Étudier le bilan carbone de l’ensemble de la production de la voiture semble une démarche légitime pour distribuer le bonus écologique aux bons élèves. Est-ce pour autant le meilleur moyen pour mettre en place le protectionnisme souhaité par certains acteurs de la filière ? Probablement pas.

Le gouvernement cherche une manière de favoriser les constructeurs de voitures électriques implantés en Europe, voire carrément en France, pour contrer l’offensive chinoise. Alors que l’on pensait quasiment acté l’idée que seuls les véhicules produits en Europe obtiendraient le précieux bonus, Le Figaro a publié, le 8 mai, une autre hypothèse de travail du gouvernement français. Le bonus pourrait dépendre du type d’énergie utilisé pendant la production de la voiture et de la batterie. Si le principe redonnerait un sens au terme « bonus écologique », c’est sûrement bien vite oublier quel pays fabrique les panneaux photovoltaïques en quantité industrielle.   

Les constructeurs automobiles ont déjà pris de nombreux engagements pour faire baisser la part d’émission de CO2 de la production des véhicules électriques. Cela ne concerne d’ailleurs pas que les constructeurs européens. Doit-on préciser au gouvernement que Tesla ou BYD ne les ont pas attendus pour s’engager très activement sur ces sujets ?

Le type d’énergie d’un pays n’est pas celle de la production d’une usine

En basant la réflexion sur le type d’énergie employé pour la production, le gouvernement a probablement fait quelques raccourcis à l’échelle des pays. En optant pour ce choix, la France ressort en tête, grâce au nucléaire. Elle tacle au passage quelques-uns de ses voisins : Allemagne et autres pays de l’Est, où sont implantées les usines européennes de plusieurs groupes, mais dont la dépendance au charbon est encore forte. L’idée de mettre les véhicules chinois hors course grâce à ce calcul est assurément une réalité aujourd’hui, mais c’est aussi une vision assez court-termiste pour un pays qui investit désormais massivement dans le nucléaire et le solaire.

Tesla Gigafactory Nevada // Source : Tesla
Des toits recouverts de panneaux solaires pour les Tesla Gigafactory (ici Nevada) // Source : Tesla

On ne peut décemment pas imputer aux usines, produisant certaines voitures électriques, la stratégie d’un pays entier en matière de production électrique. Ce qui pousserait donc à devoir se pencher sur les usines indépendamment les unes par rapport aux autres. Dans ces cas-là, la Jeep Avenger, du groupe Stellantis, produite en Pologne, ferait-elle vraiment mieux qu’une Tesla Model 3, dont les toits de l’usine de Shanghai commencent à être recouverts de panneaux solaires ? Il sera intéressant de découvrir comment sont réalisés les calculs, et comment ils s’appliqueront pour l’obtention d’un bonus. Cela promet encore une belle usine à gaz.

Il semble malgré tout assez évident que Renault serait le plus grand gagnant de cette décision, suivi de peu par certains modèles Stellantis. Enfin, encore faudrait-il que les modèles prévus pour être assemblés en France restent sous la barre de 47 000 €, ce n’est pas gagné. Voici les sites de production français attribués à certains modèles du groupe :

  • Mulhouse : Peugeot e-308 berline, e-308 SW et e-408
  • Poissy : Nouvelle DS 3 E-TENSE et Opel Mokka Electric
  • Rennes : le futur SUV électrique de Citroën
  • Sochaux : Peugeot e-3008 et e-5008
  • Hordain : Peugeot e- Expert, Citroën e-Jumpy, Opel et Vauxhall Vivaro-e, Fiat e-Scudo (et Toyota Proace Electric)

De gros efforts déjà engagés pour faire baisser les émissions CO2 des usines

Pour plusieurs constructeurs européens, il y a un objectif commun clairement fixé à devenir neutre en carbone sur la production des modèles 100 % électriques. C’est parfois encore du greenwashing, sur les questions de compensation carbone, mais c’est aussi une manière pour les gros groupes industriels de faire des économies substantielles sur leurs factures d’électricité, et donc sur les coûts de production.

ID.3 et son objectif de neutralité carbone // Source : Volkswagen
ID.3 et son objectif de neutralité carbone // Source : Volkswagen

Avec les prix de l’énergie en hausse, une grande partie des constructeurs ont déjà commencé à changer leurs habitudes en matière de consommations électriques. Les panneaux solaires sont de plus en plus présents sur les toits des usines et la « chasse au gaspi » est enclenchée. Pourtant, tous les sites de production européens ne sont pas égaux face à ça, et tous les constructeurs n’avancent pas au même rythme. Les groupes allemands comme Volkswagen et BMW ont déjà beaucoup progressé sur ces questions. C’est aussi le cas de Renault en France qui a opté pour un projet de géothermie pour faire baisser ses dépenses énergétiques de son usine de Douai, et d’autres solutions de chaudière à biomasse pour d’autres sites.

Renault vers plus d'énergie verte dans ses sites // Source : Renault
Renault vers plus d’énergie verte dans ses sites // Source : Renault

Il ne faut pas croire que seules les marques européennes, contraintes à cet objectif, sont actives sur le sujet. Tesla a été le premier constructeur à afficher clairement ses ambitions en la matière avec ses Master Plan. Même Rivian et Polestar (une marque du groupe chinois Geely) ont pris des engagements et incités d’autres marques à les suivre. Quant à BYD, en plus de fabriquer ses propres batteries et voitures électriques, le géant chinois produit aussi des panneaux photovoltaïques. Il est un des premiers constructeurs à œuvrer contre le réchauffement climatique. Voilà qui amène à se demander si le futur bonus punira vraiment ceux dont le gouvernement voulait se prémunir.

Pour les batteries « made in France » il faudra encore attendre

Les batteries fabriquées en France ne sont pas encore une réalité pour les voitures électriques, il faudra encore quelques années pour que la production soit suffisante. Tous les constructeurs européens semblent globalement partir avec un handicap similaire à ce niveau-là. À moins qu’il ne suffise que d’une étape réalisée en France pour être considérée comme « made in France », ce ne serait pas la première fois que cette méthode serait utilisée pour tricher.

Sans pouvoir s’appuyer sur le passeport batterie ou d’autres documents officiels, il paraît assez difficile pour le gouvernement français de pouvoir déterminer quelle voiture électrique peut disposer d’un bonus écologique, sous prétexte que sa fabrication et sa batterie utilisent une énergie plus basse en carbone qu’un autre modèle. Comment le client final pourrait-il s’y retrouver entre les modèles disponibles sur le marché ?

En avançant cette hypothèse de travail du gouvernement, l’article du Figaro permet de se rendre compte que faire du protectionnisme en respectant les règles de l’OMC n’est pas aussi évident qu’il parait. Emmanuel Macron doit s’exprimer plus amplement sur le sujet jeudi 11 mai, cela permettra probablement d’avoir un contour plus net des mesures envisagées pour le futur bonus.

Le bonus écologique a déjà fait l’objet d’un édito sans langue de bois de notre newsletter. Abonnez-vous pour recevoir les prochaines newsletters Watt Else de Numerama, pour ne rien manquer des enjeux de la mobilité de demain.

Nouveauté : Découvrez

La meilleure expérience de Numerama, sans publicité,
+ riche, + zen, + exclusive.

Découvrez Numerama+

Vous voulez tout savoir sur la mobilité de demain, des voitures électriques aux VAE ? Abonnez-vous dès maintenant à notre newsletter Watt Else !