 30 août 2021 », est-il expliqué sur le site du service public. Cela concernera entre autres les salariés des lieux de culture, des restaurants, des cafés, des centres commerciaux. Vous pouvez retrouver la liste complète des lieux concernés ici. Il est bien question ici de pass sanitaire, et non pas de vaccination : ainsi, les employés qui ne souhaiteraient pas se faire vacciner pourraient présenter un résultat de test PCR négatif.
Concrètement, une fois la loi adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, et si elle n’est pas retoquée par le Conseil constitutionnel, les salariés des secteurs concernés devront justifier de leur statut vaccinal ou présenter leur pass sanitaire.
Ce que les entreprises n’ont pas le droit de faire
Mais, même avec la nouvelle loi, les entreprises n’auront pas les pleins pouvoirs : elles devront toujours respecter le secret médical de leurs employés. « Ça sera certainement à la médecine du travail de vérifier le statut des salariés, afin de respecter le secret médical », explique Me Corinne Metzger. Cela ne sera cependant pas une tâche simple : si c’est à la médecine du travail de s’assurer du statut de tous les employés concernés, ils seront très certainement confrontés à « des problèmes de moyens », relève Me Metzger.
Les entreprises pourront-elles faire un suivi de leurs salariés afin de savoir s’ils sont vaccinés, et tenir des listes comme cela est indiqué dans la « note de service » qui aurait été envoyée par Burger King France ? Selon Me Metzger, « cela dépendra de la CNIL, mais certainement pas ». Le fait qu’un employeur tienne une telle liste ne permettrait pas toujours d’assurer l’anonymat des salariés, note-t-elle. Le 7 juillet, la CNIL avait rendu un avis positif concernant la constitution de listes par les médecins de leurs patients non-vaccinés. D’habitude très peu favorable à ce genre de mesure, la commission avait expliqué que la situation sanitaire du pays justifiait l’utilisation de telles listes. Mais cet avis était limité à l’utilisation par des médecins traitants volontaires – la constitution de listes par des employeurs pourrait être sanctionnée par la CNIL.
Les points qui restent flous sont encore nombreux. Un des cas les plus épineux reste pour certains avocats le licenciement des salariés qui refuseraient de se faire vacciner, bien qu’il existe des précédents.
Interrogé par Le Monde, l’avocat au barreau de Paris Alexandre Ebtedaei expliquait que « la vraie question est de savoir si le licenciement du salarié […] serait fondé sur une faute ou bien si le projet de loi entend créer une nouvelle cause de licenciement, […] permettant de déclencher de manière quasi automatique une procédure de licenciement au bout de soixante et un jours [deux mois de suspension du contrat et un jour] ». Pour l’instant, il n’y a pas encore de réponse.
Mise à jour du 21 juillet à 10h30 : L’article a été mis à jour afin d’ajouter la réponse de Burger King France, qui nous a déclaré que la note de service partagée sur Twitter ne provenait pas d’eux.
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