Les scénaristes défendent actuellement leurs droits à Hollywood, grâce à une grève massivement suivie. Parmi leurs doléances, la généralisation trop importante des « mini rooms » : une stratégie qui précarise les scénaristes.

Les scénaristes américains ont lâché leur plume, depuis le 4 mai, pour saisir leurs pancartes militantes et entamer une grève contre les studios comme Disney, Fox, Warner Bros ou Universal.

Un air de déjà vu ? C’est normal : en 2007, un long bras de fer avait opposé les syndicats aux grands diffuseurs d’Hollywood pendant 100 jours, avec un impact sur des séries phares comme Desperate Housewives, Lost ou Prison Break. À l’époque, les scénaristes dénonçaient déjà leurs conditions de travail et de rémunération.

Pourquoi les scénaristes font-ils grève ?

Seize ans plus tard, ces créateurs d’histoires pour le cinéma et la télévision souffrent toujours d’une grande précarisation, à l’heure où les plateformes de SVOD n’en finissent plus de se multiplier. En 2007, les séries étaient ainsi diffusées uniquement à la télévision, avec une moyenne de 20 épisodes par saison, qui garantissaient donc des contrats au long cours.

Désormais, les programmes sont réduits à des saisons de 6 à 13 épisodes, avec un salaire forcément réduit. D’autant que les séries peuvent maintenant être mises à disposition en streaming, sur de nombreuses plateformes comme Netflix, Prime Video ou Disney+, sans que les scénaristes ne touchent pour autant des droits d’auteur plus importants.

La production de la saison 3 de Yellowjackets est actuellement à l'arrêt // Source : Showtime
La production de la saison 3 de Yellowjackets est actuellement à l’arrêt // Source : Showtime

En mettant à l’arrêt toute une industrie, les membres du syndicat WGA (Writers Guild of America) espèrent bien faire plier l’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers), avec qui ils renégocient leurs contrats tous les 3 ans. Un nouvel accord aurait dû être trouvé le lundi 1er mai 2023, sans succès. En attendant un arrangement, plusieurs séries comme Yellowjackets ou Abbott Elementary ont ainsi stoppé la production d’une nouvelle saison.

Les scénaristes réclament notamment une revalorisation de leurs salaires, un encadrement plus clair de l’intelligence artificielle, une rémunération plus juste selon le succès d’une série en streaming, mais aussi un changement radical de la pratique des mini rooms. La liste des propositions de WGA ainsi que les réponses de l’AMPTP, point par point, est disponible ici.

C’est quoi une mini room ?

Les mini rooms sont une déclinaison des « writer’s room » (salle d’écriture), terme clé dans la production d’un film ou d’une série. Il s’agit donc d’un pôle de scénaristes, plus ou moins une dizaine selon la taille du projet, qui travaillent ensemble à l’écriture de longs-métrages, mais surtout de saisons.

Pour les séries, elles sont dirigées par le showrunner, le créateur du show, qui possède le dernier mot sur toutes les étapes de la production. Dans ces writer’s room, les scénaristes possèdent également le statut de producteurs de la série, exécutifs ou non, selon leur degré d’implication dans l’écriture et l’importance de leur travail sur les épisodes finaux.

La writer's room de la saison 3 d'Abbott Elementary a fermé ses portes // Source : ABC/Prashant Gupta
La writer’s room de la saison 3 d’Abbott Elementary a fermé ses portes // Source : ABC/Prashant Gupta

Les mini rooms, elles, portent bien leur nom : recréer une writer’s room, à toute petite échelle, dans des conditions moins favorables. Les scénaristes passent ainsi d’une dizaine de personnes à seulement 2 ou 3, pour écrire plusieurs épisodes. L’usage de ces mini rooms est notamment fréquent dans le cas où les séries n’ont pas encore été approuvées par les studios. Les scénaristes n’ont ainsi aucune garantie que leur travail verra bien le jour sur le petit écran.

Si, à l’inverse, la série est bien validée, les scénaristes impliqués dans la mini room ne seront parfois jamais intégrés aux phases suivantes de production et tournage, étapes clés dans la création d’une fiction.

Pourquoi ces mini rooms sont-elles néfastes pour les scénaristes ?

Les scénaristes embauchés dans une mini room sont moins nombreux, moins payés et ont moins de temps pour écrire le même nombre d’épisodes qu’une writer’s room classique.

Trois axes majeurs posent problème :

  • Le montant des salaires ;
  • L’absence de garanties de diffusion ;
  • Le manque de reconnaissance du travail des scénaristes.

Un salaire plus bas

Les scénaristes embauchés dans des mini rooms sont moins bien payés que dans une writer’s room. Cela est plutôt logique : ils travaillent sur des temps plus courts, généralement moins de 10 semaines pour écrire plusieurs épisodes contre 3 à 10 mois dans un fonctionnement classique. Qui dit temps de travail moins long, dit donc salaire plus bas.

