Créée par Sarah Lampert et diffusée sur Netflix depuis 2021 (à une généreuse cadence de 10 épisodes d’une heure environ par saison), la série Ginny & Georgia est un succès surprise qui ne se dément pas. Savant mélange entre Desperate Housewives, Gilmore Girls et Breaking Bad, la série suit les péripéties de Georgia Miller (Brianne Howey). Cette jeune mère au passé violent vient s’installer dans la petite ville de Wellsbury dans le Massachusetts avec ses deux enfants, Ginny (Antonia Gentry) et Austin (Diesel La Torraca). Comme son titre l’indique, Ginny & Georgia repose en grande partie sur cette relation mère-fille, dans laquelle s’entremêlent affection et toxicité.
On plonge dans le quotidien lycéen de Ginny d’un côté, et dans celui de Georgia de l’autre, qui parvient à trouver du travail à la Mairie avant d’entamer une histoire d’amour avec le maire Paul Randolph (Scott Porter). Diffusée en janvier 2023, la saison 2 s’achevait sur un cliffhanger soapesque à souhait : Georgia était arrêtée le jour de son mariage avec Paul et accusée de meurtre ! Deux ans et demi plus tard, on retrouve enfin notre criminelle préférée dans une troisième saison, centrée sur son procès.
L’un des grands plaisirs de visionnage avec Ginny & Georgia réside dans sa science des twists qui laissent bouche bée. Mais, s’il y a bien une chose plus prévisible à chaque nouvelle saison, ce sont les commentaires méprisants d’une partie des « Peaches » (le petit nom du fandom de la série, car Georgia surnomme sa fille « Peach ») contre le personnage de Ginny.
C’est toujours la faute à Ginny : vraiment ?
Sous le trailer de la saison 2, mis en ligne par Netflix sur YouTube en décembre 2022, on peut lire, par exemple, en premier commentaire, liké des milliers de fois : « J’espère que cette saison, Ginny verra à quel point elle a de la chance d’avoir Georgia. » Sous le trailer de la saison 3, également sur la chaine YouTube de Netflix depuis le 8 mai 2025, le commentaire le plus liké et engageant le débat est du même acabit : « C’est moi où Ginny va ENFIN soutenir davantage sa mère ? ». Depuis le début de la série, le comportement de l’adolescente fait l’objet de débats enflammés et de critiques.

Les subreddits « Ginny est agaçante » ou « Je déteste Ginny » se sont multipliés au fil des saisons. L’adolescente y est décrite comme une sale gosse, ingrate face aux sacrifices de sa mère, qui explose de colère pour un oui ou un non et prend toujours les mauvaises décisions. Quand une réplique de la saison 2 lancée par l’adolescente à sa mère (« Tu changes de mecs plus vite que Taylor Swift ») est jugée « sexiste et paresseuse » par la star visée, créant un bad buzz mondial, c’est Antonia Gentry qui se retrouve dans l’œil du cyclone, et non les scénaristes. L’interprète de Ginny s’est alors retrouvée victime de cyber-harcèlement et de commentaires racistes.
Pourquoi tant de haine contre Ginny ?
Ce n’est pas la première fois qu’un personnage de série rebrousse le poil des fans, en particulier dans les fictions centrées autour d’un personnage tout-puissant, héroïque ou anti-héroïque. Parmi les protagonistes les plus détestés de l’histoire de la télévision, on retrouve souvent dans les classements l’adolescente Dawn Summers, de la série Buffy. Comme Ginny, Dawn est en proie à une crise existentielle et se trouve très dépendante de Buffy, qui lui sert de mère de substitution. Elles expriment toutes les deux ce mal-être vocalement, mais aussi physiquement, en s’automutilant.
Leur rage féminine face à une société et des proches qui ne les comprennent pas toujours créent un malaise chez les fans. Leur comportement, certes parfois immature ou agaçant aux yeux d’un public adulte, est pourtant des plus réalistes. Le passage à l’âge adulte est une étape bouleversante, en particulier pour une jeune femme comme Ginny, qui découvre que les règles du jeu sont pipées d’avance pour elle, particulièrement en tant que femme noire.

