Le brevet détenu par Apple sur "l'effet élastique" des listes déroulantes sur les interfaces mobiles pourrait être invalidé par la justice américaine. Démontrant une nouvelle fois l'extrême fragilité d'un système qui délivre trop facilement des brevets qui ne peuvent être annulés qu'au prix de procédures très longues, stressantes et coûteuses.

Comme dirait l'autre, "c'est le jeu ma pauvre Lucette". Dans sa guerre contre Samsung (et surtout contre Android), Apple pourrait perdre l'un des nombreux brevets mis sur la table du juge. Alors que le jury s'est basé en partie sur ce brevet pour infliger 1 milliard de dommages et intérêts à Samsung, le Bureau américain des brevets (USPTO) craint que le titre ait sans doute été accordé trop vite, alors qu'il ne portait sur rien d'innovant. Il pourrait donc être annulé. Le cas échéant, ce sera moins une perte pour la firme de Cupertino qu'une preuve de plus qu'il est grand temps de réformer le droit des brevets, comme le réclament parmi d'autres Google et Amazon.

En effet, selon l'expert en propriété intellectuelle Florian Mueller, qui suit l'affaire de très près, l'USPTO aurait estimé dans un avis non encore définitif que l'ensemble des prétentions associées au brevet sur "l'effet élastique" des listes déroulantes étaient invalides. Le brevet, dont l'équivalent européen a été admis par un tribunal allemand le mois dernier malgré l'interdiction de breveter des logiciels en Europe, concerne le procédé graphique mis en oeuvre par Apple pour alerter l'utilisateur qu'il est arrivé en bout de liste. Lorsque l'utilisateur continue de scroller, la liste paraît comme accrochée à un élastique, et revient à sa position initiale.

Après ré-examen, l'USPTO estime que le brevet n'apporte aucune innovation par rapport à l'état de l'art, et qu'il n'est donc pas digne de protection au regard de loi sur les inventions brevetables. Apple a breveté une idée, mais sa mise en oeuvre technologique ne procède d'aucun génie particulier ; or les brevets doivent couvrir les innovations technologiques, et non les idées.

L'avis n'est pas encore définitif, et devra être confirmé par les tribunaux, éventuellement en appel. L'affaire illustre en tout cas à merveille le déséquilibre atteint par le système actuel des brevets, dans lequel les examinateurs n'ont plus le temps de vérifier la légitimité réelle des titres d'exclusivité qu'ils délivrent. "Lorsque je reçois une demande,  j'ai généralement deux jours pour faire des recherches et rédiger un document de 10 à 20 pages sur ce qui doit être, selon moi, approuvé ou rejeté", expliquait un examinateur il y a encore quelques jours. Nous avions évoqué plus longuement le problème dès 2008, en dénonçant les effets pervers de la course aux brevets sur l'économie.

Pour Florian Mueller, la probable annulation du brevet délivré à Apple ne serait pas une surprise, au regard de cette inflation de brevets. "Il serait statistiquement improbable que tous les brevets mis en avant soient valides tels qu'ils ont été délivrés", explique-t-il. "C'est simplement un fait que les bureaux des brevets à travers le monde, et particulièrement aux Etats-Unis, accordent de grandes quantités de brevets qui ne résistent pas à un examen sérieux (…). Le moment de vérité intervient lorsque le brevet est opposé à des acteurs aux poches profondes, comme Apple ou Samsung, qui dépensent des ressources pour vérifier l'état de l'art pour un seul brevet, qui sont des centaines et des centaines de fois plus importantes (plus d'heures et de gens coûteux) que les coûts du processus originel d'examen".

C'est pour cela que certains pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis commencent à déléguer la vérification des brevets auprès du public. 


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