Les politiques s’emparent des Reels d’Instagram ou des YouTube Shorts afin de communiquer sur leurs prises de position et d’attaquer celles de leurs adversaires, le tout auprès d’un public sensiblement jeune. Des créateurs de contenus s’ajoutent à l’équation et amplifient la portée de la parole politique, en se faisant le relais des discours des politiciens sur Internet.

En juillet 2020, Emmanuel Macron débarque sur la plateforme pour féliciter les lauréats du baccalauréat. Sa stratégie est on ne peut plus clair : le président français souhaite capter l’attention de cette jeune audience qui se détourne des canaux médiatiques traditionnels et qui déserte plus que jamais les bureaux de vote élection après élection. Seuls 52,5 % des 18-24 ans ont voté aux deux tours de la Présidentielle de 2022 selon l’Insee. 

Pourtant, les nouvelles générations ont toujours répondu présentes de façon massive sur Internet et l’utilisation des réseaux sociaux par le monde politique ne date pas d’hier.

@emmanuelmacron

Si vous venez d’avoir votre Bac, ce message est pour vous ! #bac #bac2020

♬ son original – Emmanuel Macron

Conscient de la force de frappe de ces derniers, Nicolas Sarkozy se lance sur Twitter et modernise déjà son dispositif Internet en février 2012 alors qu’il est candidat à sa réélection. Depuis, Jean-Luc Mélenchon et Florian Philippot sont devenus youtubeurs, des réseaux d’extreme droite gangrènent les moindres recoins du web et Emmanuel Macron a amassé plus de 20 millions de followers. En bref, la présence numérique est devenue un paramètre indispensable à l’exercice politique.

La viralité du militantisme en ligne, une nouvelle arme politique

Les campagnes électorales de 2022, mais aussi le travail de créateurs de contenus comme Glupatate, n’ont fait qu’accroitre le militantisme en ligne. Lassé des poncifs diffusés par la télévision, le vidéaste se lance sur les réseaux sociaux en octobre 2021 avec l’objectif de combattre les idées identitaires et libérales. « Sur internet et notamment sur YouTube, il y a une forte présence des idées réactionnaires et d‘extrême droite. Avec TikTok et les YouTube Shorts, on a aussi vu fleurir un grand nombre de chaînes orientées « business et développement personnel » qui reprennent à leur compte les idées libérales en relayant des discours très lisses et dépolitisés, et qui prônent l’idéologie du ‘chacun pour soi’».

Glupatate décide de miser sur ses compétences en montage vidéo et profite de la vague TikTok pour mettre en lumière des discours progressistes qu’il trouve percutants. « Il me paraissait important de se réapproprier le terrain en relayant des sujets liés à la justice sociale et à la répartition des richesses, car ils ne sont pas forcément bien traités à la télévision, voire pas du tout. Ils sont pourtant présents dans la tête d’une majorité des gens. Rappeler qu’il vaut mieux taper sur le milliardaire qui s’est accaparé nos richesses durant la crise covid, plutôt que sur le voisin qui survit en touchant quelques aides sociales, me paraît primordial. » 

@glupatate

Clémentine #Autain : C’est pas la charité qu’on demande ! #retraite #Macron #Brigitte #bfmtv

♬ son original – Glupatate – Glupatate

Une musique entrainante, des effets visuels intenses, un sous-titrage imposant et fluo… un seul coup d’œil aux vidéos de Glupatate suffit à comprendre qu’elles sont minutieusement calibrées pour devenir virales ; le but étant d’attirer l’attention du plus grand nombre sur les problèmes de fond évoqués. La combine fonctionne, puisque ses vidéos diffusées sur TikTok, Instagram ou YouTube comptabilisent à ce jour plusieurs dizaines de millions de vues.