Dawn et Ginny ont aussi le malheur de s’opposer à des figures charismatiques et admirées, et ça ne passe pas. Buffy est une super-héroïne qui sauve le monde deux fois par semaine, tandis que Georgia a eu ses enfants très jeune (à 15 ans pour Ginny) et a fait face à la violence masculine seule et sans argent. Comme Walter White dans Breaking Bad, cette mère courage justifie toutes ses actions répréhensibles par la nécessité de protéger sa famille et de subvenir à ses besoins. Et peu importe les moyens, la négligence émotionnelle et les traumatismes qu’elle peut faire subir au passage à ses enfants.
Ginny se trouve dans la position bien inconfortable de Skyler White. La femme dépressive et passive d’Heisenberg dans Breaking Bad est devenue un des personnages les plus détestés de l’histoire des séries parce qu’elle tente de s’opposer à la chute morale de son mari. Son interprète, Anna Gunn, a témoigné de l’acharnement dont elle a été victime par les fans de la série culte, en empathie totale avec le personnage de Walter White. En dehors de l’écriture de ces personnages, il faut souligner le surplus de haine misogyne qui peut se déchaîner sur les protagonistes féminins qui osent exprimer leur désaccord face au héros ou à l’héroïne de l’histoire.
Une hostilité nourrie par le racisme
Dans le cas de Ginny, cette hostilité est redoublée par le fait qu’elle est métisse. On parle alors de misogynoir, un concept créé par l’universitaire américaine Moya Bailey en 2008, qui décrypte les mécanismes à l’œuvre dans la double discrimination spécifique subie par les femmes noires. Ginny n’a jamais le droit à l’erreur, comme ses amies blanches, et si elle se permet de dénoncer, par exemple, le manque d’auteurs et autrices racisées dans la liste de lecture fournie par son professeur de littérature anglaise, ce dernier lui assigne un devoir supplémentaire au lieu de rectifier le tir par lui-même. Exaspérée, Ginny quitte son cours préféré. Une attitude qualifiée d’arrogante par de nombreux fans. Heureusement, d’autres dénoncent le traitement injuste trop souvent réservé aux personnages féminins noirs.
« Notre société s’attend systématiquement à ce que les filles noires soient au-dessus des difficultés de leurs camarades blanches. On ne met pas sur un pied d’égalité leurs difficultés adolescentes, et même en cas de maltraitance ou de négligence, elles sont souvent considérées comme coupables plutôt que comme victimes », relève une fan de la série, Character_Swing_4908, sur Reddit.

Avant Ginny, d’autres personnages racisés comme Marina (Ruby Barker) dans Bridgerton ou Vanessa (Jessica Szohr) dans Gossip Girl ont connu un traitement similaire de la part des fans. Dans un Subreddit dédié à Ginny & Georgia, une fan répondant au pseudo Theme-Fearless explique que « c’est épuisant d’être une personne de couleur dans un fandom ». Inconscients de leur biais racistes, de nombreux fans ont tendance à prendre en grippe les personnages racisés qui ne se comportent pas de façon exemplaire dans une série.
Le cas de Ginny est encore plus parlant, car il bouscule les représentations archétypales des personnages racisés dans la pop culture, souvent clichés (la meilleure amie sassy) et secondaires. Non seulement Ginny est un personnage principal racisé, mais en plus, elle souffre d’anxiété et s’automutile. C’est une réalité — les personnes racisées ont plus de chances de souffrir de dépression durant leur vie en raison des discriminations subies — qui semble déranger.
La série aborde également le décalage que cette jeune femme métisse ressent en étant éduquée par une mère blanche qui ne lui ressemble pas physiquement et qui ne peut pas faire l’expérience du racisme systémique. Elle consulte une psychologue, alors que sa mère refuse de faire de même. Plus subtilement, la saison 3 nous montre que la société sera toujours plus clémente avec une jeune et jolie femme blanche comme Georgia, quel que soit son passif, qu’avec une femme noire. Dans une scène méta (c’est-à-dire qui s’autoréférence et a donc « conscience » d’être une scène de série), Ginny et Georgia découvrent l’existence d’un mauvais soap centré sur leur vie. « Ils m’ont rendue blanche ! », découvre l’adolescente, sous le choc.

Telle mère, telle fille
Parmi les thématiques sensibles qu’aborde la série avec brio, Ginny et Georgia dépeint le processus de la parentification. Parce que Georgia a eu Ginny très jeune, et qu’elle n’a pu compter que sur elle-même pour survivre face à la violence masculine et classiste, elle exige inconsciemment de sa fille qu’elle tienne le rôle de parent. C’est ce qui se passe en particulier durant la saison 3, dans laquelle Ginny commence à se comporter avec son jeune frère Austin de la même façon que Georgia avec elle. « C’est nous contre le monde », lui répète-t-elle, reprenant l’adage de sa mère. Alors que Georgia doit faire face aux conséquences de ses actes, Ginny se sent le devoir de protéger sa mère, quel qu’en soit le prix.
Son personnage gagne en maturité et sa colère se déplace vers son père Zion (Nathan Mitchell) durant cette nouvelle saison. Pour cette raison, il se pourrait bien qu’elle soit enfin un peu épargnée par les fans cette année. Mais que Ginny s’oppose ou soutienne sa mère, n’oublions pas ce que la série essaie de nous dire : tant qu’elle ne travaillera pas véritablement sur elle, Georgia transmettra ses traumas et ses principes contestables (la fin justifie les moyens) à ceux qu’elle dit chérir plus que tout au monde, ses enfants.
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