Certains entrepreneurs en herbe ont voulu profiter de la ruée sur les masques pour générer du bénéfice. C’est le cas d’Assia, qui a tenté de créer un site pour revendre des masques achetés sur Aliexpress à un prix bien supérieur. Sauf que son plan ne s’est pas déroulé comme prévu…

Avez-vous déjà essayé de vous procurer des masques afin de vous protéger contre le coronavirus ? Un site, « n95coronavirus.fr», a attiré notre attention au cours d’une enquête sur plus de 700 noms de domaines en « .fr », déposés entre janvier et mars 2020, que Numerama a épluchés un par un. Les masques de protection antiparticules N95 sont les équivalents américains des masques FFP2, prisés pour leur taux de filtrage des particules très élevé. En cliquant sur « n95coronavirus.fr », nous nous attendions donc à trouver une boutique de masques. Mais en entrant l’URL dans notre navigateur, nous avons été renvoyés vers une boutique… de vêtements en ligne, sans aucun rapport avec les N95.

Assia, la propriétaire du nom de domaine, n’a pas hésité avant de nous déballer son histoire. « À la base, j’ai lancé ce site avec une personne pour vendre des masques. Le but était de vendre des masques Aliexpress achetés à 54 centimes pour 8 fois le prix », confirme-t-elle, avant d’ajouter, avec une pointe de regret : « Mon ami a commencé à mettre les masques en vente, mais c’est tombé pendant la période où Emmanuel Macron a dit qu’il allait réquisitionner tous les masques. » Les deux co-entrepreneurs ont alors pris peur et se sont séparés.

Pour être efficace, un masque chirurgical doit bien recouvrir la bouche mais aussi l'intégralité du nez. Il ne doit pas être réajusté en le touchant et, lorsqu'on le retire, il faut le saisir par l'élastique et surtout pas via sa surface, qui pourra porter le pathogène. // Source : Pixabay

Pour être efficace, un masque chirurgical doit bien recouvrir la bouche mais aussi l'intégralité du nez. Il ne doit pas être réajusté en le touchant et, lorsqu'on le retire, il faut le saisir par l'élastique et surtout pas via sa surface, qui pourra porter le pathogène.

Source : Pixabay

La tentation du dropshipping de masques

« Quand j’ai récupéré le mot de passe de la boutique, j’ai modifié le nom de domaine et je pensais qu’il n’existait plus, je ne savais pas que ça renvoyait sur mon autre site », constate-t-elle. Malgré ces propos tenus plus tôt dans la semaine, l’entrepreneuse en herbe fait toujours la promotion de son magasin de vêtement à l’heure actuelle. Sauf qu’au lieu de rediriger vers la boutique, elle en a aussi déployé une copie conforme sur « n95coronavirus.fr ».

Le site de masques était opérationnel il y a deux semaines, mais il n’a fait aucun chiffre d’affaires, malgré 873 visites sur la période où il était en ligne. Avec son collègue, Assia a tenté de faire du dropshipping, une technique qui consiste à vendre des produits, le plus souvent de moindre qualité et achetés sur des sites chinois, pour un prix supérieur et sans prendre de risque.

Concrètement, sa plateforme ne sert que d’intermédiaire entre l’acheteur et Aliexpress. Les deux comparses n’auraient donc pas pris en charge l’emballage, le stockage ou encore la livraison du produit. Leur site n’aurait servi qu’à mettre en avant un produit disponible à petit prix autre part, simplement présenté différemment. Autrement dit, le dropshippeur commande sur Aliexpress pour vous.

« On avait regardé une vidéo de Yomi Denzel, c’est un jeune qui fait du dropshipping, et il y en a une où il explique qu’il est passé d’étudiant fauché à millionnaire à 22 ans », nous indique-t-elle.

« C’est pendant les crises que se cachent les plus grandes opportunités »

Avec ses 60 000 abonnés sur Instagram, et 285 000 abonnés sur YouTube, ce vidéaste suisse se décrit comme « formateur numéro 1 en dropshipping et e-commerce ». À chaque vidéo, il choisit un décor toujours plus luxueux : hôtels 5 étoiles, ancien château, voiture de sport… « C’est pendant les crises que se cachent les plus grandes opportunités » matraque-t-il dans ses contenus les plus récents. Depuis que nous avons regardé sa chaîne, il se retrouve très régulièrement dans nos publicités YouTube pour nous vanter les mérites de sa formation de création de boutiques en ligne. Cette « Formation E-commerce Elite v3 » coûte 1 497 euros.

Contacté par Numerama, Yomi Denzel réagit à l’aventure d’Assia : « Il ne faut pas interpréter mes propos de la mauvaise manière, je ne suis pas en train de dire que l’on doit vendre des masques. Je parle de produits que l’on vendait déjà avant, qui n’ont pas de rapport avec la maladie, mais qui peuvent profiter du trafic qui a doublé, voire triplé sur les sites d’e-commerce ». Il nous dit conseiller à ses disciples d’éviter la vente de « produits de propreté », et de se concentrer plutôt sur des produits qui profitent du confinement comme « le matériel de sport », « le divertissement », ou « les produits pour apprendre ».

