Dix-huit ans d’existence et il aura fallu que le tant attendu épisode au Japon féodal d’Assassin’s Creed tombe à quelques mois de la sortie d’un de ses plus farouches héritiers indirects : la suite de Ghost of Tsushima. Avouez que l’idée d’opposer frontalement ces deux jeux était très tentante. Alors ? C’est qui le plus fort, Assassin’s Creed Shadows ou Ghost of Yotei ?

Round 1 – la direction artistique

Dès son premier épisode, Assassin’s Creed a pris le chemin du réalisme et même, peu à peu, celui de l’authenticité historique. Dès lors, au grand dam de certains de ses directeurs artistiques, la série d’Ubisoft a restreint ses marges de manœuvre créatives et esthétiques en visant avant tout une relative crédibilité de ses jeux. Assassin’s Creed Shadows en est un très bon exemple avec une quête de réalisme qui a poussé le studio à créer un cycle saisonnier et une véritable petite simulation météorologique avec à la clé des ambiances visuelles toujours changeantes et souvent bluffantes.

Ghost of Yōtei // Source : Capture PS5
L’impressionnante silhouette du mont Yōtei crée toujours des panoramas saisissants. // Source : Capture PS5

Du côté de chez Sucker Punch, on s’est posé beaucoup moins de questions et de contraintes. Sans surprise, Ghost of Yotei s’aligne sur la direction artistique de son prédécesseur et assume totalement une vision onirique, voire fantasque, du Japon en alignant des panoramas pensés comme des cartes postales saturées de couleurs. Ici, les érables gardent leur frondaison rouge en plein hiver pour créer un contraste saisissant avec la neige, les feuilles de ginkgo jaune fluo s’envolent par milliers comme des bouts de polystyrène et le mont Yotei (aux faux airs de Fujiyama) projette son imposante silhouette sur toute l’aire de jeu.

Dans Ghost of Yotei, l’esthétique prime surtout et ça marche. Difficile de ne pas être époustouflé lors de ses premières chevauchées dans ses vastes plaines.

Grâce à un petit bonus pour originalité, c’est donc lui qui remporte ce premier round.

Round 2 – l’histoire

D’un côté, une shinobi qui cherche à venger la terrible exécution de son père par un groupe de 12 salopards. De l’autre, une guerrière qui cherche à venger la terrible exécution de sa famille pour un groupe de 6 salopards. Flashbacks, mise en scène qui lorgne vers Tarantino qui lorgne vers Kurosawa qui lorgne vers le western… Assassin’s Creed Shadows et Ghost of Yotei sautent tous deux à pieds joints dans les grands poncifs du genre. Le titre d’Ubisoft se démarque toutefois par son second personnage, Yasuke, qui développe un arc narratif très différent ainsi que par sa tendance à s’inscrire un peu plus dans une trame historique et politique complexe où s’invitent des pointes de lore qui apportent un peu de profondeur au récit global.

Assassin's Creed Shadows // Source : Capture PS5
Bien qu’elle soit aussi rudimentaire par moment, la mise en scène des cutscenes secondaires de Shadows est bien meilleure que celle de Yōtei. // Source : Capture PS5

Ghost of Yotei, lui, reste plus intime et explore peu ou prou les mêmes thèmes que son prédécesseur en se reposant toutefois sur une héroïne plus intéressante, bien soutenue par un petit casting de PNJ. L’impression de déjà-vu reste forte et les quelques coups de théâtre s’annoncent un peu trop lourdement. Le jeu a au moins le mérite de garder un rythme soutenu grâce à une durée de vie plus contrainte qui ne dilue pas le récit comme a trop tendance à le faire Assassin’s Creed Shadows.

Au final, pas de gros ratage ou de fulgurance particulière d’un côté comme de l’autre, on finit avec un bel ex æquo.

Round 3 – le monde ouvert

Les deux Japon élaborés par Ubisoft et Sucker Punch dévoilent des visages assez différents qui découlent de la même logique qui dictait déjà leurs choix en termes de direction artistique. Assassin’s Creed Shadows assume une aire unique, vaste et réaliste, où les montagnes escarpées tapissées de forêts denses cachent des plaines verdoyantes, des champs à perte de vue et surtout une profusion de hameaux, villages et quelques grandes villes qui confirment cette volonté d’immerger joueurs et joueuses dans une époque lointaine.

Source : Capture PS5
Shadows excelle dans ses jeux d’échelle qui créent un monde crédible et vaste. // Source : Capture PS5

Ghost of Yotei préfère proposer une aire de jeu résolument tournée vers la nature et les paysages sauvages. Comme dans Ghost of Tsushima, l’ambiance est bien plus solitaire et dépouillée, avec très peu d’habitations et des villages limités à une poignée de maisons où errent trois ou quatre habitants. Le jeu se voit aussi découper en plusieurs régions distinctes, séparées par un temps de chargement éclair, et cerclées de barrières naturelles chargées de confiner le joueur dans une aire de jeu plus restreinte. Si l’exploration est évidemment encouragée, elle est donc bien plus limitée que dans Assassin’s Creed Shadows où l’on peut aller absolument partout où notre regard porte. Le découpage en régions permet à Ghost of Yotei de varier radicalement ses ambiances visuelles. Ç’aurait pu lui donner un sérieux avantage si Assassin’s Creed Shadows n’appliquaient pas ce principe à son aire de jeu tout entière grâce à son cycle saisonnier.

