Une mission habitée vers Jupiter aura-t-elle lieu de notre vivant ? On peut se poser la question, puisque l’humanité n’a ni visité Mars ni même colonisé la Lune, pourtant toute proche. La Nasa a tenu à souligner cette réalité, mais a reçu une volée de bois vert sur les réseaux sociaux. Cependant, le fond du message n’est pas faux.

On a coutume de dire que l’espace est difficile d’accès. L’histoire de la conquête spatiale illustre bien cette réalité. Mais, faut-il toujours le dire, même si c’est vrai ? La question peut surprendre, pourtant elle capture bien l’essence d’une petite controverse qui a émergé outre-Atlantique le 28 octobre 2023. Une polémique bénigne, qui a impliqué la Nasa.

Tout est parti d’un message publié sur X (ex-Twitter) par le compte Nasa 360, pour la promotion de la mission Europa Clipper, qui consistera à envoyer une sonde en orbite autour d’Europe, un satellite de Jupiter. Objectif : observer s’il existe des conditions favorables à l’émergence de la vie. Après son départ en 2024, il faudra six ans à l’observatoire pour rejoindre sa destination.

Jupiter NASA 360
Le tweet qui a fait couler un peu d’encre sur X. // Source : Nasa 360

Europa Clipper n’est pas la première mission inhabitée à viser le système jovien — le nom attribué à Jupiter et ses lunes. La zone a déjà été survolée à diverses occasions (Pioneer, Voyager, Ulysses, Cassini-Huygens et New Horizons). Par ailleurs, il y a eu des missions dédiées, telles que Galileo et Juno. Prochainement, il y aura également JUICE — cette mission est partie cette année.

Mais, d’exploration humaine, il n’y en a eu aucune et ce n’est certainement pas près d’arriver. C’est ce qu’a indiqué Nasa 360 dans son message : « Visiter Jupiter fait-il partie de votre liste de choses à faire ? Il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas près d’arriver. » À la place, les internautes étaient invités à inscrire leur nom pour qu’il voyage avec la sonde.

La publication a reçu une certaine attention sur les réseaux sociaux, mais pas nécessairement celle espérée par le community manager en charge d’animer le compte. Des internautes ont reproché à l’agence d’avoir un discours défaitiste sur les ambitions humaines en matière d’exploration spatiale. D’autres ont trouvé qu’on ne peut pas faire pire pour casser des vocations.

« Visiter Jupiter fait-il partie de votre liste de choses à faire ? Il faut se rendre à l’évidence, ce n’est pas près d’arriver. »

Nasa

« C’est anti-américain », a dit un internaute en réponse. Un autre a confirmé qu’on ne va certainement pas y aller avec « cette attitude ». « Parlez pour vous », a lancé un troisième intervenant. « La Nasa est vraiment là pour dire aux enfants d’arrêter de rêver », a lancé un quatrième particulier. Les autres réactions sont globalement du même acabit.

Des interventions qui ont convaincu la Nasa de nuancer son propos, deux jours après son message initial, pour calmer le jeu : « Hé, les amis, nous nous sommes trompés. Nous voulons être clairs : nous cherchons toujours à atteindre les étoiles (et les planètes et les lunes), et nous voulons que ce que nous faisons vous inspire à faire de même. N’arrêtez jamais de rêver ! »

Ce n’est peut-être pas impossible, mais ce sera très difficile

Des excuses cette fois mieux accueillies. Le fond du message de l’agence n’était pourtant pas si faux : la perspective d’une visite humaine de Jupiter est réellement à un horizon excessivement lointain. Peut-être y aura-t-il une mission habitée dans le système jovien, mais on peut s’interroger, par exemple, sur les chances qu’elle ait lieu durant ce siècle.

Il y a d’abord une réalité concrète : aujourd’hui, aucun humain n’a mis les pieds sur une planète. L’unique réalisation que l’humanité peut revendiquer est la visite de la Lune, dans les années 60 et 70. Cela, alors que le satellite n’est distant « que » de 380 000 km de la Terre. Or après la dernière mission de 1972, plus aucun autre vol n’a eu lieu (il faudra attendre Artémis en 2024).

Certes, l’humanité devrait refouler le sol lunaire lors de la décennie 2020, après un demi-siècle d’interruption. Mars, qui une planète assez proche de la Terre et dont le profil est assez proche de la planète bleue, se trouve encore plus loin, à une distance moyenne de 225 millions de km. L’éloignement de Jupiter est encore plus prononcé, avec un écart de 628 millions de km.

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Jupiter et son tourbillon iconique. // Source : NASA on The Commons

Pour avoir une idée du temps de vol, la sonde Juno a mis presque 5 ans pour rallier Jupiter (dont 2 passés sur une orbite de transfert, après son départ de la Terre). La sonde New Horizons a mis nettement moins de temps, puisque son voyage a été bouclé en 13 mois. En comparaison, les missions habitées Artémis pour la Lune vont se compter en jours et en semaines.

Certes, la Nasa réfléchit à une mission habitée vers Mars — comme d’autres agences spatiales, et cela, depuis des décennies. Aujourd’hui, on évoque un calendrier qui conduirait un équipage à proximité ou sur la planète rouge vers la fin des années 2030, ou en 2040. Cette esquisse de planning n’est toutefois que très provisoire et incertaine.

Des défis immenses à relever

Penser une mission vers Jupiter requiert la résolution de défis immenses : les vivres pour l’équipage, l’occupation à bord, la santé mentale pour tenir aussi longtemps, la santé physique face aux rayonnements cosmiques, la gestion médicale en autonomie, la communication avec la Terre, le nécessaire pour la maintenance du véhicule et mille autres challenges du même ordre.

Là encore, un rappel pour la comparaison : Valeri Poliakov est l’homme qui détient le record du plus long vol spatial habité, avec un peu plus de 437 jours. Or, cela ne correspond « qu’à » une mission habitée d’un an et deux mois. Cela couvrirait à peine la durée du vol aller d’une mission capable d’aller aussi vite que New Horizons. Et on ne parle ici que du vol aller. Il faudra bien revenir.

Source : Nasa
Les humains sont-ils capables de passer des années dans une mission spatiale ? // Source : Nasa

Il existe certes des travaux au sein des agences spatiales pour réfléchir aux vols habités dans l’espace profond. Des expérimentations autour des séjours (très) longs dans l’espace sont également pensées et mises en place. Le progrès technique est aussi un facteur sur lequel il est possible de miser pour raccourcir ici le temps de vol, là améliorer la vie en autonomie dans l’espace.

Cependant, la Nasa n’a pas eu fondamentalement tort de rappeler que l’espace est un environnement extrêmement difficile et que certains accomplissements, s’ils ont lieu, ne surviendront pas de notre vivant. S’il ne s’agit pas de casser le rêve des enfants, il y a aussi une réalité avec laquelle il faut composer. Ce n’est pas faire injure à la jeune génération que de le souligner.

Surtout qu’il y a « visiter Jupiter » et visiter Jupiter.

Survoler la géante gazeuse est une chose que l’on peut dire, cela entre dans le domaine du vraisemblable. Entrer dans la planète pour visiter son centre ou son noyau relève davantage du fantasme. L’intérieur est invivable, avec une pression et une température si extrêmes qu’un vaisseau spatial qui se risquerait à plonger dedans serait immanquablement détruit.

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