C’est une signature visuelle popularisée par Tesla et que de nombreux constructeurs ont adopté : des poignées de porte qui s’effacent dans la carrosserie pour une silhouette parfaitement fluide. Pourtant, derrière cette esthétique bien soignée se serait cachée une bataille interne féroce.
Selon une enquête publiée le 22 décembre 2025 par Bloomberg, Elon Musk a été explicitement averti des risques potentiels liés à ces mécanismes d’ouverture électriques, bien avant que des incidents tragiques ne fassent la une des journaux.
L’esthétique avant la fonction
Dès la conception de la Model S, Elon Musk a exigé des poignées affleurantes. L’idée était de créer un effet waouh avec des poignées qui sortent de la carrosserie à l’approche du conducteur, puis qui se rétractent une fois en mouvement. Lors de la finalisation de la Model 3 début 2016, les équipes de Tesla se sont de nouveau interrogées sur la manière dont les portes devaient s’ouvrir.
Comme le souligne Bloomberg, les ingénieurs de Tesla auraient alerté Musk sur le fait que l’ajout de moteurs électriques et de capteurs dans une zone aussi exposée que les portières multipliait les points de défaillance. En cas d’accident ou de panne de la batterie principale, le risque que les portes restent verrouillées mécaniquement devenait une menace réelle pour la sécurité des occupants.
Une problématique connue après la Model S dès 2012, puis le Model X en 2015, puisque des propriétaires s’étaient déjà plaints de défauts au niveau des poignées de porte.
Des avertissements ignorés par Elon Musk
Cependant, chez Tesla, la culture d’entreprise fait souvent primer la vision du patron sur les protocoles de prudence habituels de l’industrie automobile. Des sources internes ont confié à Bloomberg que Elon Musk considérait toute alternative — comme des poignées mécaniques classiques plus fiables — comme une concession inacceptable, propre à l’ancien monde de l’automobile. Il fallait que pratiquement tout dans le véhicule (y compris les portes) soit contrôlé électriquement, en appuyant sur un bouton ou en touchant l’écran tactile.
Toujours d’après ces sources, Elon Musk voulait s’inspirer d’Apple pour la Model 3, avec une interface la plus épurée possible. Lors d’une réunion, le patron affirmait préférer la philosophie : « The best part is no part », comprenez « la meilleure pièce est celle qui n’existe pas ».
Mais attention, il n’y a pas que le patron qui a voté en faveur de ces poignées. Certains designers y ont trouvé « des avantages ergonomiques ». En effet, le bouton de déverrouillage à l’intérieur est placé en haut de l’accoudoir, là où la main du conducteur se pose naturellement pour ouvrir la porte. Et, en plus d’une esthétique plus soignée, ce design a donc aussi permis de faire des économies en se passant d’autres pièces.
Cependant, des tests de sécurité internes auraient déjà soulevé des inquiétudes quant à la réactivité des poignées par temps de gel ou après des chocs latéraux violents. Et, malgré ces remontées, Elon Musk a maintenu ce design.
Le coût humain du design
Les conclusions de l’enquête sont particulièrement sombres. Grâce à des données récupérées auprès de l’agence américaine de la sécurité routière (NHTSA), Bloomberg a relevé au moins 15 décès survenus au cours des dix dernières années dans des accidents où l’impossibilité d’ouvrir les portières a été un facteur aggravant. Plus de la moitié de ces décès ont été enregistrés depuis novembre 2024.
L’année dernière, l’accident d’une Model S a fait cinq morts. D’après le rapport du médecin légiste, des témoins ont rapporté avoir entendu des cris provenant de l’intérieur du véhicule, notamment une femme qui disait « je suis coincée ». Bloomberg affirme également s’être procuré l’enregistrement audio de trois appels au 911, dont un passé automatiquement par l’Apple Watch d’un occupant du véhicule, dans lequel on peut entendre des cris.
Dans l’un des cas les plus récents, un jeune homme de 20 ans est décédé en octobre 2025 dans le Massachusetts après que sa Model Y a percuté un arbre. Le conducteur avait réussi à appeler les secours, signalant qu’il était « piégé à l’intérieur du véhicule et que le véhicule était maintenant en feu ». Il a malheureusement perdu la vie.
Malgré la présence d’une ouverture mécanique de secours, certains pointent du doigt le manque de clarté quant à leur placement. Selon le modèle, l’ouverture manuelle peut se trouver au niveau des commandes de vitres ou carrément au fond du vide-poches, sous un cache.
Une remise en question naissante
Aujourd’hui, alors que Tesla fait face à une surveillance accrue de la NHTSA aux États-Unis, d’autres institutions commencent à prendre très au sérieux le sujet. La Chine a proposé de figer des normes encadrant la forme des poignées de portes, tandis que la Commission économique pour l’Europe des Nations unies scrute activement la problématique.
Face à ces événements édifiants, Tesla ne reste pas de marbre. Au mois de septembre 2025, le designer en chef de la marque, Franz von Holzhausen, a expliqué que le constructeur travaillait sur une nouvelle conception de ses poignées de porte, combinant les mécanismes électriques et manuels d’ouverture des portes, afin de les rendre plus intuitives pour les occupants « en situation de panique ».
Par ailleurs, le 19 décembre 2025, le constructeur américain a lancé sur son site internet une page entièrement dédiée à la sécurité de ses véhicules. Dans la partie post-collision, on peut lire que « lorsqu’une collision grave est détectée, les feux de détresse s’allument pour augmenter votre visibilité et les portes se déverrouillent automatiquement pour permettre l’accès aux secours ».
Si l’enquête de Bloomberg se porte scrupuleusement sur Tesla, la marque n’est pas la seule à faire l’objet de vives critiques à propos de ses poignées de porte. En Chine, un drame similaire dans lequel le conducteur est resté piégé à l’intérieur après un crash est arrivé avec une Xiaomi SU7 au mois d’octobre 2025.
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