Les femmes sont malmenées par House of the Dragon, presque autant qu’elles l’étaient dans Game of Thrones. La série continue à perpétuer des représentations toxiques avec des violences omniprésentes envers les femmes, tout en se cachant derrière une pseudo-mise en avant de personnages féminins.

Historiquement, Game of Thrones a marqué le petit écran pour de nombreuses raisons tout à fait légitimes en matière de réalisation et de construction narrative, mais n’a jamais brillé dans sa représentation des femmes. La série a même été épinglée pour son sexisme. En cause, des scènes de violences sexuelles à répétition, une nudité féminine largement supérieure à celle masculine, la perpétuation de vieux schémas de pouvoir : bref, l’univers de George R.R. Martin et sa transposition sur HBO étaient bien remplis de clichés toxiques concernant les femmes.

On espérait légitimement que House of the Dragon s’en sorte mieux dans ce domaine. Notamment parce que les showrunners avaient eux-mêmes affirmé qu’ils ne mettraient pas en scène de violence sexuelle explicite. Malheureusement, après 5 épisodes, le constat n’est pas vraiment positif.

Attention, pour les besoins de ce décryptage, la suite de l’article contient des spoilers sur les 5 premiers épisodes de House of the Dragon.

Attention SPOILERS sur House of the Dragon !
Attention SPOILERS sur House of the Dragon !

La série House of the Dragon déteste-t-elle les femmes ?

Dès le premier épisode, House of the Dragon s’ouvre après une vingtaine de minutes sur une scène censée être fondatrice : un accouchement par césarienne, forcé, sans consentement, sur décision du roi — Viserys — aux dépens de son épouse Aemma, qui décède alors en couche dans la douleur. La violence de la scène est totale, lente et insoutenable. La brutalité n’est pas seulement picturale, elle est plus profonde. C’est dans ce rapport de pouvoir — la violence physique imposée à une femme — que House of the Dragon s’installe.

Cet épisode n’était que le début d’une suite de séquences où la domination masculine imprègne la forme comme le fond :

  • L’épisode 4 dépeint une scène proche d’un viol conjugal : on voit Alycent se forcer à un rapport sexuel avec Viserys. La caméra insiste pour nous le faire comprendre, Alycent ne prend aucun plaisir, ne désire aucunement l’acte. Elle semble même être prise de dégoût.
  • Le même épisode repose sur la glamourisation d’un inceste sous emprise entre un homme plus âgé et une adolescente ; lorsque Daemon séduit sa nièce Rhaenyra en l’emmenant à dessein dans un bordel. L’acte est entièrement guidé et choisi par cet homme plus âgé, bien que cela n’aille pas jusqu’au bout. La représentation toxique va plus loin encore : c’est très exactement après cette scène que la jeune fille semble prendre conscience de son désir sexuel et qu’à peine quelques minutes plus tard, elle séduit alors le chevalier Criston Cole. En creux, ce serait grâce à son oncle charismatique que Rhaenyra aurait découvert sa sexualité. Et cela rappelle le problème du traitement de Sansa dans Game of Thrones : les scénaristes lui avaient fait affirmer que « sans Littlefinger, sans Ramsay et les autres, je serais restée un petit oiseau toute ma vie », alors que celle-ci a été manipulée par l’un, violée par l’autre.
  • Toujours dans cet épisode 4, la tradition de Game of Thrones ne change pas : la nudité représentée dans le bordel est 90 % féminine, tandis que la majorité des hommes restent habillés.
  • L’épisode 5 s’ouvre quant à lui sur un féminicide totalement gratuit : Daemon assassine son épouse à coups de pierre. La raison ? Celle-ci dérange ses projets et, comme il l’indiquait dans un précédent épisode, elle ne lui plaît pas. Elle est un poids à ses yeux ; elle mérite donc la mort.

    Daemon est, quant à lui, glamourisé tout au long de la série : son personnage a beau être aussi violent que mauvais, la série parvient à le dépeindre comme un homme attirant.

Et cela fait déjà beaucoup pour une mi-saison : le déséquilibre dans les rapports de pouvoir est explicite et les femmes sont nettement malmenées par la série.

La scène entre Daemon et Rhaenyra, dans l'épisode 3 de House of the Dragon. // Source : HBO
La scène entre Daemon et Rhaenyra, dans l’épisode 3 de House of the Dragon. // Source : HBO

La violence envers les femmes est banalisée comme outil narratif

House of the Dragon utilise la même mécanique que Game of Thrones : choquer avec une violence qui serait justifiée par un réalisme moyen-âgeux (cet univers étant, comme beaucoup d’œuvres de fantasy, basée sur un contexte médiéval). Sauf que ce réalisme est faux. Les médiévalistes ont été nombreux et nombreuses à « débunker » cette idée. Game of Thrones et House of the Dragon ne représentent nullement le Moyen Âge à proprement parler.

C’est ce qu’expliquait par exemple Justine Breton, spécialiste à la fois de l’histoire médiévale et de la fantasy, au micro de France Culture en 2020 : « L’auteur de la saga littéraire George R. R. Martin et ensuite les créateurs de la série ont fait appel à cette prétention de réalisme et d’authenticité, souvent pour se dédouaner face à des accusations qui ont pu leur être formulées ; notamment lorsqu’ils ont dû faire face à des critiques face au sexisme, à la représentation des personnages féminins, très souvent dénudés, ou encore face à la violence qui était mise en scène, etc. Très souvent, ils se sont appuyés sur cette idée de réalisme : ‘Ce n’est pas nous, c’est le Moyen Âge qui était comme ça et nous ne faisons que transmettre cette image’. Mais effectivement, ce n’est pas une véritable image du Moyen Âge, qui n’est pas plus violent que notre époque. »

En clair : la violence de l’univers de Game of Thrones est un choix narratif et non imposé par le contexte médiéval. Cela signifie qu’il en va de même pour l’usage des violences contre les femmes comme outils scénaristiques. Le constat est assez préoccupant, encore en 2022, pour l’une des séries TV les plus regardées au monde.

Du sexe et de la violence dans un univers de gritty fantasy, c’est une chose. Des violences sexistes et sexuelles, c’en est une autre. Inutile, donc, d’invoquer la crainte d’un quelconque « lissage ». Que la misogynie soit aussi structurellement présente dans les moindres ressorts scénaristiques n’est que la perpétuation d’une imagerie dont on aimerait se débarrasser. Et oui : la fiction joue un rôle, par définition, dans les imaginaires, qui à leur tour ont un impact sur la société.


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