25 : c’est le nombre de propositions concernant la cybersécurité, la tech, le numérique et les plateformes dans le programme de Jean-Luc Mélenchon. Long de plus d’une centaine de pages, le programme de « l’avenir en commun » accorde une place importante aux thématiques du futur et de la « révolution numérique », selon la formulation du candidat.
Numerama va consacrer tout un dossier à l’élection présidentielle de 2022. En décortiquant les programmes des candidats et des candidates sur les sujets de la tech, du numérique et de la cybersécurité, Numerama va faire le point sur ce qui est important, ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. Après avoir fait le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron, voilà le programme numérique de Jean-Luc Mélenchon.
Rejet de la reconnaissance faciale, moyens additionnels pour traiter les signalements
Le candidat de la France Insoumise souhaite interdire « tout usage des technologies de reconnaissance faciale dans les espaces et établissements publics ». Jean-Luc Mélenchon met également l’accent sur le signalement des contenus illégaux.
Il propose ainsi de « renforcer les moyens de l’autorité judiciaire consacrés au traitement des signalements des contenus illégaux sur des plateformes privées et au contrôle de leurs retraits effectifs », et, afin de « lutter véritablement contre les violences sexuelles faites aux enfants », d’augmenter les effectifs de polices « spécialisés en lutte contre la cyberpédopornographie ».
Jean-Luc Mélenchon souhaite également « renforcer les moyens humains de la plateforme Pharos », sans toutefois préciser le nombre de personnels ou le budget qu’il allouerait. Pharos est la plateforme gouvernementale qui permet de signaler un contenu ou un comportement interdit. Cela comprend entre autres la pédopornographie, l’apologie du terrorisme, l’incitation à la haine, ou encore le racisme, ainsi que les escroqueries et les arnaques en ligne.
L’« ubérisation » et les travailleurs des plateformes
La France Insoumise a fait de la lutte contre « l’ubérisation » et les mauvaises conditions des travailleurs des plateformes du numérique l’un de ses chevaux de bataille, en France comme à Bruxelles. Jean-Luc Mélenchon reprend ce point dans son programme et souhaite « requalifier les travailleurs des plateformes numériques et tous les salariés faussement considérés comme indépendants en contrat de travail salarié ».
Renforcement de la cybersécurité, lutte contre l’espionnage numérique
Dans le chapitre dédié à la diplomatie, à la défense et aux relations internationales, le candidat de la France Insoumise innove. Il propose de « mobiliser l’espace numérique et spatial pour installer des systèmes défensifs et non létaux contre les agressions et pour la paix ». Une formule complexe, mais qui recouvre plusieurs choses. « Il s’agit pour nous de lutter contre l’armement de l’espace, et pour le numérique on pense que c’est la même chose », explique à Numerama Jill-Maud Royer, la responsable des questions sur le numérique pour le programme de Jean-Luc Mélenchon.
« On doit pouvoir se défendre par nous-mêmes, notamment sur tout ce qui concerne l’espionnage numérique. Les outils que nous avons, comme l’Anssi (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, NDLR), doivent être renforcés. Nous devons aussi mettre en place des technologies qui fonctionnent de manière indépendante de nos alliés américains pour s’assurer de notre indépendance, et pour le numérique, ça passe par le logiciel libre, pour ne pas reposer sur des systèmes de sécurité américains », indique Jill-Maud.
Droit au chiffrement, accès aux données publiques, maitrise des traitements algorithmiques
Jean-Luc Mélenchon consacre un chapitre entier de son programme au numérique. Le candidat entend en faire un « bien commun », et empêcher les « multinationales de se l’accaparer pour leurs seuls profits ».
Le candidat propose de doter la Cnil de « moyens de contrôle efficaces » afin d’« agir contre les discriminations entraînées par le traitement algorithmique des données personnelles », mais également de « garantir la couverture numérique de tout le pays en fibre d’ici 2025 ». Il est important de noter sur ce point que, comme nous l’avons expliqué dans notre article bilan sur le programme d’Emmanuel Macron, sur 40 millions de foyers en France, 30 millions sont déjà équipés de la fibre, et la Fédération française des télécoms estime que, sauf de rares exceptions, tous les foyers sont connectés en haut ou en très haut débit.
Il propose également de « constitutionnaliser le droit au chiffrement des données et des communications », et de « systématiser la publication en données ouvertes des informations publiques détenues par les collectivités ».
Enfin, bien que Jean-Luc Mélenchon souhaite poursuivre la dématérialisation des services, il compte également « garantir le maintien de guichets et de formulaires papier », et ce afin d’« accompagner les 20 % des Français en difficulté avec le numérique ».
