Henrik Fisker n’en est pas à son coup d’essai dans le domaine de la voiture électrique. La renaissance de la marque Fisker passe par la création d’un premier SUV, le Fisker Ocean, qui fait partie des voitures remarquées et appréciées sur cette édition 2022 du salon de l’automobile de Paris. Il est, cette fois, bien décidé à proposer une approche différente, au risque de surprendre, voire carrément de choquer, selon ce qu’il nous a confié.
Pénurie de semi-conducteurs, concurrence chinoise, voiture électrique abordable, production locale et réseaux sociaux : installés à bord du Fisker Ocean au milieu du stand, nous avons abordé avec lui tous ces thèmes. Il n’y a guère que les sujets se rapportant à son principal rival d’une célèbre marque automobile américaine, qui effacent le sourire et l’enthousiasme de ce designer et entrepreneur.
« On a essayé de créer un véhicule vraiment cool »
Numerama : Connaissant votre historique, j’étais assez surprise de découvrir que votre premier véhicule, pour ce nouveau départ, était un SUV. Pourquoi ce choix ?
Henrik Fisker : Vous savez, les SUV, c’est le marché avec la plus forte croissance dans le monde. On avait besoin de trouver un moyen de faire de l’argent rapidement pour pouvoir après produire des supercars. Honnêtement, on ne peut pas faire assez de profit pour survivre avec uniquement une production de supercars.
Porsche, Lamborghini et même Ferrari vendent désormais des SUV. Tout le monde le fait, malheureusement, parce que c’est aussi ce que veulent les gens. On a donc essayé d’en faire un qui soit le plus sportif, le plus joli que l’on pouvait, et surtout le plus pratique.
On a, par exemple, plusieurs fonctionnalités assez uniques [il montre la tablette qui se déploie à la place de la boite à gants, côté passager], mais aussi cette tablette cachée dans l’accoudoir central, qui permet de travailler avec un ordinateur ou de manger un tacos depuis le siège conducteur. Entre nous, on l’appelle le « tacos tray » [support à tacos, en français]. On a aussi déplacé l’espace de rangement de la boîte à gants sous le siège conducteur. Enfin, on a mis toutes les commandes de contrôle, de la température et du son, accessibles depuis la rangée arrière, par un écran placé dans l’accoudoir central.
On a essayé de créer un véhicule vraiment cool, mais que l’on peut réellement utiliser tous les jours. C’est ça, l’esprit.
C’est malin ! Beaucoup d’éléments sont assez ingénieux dans cette voiture, à l’intérieur comme à l’extérieur. Cet écran central est énorme !
Oui, l’écran est grand, et il pivote. On a fait tout le système en interne, toutes les icônes ont été imaginées par nous. Nous sommes assez fiers du résultat.
De la supercar à la voiture abordable de Fisker
On connait vos talents de designer pour créer des voitures désirables. Quand allez-vous faire de nouvelles « Dream Car » ?
On travaille actuellement sur un modèle, qui s’appelle Ronin. Ce sera comme une grande GT sportive, où l’on peut loger 4 personnes et des bagages. On essaye de recréer l’excitation autour des voitures sportives. Je vois qu’une bonne partie des voitures sportives électriques sont des modèles aux performances moyennes et je crois que l’on a besoin de quelque chose de différent. Quelque chose de nouveau.
Et, votre autre concept, le projet Pear, sera-t-il plus abordable pour tout le monde ?
Cela va être abordable, en dessous de 30 000 €. La Pear aura un design radical, vraiment très radical.
Si je cherche une voiture adaptée à un(e) célibataire, qui ne veut pas rouler avec une grande familiale, pourrais-je trouver cela chez Fisker ?
La Pear sera plus petite que la Fisker Ocean, mais ne sera pas une petite voiture, parce que les petites voitures, c’est très typique du marché européen. Elles sont amenées à disparaître, car elles ne pourront pas s’adapter aux nouvelles réglementations. En plus, elles sont trop chères à fabriquer, donc cela va inciter les gens à passer sur le segment supérieur.
En France, vous avez vraiment de petites voitures, comme chez Peugeot. Avec la Pear, on est plutôt sur la taille d’une Volkswagen Golf, mais très différente, quelque chose que l’on n’a jamais vu. Elle aura de belles proportions, mais ce sera quelque chose de très éloigné de ce que l’on connaît.
Il faudra probablement un peu de temps pour s’habituer à ce véhicule. Au début, vous vous direz : « oh, c’est vraiment étrange », mais dans le bon sens. Il y a des véhicules qui sont bizarres et qui le restent, parce que l’on ne les apprécie pas réellement. Là, avec Pear, passé la surprise, vous vous devriez vous dire, « c’est plutôt cool en fait ».
Une production européenne pérenne
Revenons sur la production de vos voitures électriques. Vous allez produire Fisker Ocean en Autriche, puis d’autres modèles aux US. Allez-vous quand même garder une production en Europe ?