Comme il l’explique à Numerama, le « format court d’un discours ou d’un débat est efficace, car il permet de mettre en lumière des temps forts et lorsque l’on a affaire à de bons orateurs ou à une discussion rythmée, ou encore à des idées qui nous interpellent, on a tendance à rester pour écouter. » Le vidéaste nous précise d’ailleurs avoir été parmi l’un des seuls à « poster régulièrement ce type de contenu », lorsqu’il a commencé deux ans plus tôt. Aujourd’hui, la recette miracle est reprise par les plus grosses pointures du milieu et notamment par une famille politique en particulier : la France Insoumise. 

Depuis sa création en 2016, le parti a su faire preuve d’innovation et de modernité dans sa communication et en matière de nouvelles technologies. À Sud Ouest, François de Rugy a d’ailleurs récemment indiqué que la France Insoumise était « à la pointe sur ces questions ». L’ancien président de l’Assemblée nationale dit avoir été approché en 2017 par Jean-Luc Mélenchon, qui lui réclamait l’accès au flux vidéo de l’Assemblée en direct. La France Insoumise souhaitait ainsi la diffusion, via les réseaux sociaux, de la vie parlementaire afin de permettre plus de transparence sur les débats au sein de l’hémicycle.

« Vous êtes une bande de TikTokeurs qui cherchent le buzz ! »

Les opposants au mouvement de gauche ne voient pas cette utilisation digitale d’un bon œil. En octobre 2022, la députée Renaissance Fanta Berete s’attaque aux députés Insoumis qui, selon elle, accaparent la lutte pour défendre les classes populaires. « Comme vous aimez les prénoms, moi, je suis la fille d’Ibrahima et Mariam, ouvrier ou ouvrière, retraités avec une faible pension qui a été réévaluée par cette majorité », déclare-t-elle au cours d’une intervention dans l’hémicycle, avant de s’adresser à nouveau aux députés en question : « Vous ne représentez pas Ibrahima, Mariam et tous ceux avec qui j’ai grandi. Vous êtes une bande de TikTokeurs qui cherchent le buzz ! ».

Peu de temps après cet incident, le bureau de l’Assemblée nationale a interdit la retransmission des débats à l’Assemblée nationale via des plateformes de streaming telles que Twitch. Cette décision fait suite au rappel à l’ordre du député Insoumis Ugo Bernalicis, épinglé pour avoir streamé depuis les bancs de l’hémicycle avec sa chaîne « députwitch ». Auprès de l’AFP, l’élu explique que sa démarche « permet à des gens de s’intéresser à ce qui passe à l’Assemblée nationale, d’avoir des explications en direct et de se sentir partie prenante des débats ». Un point de vue que partage Glupatate, selon qui cet usage des réseaux sociaux n’est pas dérangeant, s’il « peut encourager les jeunes à s’intéresser à la politique et à se mobiliser davantage pour leur avenir. » 

Pourtant, l’exécutif et la majorité présidentielle ne sont pas non plus novices en la matière. L’exemple le plus évocateur est certainement celui de l’ancien ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, devenu une véritable star de TikTok au cours de son mandat. Il faut dire que le ministre s’est amusé à reproduire chacune des tendances de la plateforme, lui permettant d’adopter la « cool attitude » auprès des adolescents et de rassembler une communauté fidèle et réactive. D’ailleurs, les remarques élogieuses ne manquent pas dans la section commentaire de ses publications.

Des commentaires sous le TikTok de Jean-Baptiste Djebbari
Des commentaires sous le TikTok de Jean-Baptiste Djebbari

En clair, le monde politique se met à la page d’une époque hyper-numérique ; au point de remplacer progressivement les modes de communication traditionnels ? « Internet est juste un acteur supplémentaire parmi les autres en tant qu’outil de diffusion des idées, mais un acteur qui a pris de plus en plus d’importance et qui se renouvelle en permanence », rétorque Glupatate. Il ajoute que « chaque réseau social a son propre public, son propre fonctionnement et ses spécificités. Tiktok est un réseau plutôt récent, mais demain, peut-être qu’une nouvelle plateforme apparaîtra et qu’elle représentera une nouvelle manière de diffuser des idées ? ».


Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.