Le Rafale, fleuron de la chasse française et véritable succès à l’export, a-t-il été la cible d’une attaque informationnelle de la part de la Chine ? C’est ce que développe une analyse des services de renseignement français, que l’agence de presse AP a pu consulter. Une opération qui s’est déroulée aussi bien en ligne qu’en dehors, notamment via les ambassades.
Rappel des faits : début mai, une vive poussée de fièvre envenime les relations déjà compliquées de l’Inde et du Pakistan. À la suite d’un attentat revendiqué par un groupe islamiste et survenu au Cachemire, une région disputée par les deux nations, une crise diplomatique s’engage, suivie par une brève escalade militaire, pendant quelques jours.
L’accrochage militaire a été scruté naturellement de très près, y compris par les autres grandes puissances. En effet, l’Inde et le Pakistan font partie des rares pays à être dotés de la bombe nucléaire. Mais la France avait un intérêt supplémentaire à suivre le clash : il a été rapporté un engagement d’avions Rafale, et au moins un aurait été abattu.

Encore aujourd’hui, la situation post-mobilisation des Rafale (l’Inde est l’un des grands clients de cet avion militaire fabriqué par Dassault) demeure incertaine. Le Pakistan a affirmé en avoir abattu trois, plus deux autres avions d’origine russe (Soukhoï Su-30 et un MiG-29). De son côté, l’Inde est restée floue, sans donner le détail des pertes.
L’Inde a des raisons de ne pas en dire trop, car ce conflit est aussi une guerre informationnelle avec des enjeux de statut, de puissance et de prestige. Pour sa part, le Pakistan a manœuvré sa communication pour ne pas se mettre à dos Paris, en ne mettant pas en cause la qualité des aéronefs eux-mêmes, mais plutôt la qualité des pilotes et du commandement indiens.
Toujours est-il que cette affaire a engendré de la désinformation sur le Net, avec de fausses images d’avions Rafale abattus sur X (Twitter). Des photos d’autres aéronefs écrasés ont été détournés pour les faire passer pour les jets français, tandis que d’autres images ont été carrément générées via des outils d’intelligence artificielle. L’Inde a réagi par la censure.

Un avion Rafale abattu


Deux mois après, le bilan est plus nuancé. Trois pertes indiennes seraient confirmées avec des preuves, selon le général Jérôme Bellanger, chef d’état-major de l’armée de l’air française : on parle d’un Soukhoï, d’un Mirage 2000 (conçu aussi par Dassault, et donc d’origine française, mais un peu plus ancien — l’Inde étant aussi utilisatrice de ce modèle) et d’un Rafale.
De fait, cette perte constitue la première du genre pour le Rafale dans une situation de combat. Ce qui n’apparaît pas étonnant en raison du choix fait par New Delhi de ne pas détruire la défense aérienne pakistanaise au préalable — cela, pour éviter une escalade excessive avec Islamabad. Dès lors, un risque a été pris, avec ses conséquences.
La Chine suspectée de mener une opération anti-Rafale en ligne
C’est dans ce contexte qu’émergent les informations d’AP. Dans la mesure où le Pakistan a la Chine parmi ses principaux fournisseurs d’armes, l’idée qu’un avion français, qui plus est de pointe, ait pu être abattu par un missile chinois et/ou depuis un avion chinois a offert à Pékin une occasion de capitaliser dessus, pour valoriser leur matériel.
D’après AP, qui cite les éléments de l’analyse française, « plus de 1 000 comptes de réseaux sociaux nouvellement créés lors des affrontements indo-pakistanais ont propagé un récit de supériorité technologique chinoise ». La campagne reprenait des publications virales, des images manipulées, du contenu généré par IA ou des extraits de jeux vidéo.

Les liens entre Pékin et cette offensive informationnelle ne sont pas établis avec certitude, et les officiels chinois ont balayé ces allégations. Le ministère de la Défense nationale les a qualifiées de « pures rumeurs infondées » et de « calomnies », alors que le pays dit être « constructif », « responsable » et « prudent » sur les affaires du monde.
La Chine aurait des raisons objectives pour mener une telle opération. Cela valoriserait le matériel chinois — comme l’avion Chengdu J-10, dont le Pakistan est équipé, ainsi que les missiles air-air PL-15 — pour en vendre plus et démontrer leur efficacité, même face à des équipements occidentaux, considérés historiquement comme supérieurs.
À l’inverse, l’opération pourrait aussi affaiblir l’export du Rafale à l’étranger, en particulier en Asie. Si cette affaire ne va visiblement pas dissuader l’Inde de poursuivre sa coopération avec la France (la preuve : après le clash, il y a eu en juin la signature d’un partenariat entre Dassault et Tata pour produire du Rafale sur place), elle pourrait peser ailleurs.
Quels pays pourraient acheter le Rafale ?
Outre l’Inde, rival stratégique avec qui Pékin a un vieux conflit frontalier (et qui préférerait donc retirer le Rafale de l’équation), un autre pays asiatique regarde de près le Rafale : l’Indonésie. Jakarta a signé pour 42 aéronefs et là encore, c’est aussi un sujet en raison des tensions provoquées par l’extension permanente des revendications chinoises en mer de Chine méridionale.
Ainsi, écrit AP, « les attachés de défense des ambassades chinoises ont repris le même discours lors des réunions qu’ils ont tenues avec des responsables de la sécurité et de la défense d’autres pays, en faisant valoir que les Rafale de l’armée de l’air indienne n’étaient pas performants et en promouvant l’armement de fabrication chinoise. »
Outre les pays avec lesquels des discussions sont déjà bien lancées, les efforts toucheraient aussi d’autres nations potentielles qui pourraient aussi en prendre. En Asie, on évoque notamment les Philippines et la Malaisie ; ailleurs dans le monde, on parle du Pérou, de l’Ouzbékistan ou encore de l’Arabie saoudite et de l’Irak.
Selon Étienne Marcuz, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, aucun élément tangible ne permet d’attribuer avec certitude la perte de l’avion Rafale indien par un missile air-air PL-15E tiré d’un J-10. En outre, les débris du missile ne concordent pas. La défense aérienne ayant été épargnée, cela pourrait aussi bien être un tir sol-air.
« Aucun impact sur la commercialisation de l’avion »
De son côté, le ministre des Armées français, Sébastien Lecornu a fait allusion à ces problématiques dans une interview donnée à Var-Matin, en relevant « la guerre informationnelle qui a vu le jour autour de la perte de l’appareil » et noté que c’est la réalité d’une nation qui fait partie des plus grandes puissances militaires.

« Être capable de vendre des avions de chasse, c’est faire partie de la cour des grands. Et dans la cour des grands, le degré de compétition est d’une brutalité inouïe. Le Rafale qui connaît aujourd’hui un très grand succès à l’export, et qui va continuer d’enregistrer un grand succès à l’export, a été pris pour cible parce qu’il dérange », a ajouté le ministre.
Sébastien Lecornu a également relevé que « lorsqu’un avion est abattu en Ukraine, qu’il soit d’origine américaine ou soviétique, personne ne songe à faire des articles pour se poser la question sur la qualité de cet avion. Cela dit beaucoup de choses ». Et de relever que tout ceci a été vain : « ça n’a eu aucun impact sur la commercialisation de l’avion. »
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