Bref, sur cet aspect, on donne le point à Assassin’s Creed Shadows.

Round 4 – le game design

Quand il est sorti en 2020, Ghost of Tsushima fut rapidement comparé à The Legend of Zelda: Breath of the Wild pour son approche du monde ouvert soi-disant organique, naturelle et systémique ; approche symbolisée par un HUD épuré et des éléments diégétiques chargés de guider les joueurs et joueuses plutôt que des icônes, dont ce fameux vent GPS soufflant en direction de l’objectif de la mission en cours. Ces louanges, un brin usurpées et confondant vide et épuré, s’assortissaient bien souvent de comparaisons avec la supposée approche bas du front d’Ubisoft avec ses mondes ouverts patauds, chargés de contenu scintillant à tout-va, débloqué à la pelle en grimpant en haut d’une tour. Pourtant, à l’époque, Assassin’s Creed avait déjà amorcé un beau virage en ce sens à la faveur de sa mue en action-RPG en 2017 avec l’opus Assassin’s Creed Origins. Quelques mois après Ghost of Tsushima sortait d’ailleurs Assassin’s Creed Valhalla qui affinait encore ces réflexions en perfectionnant notamment le mode Explorateur introduit par Assassin’s Creed Odyssey en 2018. Assassin’s Creed Shadows s’inscrit totalement dans cet héritage et poursuit ce long travail d’effacement de ses aspects trop jeu vidéo au profit d’une aventure plus libre et naturelle, où l’exploration est valorisée.

Ghost of Yōtei // Source : Capture PS5
À la manière de Far Cry 3, Ghost of Yōtei continue d’utiliser les fumées pour signaler la présence de points d’intérêt. // Source : Capture PS5

Sur cet aspect, celles et ceux qui voudraient continuer d’ériger Ghost of Yotei en symbole de liberté face à l’archaïsme imaginaire de Assassin’s Creed Shadows risquent de faire des galipettes pendant un moment pour essayer de retomber sur leurs pieds. On pourrait même pousser plus loin le constat en signalant que se reposer sur des éléments diégétiques ne signifient pas qu’ils ne peuvent pas finir par être invasifs, pénibles et complètement artificiels. Au vingtième oiseau doré qui vient nous filer un violent coup de coude pour nous mener vers une source d’eau chaude que l’on aurait bien aimé trouver tout seul comme un grand, le subterfuge finit par perdre de son charme…

Allez, on va être gentil en décrétant un nouvel ex æquo sur ce point. Les deux jeux font des efforts similaires pour délivrer leur contenu de manière naturelle et cohérente.

Round 5 – le gameplay

Ce petit duel va prendre une drôle de tournure maintenant que l’on en vient au gameplay. Il faut dire que sur ce point, Ghost of Yotei n’évolue pas du tout par rapport à son prédécesseur qui était juste correct il y a cinq ans, à l’exception notable de ses combats qui délivraient alors de belles sensations. Alors forcément, face à la vivacité de Naoe qui s’épanouit en plus dans le meilleur gameplay d’infiltration de la série, Atsu fait pâle figure avec ses herbes hautes et l’IA rudimentaire de ses adversaires.

Assassin's Creed Shadows, mise à jour 1.05 // Source : Ubisoft
Face à la vivacité de Naoe, Atsu passe pour une vieille dame percluse d’arthrite. // Source : Ubisoft

Même les phases de corps-à-corps de Ghost of Yotei ne peuvent esquiver les attaques adverses. Entre le binôme Yasuke/Naoe qui promet des variations intéressantes de ces séquences et la petite dégradation des combats par rapport à Ghost of Tsushima, le titre de Sucker Punch n’a plus beaucoup d’argument pour lui. Si ! Son cheval qui, lui, passe moins pour un motocross débridé.

Round expéditif car il n’y a pas photo : Assassin’s Creed Shadows surpasse largement Ghost of Yotei sur ce point.

Verdict

Si l’on se contente d’un petit calcul mathématique, la conclusion s’impose d’elle-même. Mais les jeux vidéo, c’est un peu plus subtil que cela. Chacun a des sensibilités différentes et accorde plus ou moins d’importance à chaque aspect de ces titres. D’aucuns seront prêts à simplement chevaucher pendant des heures dans des paysages poétiques aux couleurs saturées tandis que d’autres voudront trancher un maximum de carotides sans se faire repérer. Après tout, tous les goûts sont dans la nature. Ça tombe bien, la nature, Ghost of Yōtei comme Assassin’s Creed Shadows savent parfaitement la mettre à l’honneur !

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