Mais au-delà du nombre d’heures, les studios utilisent également l’excuse de la mini room pour payer leurs auteurs moins cher, au taux minimum de la WGA. Un scénariste reconnu a ainsi témoigné auprès du média américain IndieWire d’une rémunération habituelle 35 000 dollars par épisode pour une writer’s room. Pour une mini room en pré-production, le salaire peut descendre à 8 000 dollars par semaine, peu importe le volume d’écriture.

« Et si je disais à mon propriétaire que ce mois-ci, j’allais juste lui payer un mini loyer ? »

Ashley Nicole Black

Pourtant, comme le rappelle Justin Halpern, producteur exécutif d’Abbott Elementary ou Harley Quinn, auprès de Variety, « les 10 premières semaines de développement d’une série sont les plus importantes et ce sont celles durant lesquelles nous sommes payés au minimum. Et parfois nous n’avons même pas l’opportunité de continuer à travailler sur le projet. »

Ashley Nicole Black, qui a notamment écrit et produit des épisodes de Ted Lasso sur Apple TV+, résume la situation en une phrase simple, basique : « Et si je disais à mon propriétaire que ce mois-ci, j’allais juste lui payer un mini loyer ? »

Aucune garantie de diffusion

Les studios multiplient les mini rooms avant même la validation des projets, afin de déterminer leur potentiel sur plusieurs épisodes et non plus sur un seul pilote, comme c’est le cas habituellement. Ils peuvent ainsi s’assurer de dénicher au moins une ou deux séries à diffuser parmi les quatre ou cinq pour lesquelles le travail d’écriture a commencé. Cela signifie que pour celles qui n’ont pas obtenu le feu vert, les scénaristes auront délivré leurs scripts rapidement, avec peu de moyens, pour rien.

11 semaines, 6 épisodes, 3 changements de direction, mais une série jamais validée

Naiem Bouier, qui travaille actuellement pour Hulu, raconte sur Twitter que pour son premier contrat pour Netflix sur une mini room, le pôle de scénaristes a travaillé pendant 11 semaines pour écrire 6 épisodes, avec 3 changements de direction dans la narration, pour une série qui n’a jamais été validée.

Ce fonctionnement met ainsi les scénaristes sur un siège éjectable, selon la volonté des studios. Leur métier devient encore plus dangereusement précaire, avec un manque de stabilité évident, qui oblige à enchaîner les petits contrats comme les freelances, parfois sans garantie de résultat. Petits contrats durant lesquels les scénaristes auraient pu travailler sur d’autres projets, mieux rémunérés et avec de meilleures perspectives.

Un manque de reconnaissance

Certes, les mini rooms ont au moins le mérite de constituer un petit safe space pour explorer des idées ou d’offrir aux jeunes scénaristes la possibilité de commencer à travailler, là où les writer’s rooms fonctionnent en général avec une hiérarchie peu accessible aux débutants. Mais, avec les mini rooms, les scénaristes perdent tout de même un avantage non négligeable : être associé en tant que producteur à la série.

Une distinction impossible dans ce cas de figure, puisque même si le programme est validé, les mini rooms ne sont que rarement impliquées dans le tournage et la production du projet (et donc rarement payées pour ces étapes cruciales). Le syndicat WGA dénonce ainsi une séparation nouvelle entre l’écriture du scénario et la production. Et dans la hiérarchie très codifiée d’une writer’s room, les scénaristes n’ont donc finalement pas la possibilité de progresser vers des emplois de producteurs, mieux rémunérés.

Un fonctionnement qui pose également problème d’un point de vue qualitatif : les scénarios sont toujours retouchés en cours de route et les imprévus sont légion lors de la création d’une série. Si les scénaristes originaux ne sont donc pas impliqués, cela signifie potentiellement une baisse de qualité pour la continuité de la narration.

Les revendications du syndicat WGA

Dans leurs propositions aux studios, rendues publiques, la Writers Guild of America évoque les mini rooms à plusieurs endroits, sous le terme de « pre-greenlight room » (les pôles de scénaristes qui travaillent avant le feu vert des studios, donc). La WGA demande à ce que les salaires à la semaine des mini rooms soient payés 25 % supplémentaires, sous un format premium, pour tous les scénaristes embauchés avant la production d’une série, y compris entre deux saisons.

En réponse, les studios, représentés par l’AMPTP, proposent seulement une hausse de 5 %, et uniquement lorsque plus de 3 scénaristes sont embauchés pour moins de 10 semaines avant la saison 1 d’une série.

La WGA demande également un minimum de 6 scénaristes par mini room, pour une durée garantie de 10 semaines consécutives de travail, dont 3 semaines prévues par épisode. Elle réclame également que la moitié des employés de ces mini room soient ensuite embauchés durant la production. L’AMPTP a rejeté ces demandes du syndicat.

Source : Montage Numerama

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