Le 14 décembre 1972, les astronautes de la mission Apollo 17 ont quitté la Lune. Depuis, plus aucun humain n’a foulé le sol du satellite de la Terre. Malgré l’enthousiasme suscité en 1969, pourquoi personne n’est-il retourné sur la Lune depuis presque 50 ans ?

En 2024, la Nasa entend renvoyer des humains sur la Lune. Le futur programme, baptisé Artémis, devrait pour la première fois permettre à une femme de poser le pied sur l’astre dans l’histoire. L’heure est aux préparatifs techniques, avec des tests de fusée, mais aussi aux choix des priorités scientifiques du programme. La Nasa va également faire appel à des entreprises privées pour son retour sur le satellite naturel terrestre.

Il y a 52 ans, trois astronautes américains décollaient de la surface de la Terre. Objectif : se rendre sur la Lune. C’était le lancement de la mission Apollo 11, le 16 juillet 1969. 3 ans plus tard, le 14 décembre 1972, d’autres astronautes ont quitté la surface de l’astre. C’était la mission Apollo 17, qui rentrait elle aussi sur Terre. Depuis ce jour, plus aucun humain n’a foulé le sol lunaire. Malgré l’enthousiasme provoqué par l’exploit de 1969 (plus de 600 millions de téléspectateurs ont suivi cet atterrissage), pourquoi aucune autre mission habitée n’a-t-elle eu lieu en presque 50 ans ?

Pour le comprendre, il faut revenir plusieurs décennies en arrière, justement. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, le monde est en pleine guerre froide, cette époque de tensions idéologiques et politiques entre les États-Unis et l’URSS (et leurs alliés respectifs). C’est le moment de la « course à l’espace » : l’URSS a réalisé le premier vol spatial habité avec Youri Gagarine en 1961 (2 ans plus tard, la soviétique Valentina Terechkova est la première femme à voler dans l’espace).

Une page tournée pour des raisons politiques

Dès 1962, Le président américain John Fitzgerald Kennedy annonce que les États-Unis poseront le pied sur la Lune avant la fin de la décennie. L’objectif a été atteint et plusieurs missions lunaires habitées ont même eu lieu, jusqu’en 1972. Et ensuite ? « La page a été tournée, nous explique Francis Rocard, astrophysicien et responsable du programme d’exploration du système solaire au Centre national d’études spatiales (Cnes). Apollo s’est terminé après Apollo 17. Apollo 18, 19 et 20 ont été annulés. Les Américains estimaient que la démonstration avait été faite. »

Les traces de pas et le drapeau pendant la mission Apollo 11. // Source : Flickr/CC/Nasa Johnson (photo recadrée)

Les traces de pas et le drapeau pendant la mission Apollo 11.

Source : Flickr/CC/Nasa Johnson (photo recadrée)

À cette époque, la motivation qui prévaut pour que les humains visitent la Lune est d’ordre politique. « Une fois que la démonstration a été faite, l’impulsion nécessaire pour poursuivre le programme s’est essoufflée. L’objectif politique avait été atteint et l’objectif scientifique lui seul n’était pas suffisant pour maintenir cette mobilisation », complète Claudie Haigneré, astronaute et conseillère auprès du directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA). Les États-Unis ont gagné leur pari, dans les délais annoncés et en réussissant même à provoquer « l’essoufflement des soviétiques à ne pas pouvoir relever le défi », complète Francis Rocard. Puisque leur victoire est complète, l’intérêt de continuer ne semble pas évident.

On peut alors penser spontanément : et la science ? Même si la victoire idéologique était totale, les scientifiques de l’époque ne pensaient-ils pas, de leur côté, qu’il restait des choses à apprendre sur la Lune ? « La problématique de la science sur la Lune n’était pas la préoccupation de Kennedy », poursuit l’astrophysicien membre du Cnes. Du côté des scientifiques eux-mêmes, l’annonce de la future exploration lunaire par les humains n’avait d’ailleurs pas fait l’unanimité. « La mission lunaire n’a jamais été universellement acceptée dans la communauté scientifique américaine », nous éclaire John Krige, historien des sciences et professeur à Georgia Tech.

Une opposition du côté des scientifiques

Les scientifiques étaient nombreux à douter de l’intérêt d’un tel programme. John Krige nous explique quel fut leur raisonnement à l’époque : « ‘Nous avons besoin d’agent pour la science, il n’y a pas d’intérêt scientifique sur la Lune, utilisons plutôt cet argent pour améliorer la recherche scientifique’. Une forte opposition a toujours été présente dans la communauté scientifique américaine, résume l’historien. C’était risqué : le gros problème lorsque l’on envoie des gens sur la Lune, c’est bien sûr de les y amener, mais il faut surtout pouvoir les ramener sur Terre. »

Le pied d'un des astronautes sur la Lune pendant la mission Apollo 11. // Source : Flickr/CC/Nasa Johnson (photo recadrée)

Le pied d'un des astronautes sur la Lune pendant la mission Apollo 11.

Source : Flickr/CC/Nasa Johnson (photo recadrée)

Après Apollo 11, l’enthousiasme du public pour les missions lunaires retombe peu à peu. Le contexte historique américain ramène l’attention vers les problèmes qui ont lieu sur Terre. « Très rapidement, les gens se sont désintéressés des activités lunaires car il y avait de nombreux autres problèmes dans la société américaine à cette époque, par dessus-tout la guerre au Vietnam, ou les émeutes en hausse dans les grandes villes américaines », complète John Krige.