Cette voiture, nous l’avons développée spécifiquement avec Magna. Ils détiennent d’ailleurs 6 % des parts de Fisker. Nous allons garder une partie de la production ici, parce que cela a du sens. On a tellement de voitures à produire. Nous avons 61 000 réservations de Fisker Ocean. Donc, on va garder la production à Graz en Autriche des modèles européens. Par contre, nous ouvrirons une usine aux États-Unis pour satisfaire la demande américaine.
C’est quand même plus sensé de produire plus local…
Oui, c’est mieux pour l’aspect développement durable, mais aussi pour réduire les coûts de livraison. Le transport est devenu vraiment très cher. On n’aura pas le choix au début, parce que nous n’aurons pas cette seconde usine aux US, mais après, on répartira sur les deux sites selon la destination des véhicules.
Alors, le démarrage de la production du Fisker Ocean est toujours prévu pour le mois de novembre 2022 ?
Oui, les premiers véhicules seront produits dès le 17 novembre 2022. Les premières livraisons en France devraient avoir lieu au premier trimestre 2023, mais je n’ai pas plus de précision. La production augmente doucement, donc je ne veux pas m’engager trop vite. Il faudra en plus organiser la livraison dans les différents pays, cela aura lieu normalement au premier trimestre pour la France. Avant le printemps !
Semi-conducteurs : « Nous n’avons pas rencontré les mêmes problèmes de pénurie que les autres »
Pour vous, la crise des semi-conducteurs a-t-elle entraîné des difficultés ou des retards ?
Non, nous sommes restés sur ce que l’on avait planifié. Ce n’était quand même pas facile. Nous avons développé le véhicule essentiellement l’année passée, on l’a créé tellement vite, que nous avons appréhendé cette difficulté autrement.
Il faut dire que notre CTO (directeur technique) occupait auparavant un poste dans une compagnie de semi-conducteurs. Il a de ce fait rapidement compris que nous devions travailler à partir de nouvelles puces, et pas sur les vieilles puces comme le font les constructeurs traditionnels.
En intégrant des semi-conducteurs de nouvelle génération, nous n’avons pas rencontré les mêmes problèmes de pénurie que les autres constructeurs.
Concurrence chinoise : « elles sont au même prix ! »
Nous ne sommes pas loin du stand d’une marque chinoise (BYD). Craignez-vous la concurrence des marques chinoises sur le secteur du véhicule électrique ?
Non. À vrai dire, quand je regarde les voitures chinoises, je vois qu’elles ne sont pas aussi peu chères qu’on l’annonçait. Si elles avaient été à moitié prix, oui, mais Fisker Ocean débute à 41 900 €. Elles sont donc au même prix. Je ne vois pas pourquoi vous achèteriez « ça » [la voiture chinoise]. Ils n’offrent finalement pas autant de choses aussi uniques, comme ce que nous proposons.
Puis, une chose que nous avons et qui me semble réellement importante, c’est toute la dimension environnementale. Notre usine en Autriche est neutre en carbone. Dans cette voiture, on utilise 50 kg de matériaux recyclés et biodégradables. Tout l’intérieur est végan. Les matières premières viennent essentiellement de bouteilles plastiques récoltées dans l’océan, ensuite recyclées, et d’autres éléments de ce type. L’impact environnemental est important à prendre en compte.
Le Fisker Ocean est « sold-out pour 2023 »
Quelles sont vos attentes en termes de vente, pour le marché européen ?
On espère pouvoir construire entre 40 000 et 50 000 véhicules l’année prochaine. Nous avons déjà enregistré 61 000 réservations, le modèle est déjà épuisé pour 2023.
Par exemple, si mon boss veut en acheter un, c’est déjà trop tard pour cette année ?
Oui, enfin, il peut bien sûr en commander un [grand sourire], mais il devra attendre au moins un an avant de pouvoir le recevoir.
Des ventes grâce à internet et aux réseaux sociaux
Il est surprenant de voir que vous avez déjà tant de réservations pour une marque quasi inconnue du grand public. Quel est votre secret ?
C’est essentiellement grâce à internet. On a fait quelques campagnes sur les réseaux sociaux et quelques autres actions, et ce fut suffisant pour générer toutes ces commandes en ligne. C’est bien, non ?
En parlant de réseaux sociaux, je dois dire que je regrette que vous ayez supprimé votre compte Twitter, c’était pratique de vous suivre dessus. Surtout, cela crée un peu de proximité avec le public. Mais, je sais que c’est un sujet un peu sensible.
Oui, comme mon concurrent le rachète [Elon Musk rachète Twitter], vous pouvez très bien comprendre pourquoi. Si Twitter appartenait à un magazine concurrent, vous n’iriez probablement pas dessus non plus. Ils peuvent avoir accès à trop d’informations sur vous, cela ne me va pas.
Je suis d’accord avec vous pour le lien avec le public, il est important d’humaniser la marque. Vous pouvez encore me suivre sur Instagram et Linkedin. Même si Linkedin sera un peu plus pro.
Propos recueillis par Raphaëlle Baut.
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