Garantir la « souveraineté numérique de la France »
C’est l’un des grands mots de la campagne de 2022 : « souveraineté nationale ». Et de plus en plus, la souveraineté est un concept qu’on utilise pour parler de la tech et du numérique. Pour « garantir la souveraineté numérique de la France », donc, et faire en sorte que la France ne « dépende pas d’autres pays », le candidat de la France Insoumise a ébauché toute une série de mesures. Jean-Luc Mélenchon propose ainsi de :
- passer sous contrôle public les infrastructures du numérique et des télécommunications,
- créer une agence publique des logiciels libres, chargée de planifier leur développement stratégique domaine par domaine,
- généraliser l’usage des logiciels libres dans les administrations publiques et l’éducation nationale,
- permettre à tous les citoyens et à toutes les entreprises l’accès à des services et logiciels en ligne hébergés sur des serveurs français de droit français,
- refuser la censure privée sur les réseaux sociaux opérée par les GAFAM,
- garantir l’hébergement des données des services publics français et des entreprises essentielles sur des serveurs de droit français situés en France,
- défendre une gouvernance mondiale d’Internet en établissant une agence consacrée à l’ONU,
- renforcer l’excellence française dans le virtuel, soutenir les créations françaises,
- créer un centre national du jeu vidéo et développer une filière publique de formation dans ce domaine,
- créer la mission nationale de maitrise de l’intelligence artificielle,
- créer une fonderie française pour les microprocesseurs,
- rétablir la propriété française publique sur Alcatel Submarine Networks,
- réduire l’impact écologique du numérique (réglementation sur l’obsolescence programmée, politiques incitatives sur le low code, indice carbon sur le web),
- et enfin, de baisser la production de chaleur et la consommation électrique des data centers et soumettre ceux-ci à une autorisation de construction.
Des mesures dont le contour et la portée restent à préciser
Au final, si les propositions sont nombreuses, certaines restent très floues. Comment, par exemple, « refuser » la « censure privée » sur les réseaux sociaux ? Pour Jill-Maud Royer, cela voudrait dire « aller à l’inverse de tout ce qu’a fait le gouvernement jusque là, notamment la loi Avia », une loi qui ambitionnait de forcer les plateformes à censurer les contenus haineux très rapidement, mais dont la majeure partie a été invalidée par le Conseil constitutionnel. Du côté des Insoumis, « on pense que la liberté d’expression a des limites, mais que ça doit toujours être un pouvoir qui reste dans les mains de la justice, et ce n’est pas aux GAFAM qu’on doit déléguer le rôle d’appliquer la loi ». Jill-Maud Royer précise cependant que cela ne serait pas synonyme de la fin de la modération.
Reste encore à savoir comment, dans les faits, une telle chose pourrait être applicable. « Il y aurait plein de moyens de le faire », explique-t-elle, « les plateformes n’ont pas de problèmes à se plier à des lois qui les contraignent, notamment pour les pubs politiques sur les réseaux sociaux, donc c’est des choses qui sont parfaitement négociables au niveau national ou au niveau européen ».
Pour ce qui est l’implantation d’une fonderie spécialisée dans les microprocesseurs en France, c’est également un plan qui été évoquée l’année dernière au niveau européen par Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur.
Les Insoumis tiennent également à préciser que leur mission nationale de maîtrise de l’intelligence artificielle ne serait pas semblable à la « stratégie nationale pour l’intelligence artificielle » mise en œuvre en 2018 par Emmanuel Macron. Contrairement à l’organisme gouvernemental, qui travaille au développement de l’IA, « la mission serait composée de chercheurs et de représentants de la société civile. Ça serait plus un organe de contrôle, qui permettrait d’alerte sur les possibles biais et de leurs impacts sur la société », indique Jill-Maud.
Concernant le stockage des données des Françaises et Français sur des serveurs français que Jean-Luc Mélenchon veut mettre en place, cette mesure nécessiterait la construction de nouveaux serveurs. Jill-Maud explique qu’il est difficile pour l’instant de dire exactement combien. « Cela demanderait probablement un investissement, même s’il y a des entreprises françaises déjà bien placées dans le cloud, comme OVH. Après, on est sur des quantités de données au final relativement faibles par rapport à celles du secteur privé. L’impact serait donc relativement faible », estime-t-elle.
Enfin, pour ce qui est des data centers, ces derniers sont d’ores et déjà soumis à des autorisations de construction, tient à préciser Jill-Maud, mais il s’agirait de « mettre des critères environnementaux ». Cependant, ils doivent d’ores et déjà recevoir des « des autorisations environnementales » avant de pouvoir commencer les travaux, détaille à Numerama Géraldine Camara, la déléguée générale de France Datacenters, l’organisation de représentation de la filière. Elle note d’ailleurs que « les délais [de construction des data centers] sont trop longs comparés à d’autres pays européens, qui sont bien plus avancés en la matière ». Elle indique également que baisser la production de chaleur des centres ainsi que leur consommation électrique est « nécessaire pour l’ensemble de la filière ».
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