La France serre la vis contre TikTok : les députés sont invités à s’en passer. En parallèle, l’application est maintenant interdite sur les téléphones des fonctionnaires.

La situation vient de se corser subitement pour TikTok. En l’espace d’une semaine, deux évènements viennent de se produire. Le premier concerne les députés : ils ont été invités par l’Assemblée nationale à se passer de TikTok, mais aussi d’un certain nombre d’autres applications étrangères. Le second vise les fonctionnaires, avec des effets plus directs : c’est une interdiction pure et simple.

À la fin février, la question se posait si la France allait interdire le programme, au moins dans les lieux de pouvoir et parmi les agents de l’État, en suivant le même chemin que d’autres pays occidentaux. Les États-Unis, le Canada, la Commission européenne, pour mentionner les principaux exemples, ont pris des mesures de restriction. D’autres pays en Europe ont fait de même.

Visiblement, Paris a tranché. Une dépêche de l’AFP du 24 mars signale que les téléphones des fonctionnaires de l’État n’ont désormais plus le droit d’installer et d’utiliser des « applications récréatives », en citant nommément TikTok. De fait, les parlementaires ne sont pas ciblés, car ce ne sont pas des fonctionnaires. Tous les autres agents publics, en revanche, sont concernés.

Sur Twitter, le ministre en charge du numérique, Jean-Noël Barrot, a partagé un communiqué de presse précisant que cette interdiction prend effet immédiatement, mais se limite aux téléphones fournis par l’État. Les mobiles privés ne sont pas affectés. Le gouvernement dit avoir observé les décisions de ses partenaires en Europe et à l’international avant de prendre sa décision.

« Les applications récréatives ne présentent pas les niveaux de cybersécurité et de protection des données suffisant pour être déployées sur les équipements d’administrations. Ces applications peuvent donc constituer un risque », peut-on lire dans le communiqué. L’analyse des enjeux sur le plan sécuritaire, qui a fondé la décision, n’est pas détaillée.

L’instruction couvre toutes les administrations et tous les ministères, avec toutefois des dérogations envisagées « pour des besoins professionnels tels que la communication institutionnelle d’une administration ». La Direction interministérielle du numérique surveillera la bonne application de l’instruction, avec le concours de l’Anssi, qui assure la cyberdéfense de l’État.

Concernant les élus, ce n’est pas une interdiction formelle, mais cela a la saveur d’un premier rappel à l’ordre. À l’Assemblée nationale, les députés ont été invités à lever le pied sur l’utilisation de TikTok — accusée de servir en secret les intérêts de la Chine — au nom de la protection des données personnelles, mais également pour se prémunir des risques d’ingérence étrangère.

C’est ce que rapporte le média Politico dans son édition du 22 mars, Mais, alors que dans de nombreux pays occidentaux seul TikTok semble être dans le viseur des autorités, la recommandation appuyée de la chambre basse du Parlement français vise beaucoup plus d’applications, en les mettant toutes sur le même plan.

Toutes les apps dans le même panier

Selon l’Assemblée, « compte tenu de la hausse des possibilités d’exploitation des données personnelles à des fins d’ingérence étrangère, notamment par l’évolution des conditions d’utilisation des médias sociaux, tels que WhatsApp, Telegram, Signal, Instagram, Snapchat, TikTok […] nous souhaitons appeler votre attention sur l’utilisation de ces applications ».

Ce mail, envoyé aux élus et consulté par Politico, met ainsi sur un même plan des applications aux origines diverses (outre TikTok, d’origine chinoise, il y a des plateformes américaines et une d’origine russe : Telegram) et aux diverses caractéristiques de fonctionnement. Par exemple, certaines ont du chiffrement de bout en bout par défaut, d’autres non.

tiktok
TikTok commence à voir flou en France. // Source : Focal Foto avec Canva

Toutes ces applications sont perçues comme un risque : elles « peuvent récupérer vos données, et notamment vos contacts, mais également vos photos, vos vidéos, voire tout autre document personnel ou professionnel », poursuit le mail. De fait, elles sont « particulièrement exposées à un risque d’utilisation au bénéfice des pays étrangers hors de l’Union européenne. »

Ces reproches doivent toutefois être commentés : ces applications fournissent justement des fonctionnalités permettant de retrouver des proches (en accédant aux contacts du téléphone) ou de transférer des contenus dans une discussion, comme des photos ou des documents. Naturellement, ce service nécessite bien sûr d’avoir accès au contenu du téléphone, sinon c’est impossible.

Des élus qui utilisent beaucoup Twitter et TikTok

Les élus suivront-ils la recommandation de l’Assemblée nationale ? À moins d’une interdiction formelle, on peut en douter. D’autant que contrôler ce qui se passe sur des smartphones personnels serait trop intrusif. Dans le cas de téléphones mis à disposition par l’Assemblée, des restrictions techniques peuvent en revanche être envisagées pour bloquer certains logiciels.

Des extraits de comptes TikTok avec des personnalités politiques de premier plan // Source : Montage Numerama
Des extraits de comptes TikTok avec des personnalités politiques de premier plan // Source : Montage Numerama

La passivité de l’Assemblée envers cette recommandation est d’autant plausible que ces outils sont devenus au fil du temps des moyens de communication efficaces pour parler aux Françaises et aux Français, et pour organiser et animer ses équipes en interne — en témoignent les boucles WhatsApp. De nombreux députés sont aussi devenus « accros » à Twitter. Enfin, des parlementaires se sont largement déployés sur TikTok pour leur communication.

Certes, il existe des services souverains qui reprennent certaines caractéristiques de ces outils — comme Tchap, une solution 100 % française lancée en 2019 comme alternative à WhatsApp et Telegram. Mais sa notoriété est modeste chez les agents publics. La moitié n’en aurait pas entendu parler, selon un sondage rapporté par Acteurs Publics. Il y aurait 350 000 inscrits, pour 100 000 vraiment actifs. Et les résistances sont nombreuses quand il s’agit de délaisser un outil apprécié (tel WhatsApp) pour autre chose.

Reste enfin une dernière question. Au-delà des parlementaires et des agents de l’État, quel sera le destin de l’application dans la population générale : sera-t-elle bannie de France ?

Ici, le coup fatal ne viendra peut-être pas de Paris, mais plutôt de Washington, où la question est posée de plus en plus sérieusement. Or si les États-Unis portent un tel coup, cela pourrait avoir des répercussions aussi en Europe et en France. Le retrait de TikTok des boutiques d’applications Google Play (Android) et App Store (Apple) est susceptible de rebondir aussi de ce côté de l’Atlantique.

(mise à jour avec le communiqué de M. Barrot)

Source : Numerama

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