Obligé par l’Union européenne à déverrouiller l’App Store, Apple contourne les règles avec sa première proposition sur les magasins tiers. Les nouvelles conditions de distribution risquent de coûter très cher aux développeurs qui souhaitent proposer des applications aux Européens, ce qui pourrait en inciter plus d’un à rester fidèle au modèle actuel.

Quand l’Union européenne a annoncé que son futur règlement numérique, le Digital Markets Act, forcerait à Apple à autoriser l’installation d’applications tierces sur iPhone, imaginait-elle que la marque annoncerait un système si contrôlé ?

Le 25 janvier 2024, Apple a annoncé l’arrivée de magasins concurrents de l’App Store sur iPhone. Pour la première fois en 17 ans, il sera possible d’installer des applications sans passer par l’App Store, tout en contournant la fameuse taxe des 30 %. Problème : ce changement n’est pas le déverrouillage de l’iPhone que certains attendent depuis des années. Apple conserve le dernier mot sur les applications proposées et, encore plus surprenant, est celui qui autorise la création d’un magasin alternatif. Ces conditions ne ravivent que moyennement de nombreux développeurs qui, passé l’engouement pour l’annonce, ont vite compris qu’ils payeraient beaucoup plus avec le nouveau système que l’ancien.

Restez sur l’App Store… ou donnez-nous beaucoup d’argent

La fin tant souhaitée de l’App Store n’est pas arrivée. Comme le pressentaient plusieurs médias comme Bloomberg, ce qu’a annoncé Apple est l’arrivée d’un second magasin à l’intérieur du premier magasin. Les développeurs qui proposent des applications dans l’Union européenne ont désormais la possibilité de choisir entre ces deux conditions :

  • Les conditions originales, obligatoires dans tous les pays qui ne sont pas dans l’Union européenne. Les ventes sont exclusives à l’App Store et les achats intégrés, comme les abonnements, doivent forcément utiliser le moteur de paiement d’Apple. Ici, les développeurs versent 30 % de leurs ventes à Apple (15 % pour les petits développeurs). Chaque achat est taxé. Les nouvelles API mises en place par Apple, qui permettent d’utiliser de nouvelles fonctions système, ne sont pas à disposition des développeurs du système original.
  • Les nouvelles conditions DMA, exclusives aux applications proposées dans les 27 pays de l’Union européenne (et nulle part ailleurs). Un développeur qui les accepte peut proposer ses applications sur l’App Store, sur le magasin tiers de son choix ou dans plusieurs endroits simultanément. Ses ventes dans l’App Store sont taxées à 17 % (10 % pour les petits développeurs), ses ventes ailleurs à 0 %. S’il souhaite utiliser le moteur de paiement d’Apple, la taxe passe à 20 % ou 13 %. Le développeur a aussi, pour la première fois, la possibilité d’installer son propre moteur de paiement, comme PayPal, sans commission à partager avec Apple (peu importe le magasin choisi). Cependant, dans ces conditions, Apple impose une nouvelle taxe nommée « Core Technology Fee ». Chaque téléchargement au-dessus du million d’installations rapporte 50 centimes d’euros à Apple, y compris pour les applications gratuites dans un magasin tiers. Les développeurs qui acceptent les conditions DMA peuvent utiliser des nouvelles API, pour enrichir leurs applications.
App Store Awards // Source : Apple
L’explosion de l’App Store ? Ce n’est pas pour tout de suite. // Source : Apple

Il y a deux problèmes avec ces nouvelles règles :

  1. Un développeur international doit développer deux applications différentes. Une pour l’Union européenne, avec les nouvelles fonctions et un système de facturation différent. Une pour le reste du monde, avec les conditions originales et plus de restrictions. Cet investissement sera impossible pour de nombreux développeurs, ce qui pourrait en inciter beaucoup à juste se contenter du système actuel (ou à délaisser l’Europe).
  2. La « Core Technology Fee » rend le second modèle peu avantageux. Dans ces conditions, une application gratuite pourrait coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros à son créateur, qui devrait payer Apple pour avoir le droit d’exister. Dans le cas d’une application payante, la taxe Apple pourrait être beaucoup plus élevée qu’avec les 30 % actuels, sauf si les utilisateurs dépensent beaucoup d’argent en achats intégrés. En l’état, Apple a fabriqué un système qui le rend plus riche qu’auparavant (et qui fera fuir tout le monde).
Apple a fabriqué un simulateur pour comparer les taxes entre l'ancien et le nouveau système. Presque à tous les coups, les 50 centimes par téléchargement créent des dettes colossales.
Apple a fabriqué un simulateur pour comparer les taxes entre l’ancien et le nouveau système. Presque à tous les coups, les 50 centimes par téléchargement créent des dettes colossales. // Source : X

Autre coup dur : la création d’un magasin tiers est soumise au bon vouloir d’Apple, qui exigera une lettre de banque pour chaque développeur en quête de concurrencer l’App Store. Apple exige une garantie financière d’au moins un million d’euros, sous prétexte qu’un petit développeur pourrait tenter de créer son propre magasin rempli de virus et d’arnaques si la création d’un magasin tiers était trop facile. Difficile de lui donner tort, mais tout le monde n’a pas un million d’euros de garantie à sa disposition.

En l’état, l’App Store ne va pas changer

Avec ce nouveau système, seuls quelques développeurs devraient pouvoir sortir gagnants.

Le simulateur mis en ligne par Apple est la preuve que tout est fait pour faire du nouveau système un mauvais plan. Prenons l’exemple d’une application téléchargée 10 millions de fois par an, qui s’attend à un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros en achats intégrés (un service de streaming, par exemple). L’ancien système lui coûte 250 000 dollars de taxes, le nouveau lui en coûte presque 600 000. En l’état, seules les applications qui rapportent plusieurs centaines de millions d’euros peuvent sortir gagnantes du nouveau système, seulement si leur nombre d’utilisateurs total n’est pas trop élevé. Mieux vaut avoir 1 000 utilisateurs dont 600 abonnés à un service payant, que 100 000 utilisateurs et 1 000 qui payent. Même un Fortnite n’est pas sûr d’être rentable.

L’App Store n’est pas mort et sort même renforcé par les nouvelles dispositions d’Apple. La marque estime que 99 % des développeurs resteront fidèles à l’ancien système, ce qui nous semble presque une estimation basse (surtout avec l’indisponibilité des nouvelles conditions dans les autres pays). En l’état, Apple a conçu le système parfait pour se conformer au DMA sans trop en pâtir, même si la justice européenne pourrait rapidement exiger plus de souplesse. Notamment en le forçant à une véritable ouverture aux applications tierces, sans contrôle de ce qui passe à l’intérieur.

Source : Numerama

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