Ils s’affrontent sur le marché automobile français et mondial. Mais une fois réunis en interview, les deux grands patrons de Renault et de Stellantis partagent une vision commune et les mêmes inquiétudes.

Le journal Le Parisien a réuni Carlos Tavares, PDG de Stellantis, et Luca de Meo, PDG du groupe Renault pour une interview croisée. L’article paru le 1er octobre 2022 balaye de nombreux sujets : avenir de la voiture électrique, concurrence chinoise, crise des semi-conducteurs, conduite autonome ou encore autopartage. On remarque que les deux patrons partagent nombre de points communs sur les sujets abordés. Les deux hommes se connaissent bien.

Si Carlos Tavares — patron de 16 marques dont Peugeot, Citroën, DS, Fiat, Alfa ou Jeep — se montre toujours assez pessimiste, Luca de Meo — PDG de Renault, Nissan, Dacia — arrondit un peu plus les angles. Au final, il y a plus d’éléments qui les réunissent, qu’il n’y en a qui les opposent.

Le virage vers la voiture électrique n’offre plus de retour en arrière

Carlos Tavares et Luca de Meo n’hésitent pas à partager certaines inquiétudes. On retiendra notamment que maintenant qu’ils se sont lancés « plein pot » sur l’électrique, il n’y aura plus de retour en arrière possible. Par leur discours, les deux patrons ne veulent pas qu’on leur reproche de freiner sur l’électrique, ils veulent simplement alerter sur la face cachée : « Plein Pot ! Mais, on vous dit aussi ce qu’il y a en dessous du tapis… » a précisé Luca de Meo.

Luca de Meo lors de la présentation stratégique Renaulution // Source : Groupe Renault
Luca de Meo lors de la présentation stratégique Renaulution. // Source : Groupe Renault

Le patron du groupe Stellantis souligne d’ailleurs sa crainte que les gouvernements fassent la même erreur qu’avec le diesel quelques décennies plus tôt.

L’hybride, l’hydrogène et les autres travaux sur des carburants alternatifs sont mis de côté, en ne considérant que les émissions « du réservoir à la roue » et non sur tout le cycle de production. Les deux hommes s’inquiètent que l’on ferme la porte à d’autres innovations, et que l’on ouvre la porte à d’autres problèmes.

Prix des véhicules trop haut et hausse de la fiscalité à prévoir

Au fil de la discussion, Carlos Tavares relève que les taxes sur les carburants rapportent beaucoup d’argent à l’État : 450 milliards d’euros. Que se passera-t-il quand la transition vers l’électrique sera faite ? La fiscalité de l’électricité sera probablement ciblée pour compenser la perte. Le patron de Renault n’a pas rebondi sur cette question et sur ces affirmations.

Toutefois, Luca de Meo développe un autre point : la voiture électrique neuve s’adresse principalement à des privilégiés, qui ont souvent un garage et une borne à la maison pour la recharge. C’est à l’image du premier iPhone, sorti en 2007. Il s’adressait à une niche de clients avant de devenir populaire. Il compte quand même bien démocratiser les véhicules électriques sans en dire plus sur les échéances visées. Carlos Tavares s’inquiète pour sa part que la voiture électrique devienne un véhicule élitiste, auquel même la classe moyenne ne pourra pas accéder.

La voiture abordable, promise à 100 € par le gouvernement, les laisse pour le moment un peu sur la réserve.

La concurrence chinoise des voitures électriques à bas coût

Les deux patrons affichent un relatif désaccord sur la question de la concurrence chinoise. Carlos Tavares voit dans la voiture chinoise à bas prix une menace. Les constructeurs chinois ont pris 10 ans d’avance sur l’électrique et débarquent maintenant en Europe, ce qui pourrait avoir des conséquences sur l’industrie automobile européenne et l’emploi.

De son côté, Luca de Meo y voit plutôt un challenge. Il va falloir œuvrer à rattraper le retard pris. Si l’arrivée des véhicules japonais ou coréen n’a eu que peu d’impact sur les constructeurs européens, qui dominaient alors leur sujet, avec le véhicule électrique, les cartes sont rebattues.

Les deux groupes restent également englués par la crise des semi-conducteurs, là où les marques chinoises semblent avoir plus de ressources. Comme le patron de Volkswagen, Carlos Tavares ne voit pas d’amélioration de la pénurie des puces avant la fin de 2023.

Carlos Tavares - conférence Dare Forward 2030 // Source : Stellantis - stephane sby balmy
Carlos Tavares — conférence Dare Forward 2030. // Source : Stellantis / Stéphane Sby Balmy

« Le véhicule autonome de niveau 5 (sans conducteur), je pense que c’est une utopie »

Luca de Meo ne croît pas réellement à la conduite complètement autonome (niveau 5). Il y a premièrement l’aspect réglementaire, mais aussi celui de l’éthique de l’algorithme et de la responsabilité en cas d’accident : « On travaille sur la voiture autonome, mais je n’ai vraiment pas envie d’être le premier constructeur à en mettre une sur le marché. »

La question se pose par ailleurs au niveau de la cible de ces véhicules. Si des taxis autonomes peuvent faire économiser une importante masse salariale aux entreprises concernées, il ne semble pas y avoir de débouché pour les particuliers.

Carlos Tavares indique que la conduite autonome de niveau 3 sera disponible d’ici 2 à 3 ans dans les véhicules du groupe. Il rejoint Luca de Meo pour les niveaux 4 et 5, qui s’adressent davantage à des flottes d’entreprise qu’à des particuliers.

De l’autophobie à la création d’un forum de la liberté de mouvement

Les deux grands patrons, amoureux de l’automobile, ne veulent pas non plus que la voiture devienne un simple appareil électroménager de plus dans le foyer. Ils constatent que l’automobile est prise en grippe dans les grandes agglomérations : « J’ai toujours dit que si les gens commençaient à haïr notre produit, c’était « game over ,» indique Luca de Meo.

Il souligne que la question des infrastructures (routes comme solutions de recharge) est cruciale : « Cette voie-là a été construite il y a peut-être 450 ans. Faire circuler des voitures propres dessus, c’est comme si l’on voulait passer un film de Netflix sur un GSM d’il y a vingt ans. »

Carlos Tavares abonde dans ce sens et ajoute : « Nous sommes là pour proposer des solutions, à condition que la société accepte que la liberté de mouvement individuelle, familiale et professionnelle, reste un axe fondamental de notre « lifestyle ». La société l’acceptera-t-elle demain ? » et de compléter que pour lancer le débat, il veut créer un forum de la liberté de mouvement, auquel Luca de Meo sera bien entendu convié.

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