C’est une petite musique que l’on entendait régulièrement au sommet de l’État depuis le premier quinquennat d’Emmanuel Macron : l’anonymat en ligne serait le mal absolu, le bouclier des lâches et la source de toutes les déviances du web. Une hostilité également partagée par les membres du camp présidentiel, des députés jusqu’au ministre de la Justice.
Pourtant, le 10 décembre 2025, au détour d’un échange avec le lectorat du journal Ouest-France, M. Macron a tenu un discours beaucoup plus nuancé sur ce sujet. Questionné par un participant demandant à ce que « la loi détermine que l’anonymat constitue un abus », qu’il faudrait sanctionner, le chef de l’État a tempéré ces velléités.
Le président de la République a en effet, de façon claire, reconnu des vertus à l’anonymat en ligne — ou, plus exactement, le pseudonymat, le vrai terme qui convient dans ce cas de figure. Emmanuel Macron a même admis que la perspective de supprimer totalement cet anonymat aurait « des tas d’effets pervers » et que ça serait de toute façon « très compliqué. »
Parmi les vertus qu’il a évoquées : la liberté d’expression et la circulation libre des informations : « L’anonymat a apporté beaucoup de choses dans les réseaux sociaux parce qu’il a permis à des gens dans des sociétés qui ne sont pas libres de pouvoir s’exprimer », a-t-il reconnu, et relevant un rôle « dans le fonctionnement libre des informations. »
Ce ton beaucoup plus conciliant tranche avec la position historique que l’exécutif semblait tenir sur ce terrain.
Macron reconnaît qu’il était plutôt pour une levée, mais il dit avoir « écouté les arguments »
Il faut se souvenir d’où l’on vient. En pleine campagne présidentielle, en avril 2022, M. Macron lançait au Point : « Dans une société démocratique, il ne devrait pas y avoir d’anonymat. On ne peut pas se promener encagoulé dans la rue. » Deux ans plus tôt, son premier ministre d’alors, Jean Castex, se livrait même à un parallèle avec « le régime de Vichy. »
Trois ans plus tard, le ton a changé.


Devant les lecteurs d’Ouest-France, Emmanuel Macron a concédé une évolution de sa pensée : « J’ai écouté les arguments des uns et des autres, parce que moi, je pouvais au début aller un peu dans votre direction », a-t-il ajouté, en répondant au lecteur qui appelait à lutter contre les déviances sur les réseaux sociaux.

Il a, à ce titre, listé quelques raisons pour lesquelles la fin de l’anonymat est une fausse bonne idée.
Emmanuel Macron a cité l’importance de cette protection pour les citoyens vivant dans des régimes autoritaires, ou même illibéraux au sein de l’Union européenne, et a évoqué explicitement la Hongrie de Viktor Orbán. Il a aussi pris le cas des lanceurs d’alerte, qui ont un besoin crucial de pseudonymat, ou de celles et ceux désirant parler « sans avoir la pression sociale. »
Le problème, « ce sont les gens qui abusent de l’anonymat »
Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas effectivement des abus. « Force de constater que l’anonymat a désinhibé les choses. Parce que quand on ne voit pas votre visage, qu’on ne connaît pas votre nom, ça libère un peu la parole et ça peut inciter certains à dire n’importe quoi. » a-t-il observé — même si cette désinhibition peut aussi se faire à visage découvert.
Reste que la solution préconisée par Emmanuel Macron n’apparaît plus être la levée a priori de l’anonymat, avec l’obligation d’apparaître sous son vrai nom en ligne ou de fournir une pièce d’identité pour ouvrir un compte sur un réseau social. En revanche, il s’agit plutôt d’accélérer la levée a posteriori, si une dérive est constatée.
« Force de constater que l’anonymat a désinhibé les choses. »
Emmanuel Macron
C’est ce que Numerama souligne d’ailleurs régulièrement : l’anonymat total n’existe pas. Votre fournisseur d’accès à Internet et les services numériques disposent de votre adresse IP et de vos données de connexion. Le recours à un VPN pour masquer ses traces peut compliquer ou ralentir l’identification, mais ce n’est pas un totem d’immunité.
Le locataire de l’Élysée l’a d’ailleurs dit : on a déjà des instruments juridiques pour retrouver l’auteur d’une infraction sur le net — même s’il « faut aller plus loin », à ses yeux. En somme, ce n’est pas un souci technique, mais plutôt judiciaire. « C’est encore trop lent », a-t-il observé. Il propose en particulier deux axes d’action :
Accélérer la procédure judiciaire : « Quand quelqu’un dit quelque chose de raciste, d’antisémite, d’homophobe, il faut pouvoir tout de suite exiger le retrait de ce contenu des plateformes et pouvoir poursuivre cette personne », a-t-il d’abord indiqué — mais cela dépend aussi du budget que l’État octroie à la justice, et s’il progresse, il reste très bas au global.
Responsabiliser encore plus les plateformes, dressant un parallèle avec les éditeurs de presse : « Si Ouest-France publiait dans un article […] quelque chose qui est raciste, antisémite ou autre, à la seconde, le rédacteur en chef serait attaqué […] Il faut que ce soit pareil pour les plateformes. On a la base avec le DSA. »
C’est cependant un raccourci juridique. Le DSA, bien qu’il durcisse les obligations de modération, conserve le statut d’hébergeur pour les réseaux sociaux. Contrairement à un rédacteur en chef qui valide les contenus avant publication (responsabilité a priori), les plateformes restent responsables a posteriori, une fois le contenu signalé.
Vouloir les traiter comme des éditeurs de presse nécessiterait une refonte du droit bien plus profonde que le règlement européen actuel.

Des moyens supplémentaires, plutôt qu’un empilement législatif ?
Ce désaveu à l’idée d’une levée immédiate et a priori de l’anonymat sur Internet sera certainement perçu favorablement par les défenseurs des libertés numériques, qui resteront toutefois vigilants sur les propositions alternatives d’action du président de la République. Car, parfois, le diable se cache dans les détails.
Le président semble en tout cas s’être rendu à un certain réalisme politique : il a glissé qu’il n’y aura « pas de consensus au niveau européen » pour aller vers une interdiction et que cela est « difficile à totalement supprimer » dans un monde globalisé.
Pour « aller beaucoup plus vite et plus fort », une partie de la résolution de l’équation est dans les moyens que le Parlement et le Gouvernement sont prêts à mettre dans la justice, pour traiter la masse sans cesse croissante de tous les contentieux numériques qui émergent. Et dans une utilisation plus régulière des leviers juridiques déjà en place.
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