Ceci ne signifie pas pour autant que la Lune n’avait (et n’a encore) plus rien à nous apprendre. Les échantillons (385 kilos de roches lunaires) rapportés au cours des différentes missions n’ont pas tous été ouverts. « Sur la connaissance de la Lune elle-même, on en sait peu, affirme Claudie Haigneré. On commence tout juste à découvrir la présence de l’eau dans les pôles. Ses volatils, sa poussière, ses ressources en eau, son activité sismologique pratiquement disparue… il y a pleins de sciences de la Lune qui intéressent la communauté scientifique. »

Un astre avec un intérêt scientifique… parmi d’autres

La Lune perd pourtant la place privilégiée qu’elle avait acquise pour le grand public avec l’exploit de 1969. « La Lune est revenue dans le giron des corps planétaires qui ont un intérêt scientifique, parmi d’autres », note Francis Rocard. Et personne n’envisageait d’y renvoyer un être humain, depuis la fin du programme Apollo. Les modules qui auraient dû servir aux expéditions 18, 19 et 20 ont fini leur existence dans des musées.

C’est l’orbite basse terrestre qui intéresse alors la Nasa : pendant près de 30 ans, « la navette et l’ISS [ndlr : la Station spatiale internationale] ont alimenté tous les programmes de vols habités », complète Francis Rocard. C’est aussi une question de moyens financiers, comme le note John Krige : « Dès le départ, la Nasa a prévu un très gros projet, incluant le fait d’utiliser la Lune comme une base pour aller plus loin, sur Mars. Mais les coupures dans leur budget ont été telles qu’ils ont décidé d’aller sur la Lune, d’ensuite se concentrer sur la Station spatiale internationale, et ensuite s’occuper du voyage vers Mars. »

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la conquête de Mars. C’est cet objectif qui explique aujourd’hui le regain d’intérêt pour une mission habitée vers notre satellite naturel. Le souhait d’aller sur Mars n’est pas nouveau, comme nous le rappelle Francis Rocard. « Il y a un fort consensus aux États-Unis entre la Maison blanche, le Congrès et la Nasa sur cet objectif à long terme : l’homme sur Mars. » Pour l’atteindre, l’unique possibilité est de travailler en séquences. « Le Congrès n’acceptera jamais de doubler ou tripler le budget de la Nasa, d’où la nécessité du ‘pathway’, c’est-à-dire de trouver le chemin pour aller de l’orbite basse jusqu’au sol de Mars », détaille l’astrophysicien.

Le centre de contrôle de mission en 1969. // Source : Flickr/CC/Nasa Johnson (photo recadrée)

Le centre de contrôle de mission en 1969.

Source : Flickr/CC/Nasa Johnson (photo recadrée)

Un nouveau paysage spatial au 21e siècle

Le paysage spatial actuel est aussi différent en ce début de 21e siècle, comme le souligne Claudie Haigneré : « On voit apparaitre de nouvelles puissances étatiques spatiales qui n’étaient pas là au 20e siècle, la Chine en particulier, présente sur la face cachée de la Lune. C’est un aiguillon pour la Nasa, pour recommencer à avancer. On voit aussi apparaitre des acteurs privés, comme Elon Musk avec ses lanceurs lourds et Jeff Bezos avec Blue Origin. » Le poids de ces pays et de ces acteurs privés n’est pas négligeable pour motiver la Nasa à retourner sur la Lune, puis à viser Mars.

« Sur des projets aussi couteux, il faut qu’il y ait plusieurs impulsions en même temps. L’impulsion scientifique n’était probablement pas suffisante. Elle s’ajoute aujourd’hui à des impulsions politiques, technologiques, et à 40 ans de maîtrise du vol en station orbitale. Le public a envie de voir l’étape qui va suivre, de l’exploration d’un espace plus lointain », complète l’astronaute. Or, cette prochaine étape, la conquête de Mars, va demander de grands moyens.

La Lune, une étape technologique sur le chemin vers Mars

Pour poser l’humain sur la planète rouge, « les étapes à franchir ne sont pas géographiques, elles sont technologiques », résume Francis Rocard : d’abord l’orbite lunaire, puis un retour à la surface de la Lune, peut-être un vol vers des astéroïdes, un premier survol de Mars, une mission en orbite martienne et, enfin, un humain à la surface de la planète. « Cette étape la plus difficile sera plutôt en 2050. On peut envoyer des hommes vers Mars en 2033, mais ils ne se poseront pas. L’engin qui doit se poser sur Mars fera entre 30 ou 40 tonnes et il n’existe pas encore », explique Francis Rocard, qui rappelle qu’il faudra également pouvoir habiter sur Mars.

« Kennedy a dit : ‘Nous n’allons pas sur la Lune car c’est facile, mais parce que c’est difficile’ en 1962 », nous rappelle John Krige. Selon l’historien, la citation résume bien l’état d’esprit des États-Unis au long de leur histoire de la conquête spatiale… et qui semble encore, presque 50 ans après le départ de la mission Apollo 11, animer ses ambitions martiennes.


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