Yomi Denzel a récemment lancé une campagne de publicité sur sa formation au dropshipping et à l'e-commerce. // Source : Capture d'écran Numerama

Yomi Denzel a récemment lancé une campagne de publicité sur sa formation au dropshipping et à l'e-commerce.

Source : Capture d'écran Numerama

« J’ai dû parler des masques dans ma story Instagram, car j’avais beaucoup de questions d’abonnés. En soi, vendre des masques ce n’est pas mal, mais il ne faut pas mettre des prix super élevés, et il faut pouvoir assurer des délais de livraison rapides », observe-t-il. « Mais plus généralement, je ne trouve pas cela super de jouer sur la peur des gens. Personnellement, je suis dans une situation où j’ai assez d’argent : je n’ai pas besoin de gratter de l’argent avec ce genre de ficelles ».

Le Suisse expose dans ses vidéos ses records de ventes sur ses différents sites. Mais il refuse de nous indiquer le nom d’un d’entre eux. « Je ne partage pas, car la fois où je l’ai fait des centaines de personnes ont copié mon site », justifie-t-il, « mais je ne vends que des produits normaux comme des montres ou des produits cosmétiques. »

Bannie de Facebook pour publicité sur le coronavirus

Malheureusement pour Assia, sa brève aventure de vendeuse de masques n’est pas sans conséquence. Pour accompagner le déploiement de sa boutique de masques, elle avait lancé une campagne de publicité sur Facebook Ads. Problème : le réseau social a rapidement pris des mesures contre les publicités liées aux coronavirus. « Tous mes comptes et ma carte bleue Facebook ont été bloqués, et je ne peux pas recréer de carte. Tout s’est retourné contre moi, la prochaine fois je ne ferai pas confiance à une autre personne », rouspète-t-elle encore. Sans son compte Facebook, elle ne peut plus lancer de campagne de publicité sur la plateforme. C’est un vrai problème, puisqu’il s’agit d’un des principaux leviers de vente des dropshippers, avec la promotion par des « influenceurs » Instagram.

Pour aider les entrepreneurs en herbe à monter leur site rapidement et à moindres frais, Yomi Denzel leur conseille de passer par Shopify. Massivement utilisé par toutes sortes de commerçants, ce service permet de créer une boutique en ligne sans connaissance en informatique, pour 29 ou 79 euros par mois.

« Tant qu’on ne ment pas à l’acheteur, il n’y a pas de problème »

Il faut ensuite déposer un nom de domaine (comme « n95coronavirus.fr ») pour quelques dizaines d’euros l’année. Un coût négligeable… excepté si vous recherchez un nom très bien référencé. Dans la base de données que Numerama a épluchée, nous avons identifié une dizaine de ces noms de domaines déposés via Shopify, comme « preventioncoronavirus.fr » ; « santecovid.fr »; ou « coronasolution.fr ». La plupart d’entre eux ont été déposés par des spéculateurs qui espèrent tirer quelques milliers d’euros de la vente de ces noms de domaines, tandis que d’autres préparent probablement le lancement d’une boutique de produits plus ou moins légaux liés au coronavirus.

Et voilà, pour une centaine d’euros vous avez une boutique fonctionnelle, et vous pouvez commencer à dropshipper. « Ce n’est pas parce qu’on fait du dropshipping qu’on fait de l’arnaque, même si certains ont fait n’importe quoi. Tant qu’on ne ment pas à l’acheteur, il n’y a pas de problème », défend Yomi Denzel. « Le dropshipping est une manière de commencer à faire de l’e-commerce sans stock : c’est un moyen de transition pour ceux qui n’ont pas 10 000 euros à mettre au lancement de leur business. Une fois qu’on a un peu d’argent, on va pouvoir améliorer le produit ou le packaging. »

Pas besoin de Shopify pour profiter de la vente de masques

Shopify n’est pas le seul moyen de profiter de la revente de produits sanitaires chinois. D’ailleurs, la plateforme est réputée pour retirer extrêmement rapidement les sites louches qu’on lui signale. Certains préfèrent donc appliquer les mêmes ficelles sur la marketplace d’Amazon ou de Facebook : ils vendent sans stock des produits qu’ils achèteront ensuite à flux tendu sur Aliexpress ou Gearbest.

Sur le site chinois d'e-commerce Gearbest, on peut acheter des masques n95. // Source : Capture d'écran Numerama

Sur le site chinois d'e-commerce Gearbest, on peut acheter des masques n95.

Source : Capture d'écran Numerama

D’autres prennent encore moins de risques, et passent par l’affiliation officielle des plateformes chinoises. Par exemple, le site très louche « 24hdiscount.com » fait la promotion des produits sanitaires (masques, gants, gels hydroalcooliques) de Gearbest. Si les internautes achètent par cette voie, 24hdiscount récupèrera une commission comprise entre 9 et 20 % du prix. Ce procédé est courant pour toutes sortes de produits et parfaitement légal.

Mais pour maximiser son profit, 24hdiscount a lancé une campagne d’email repérée par « signal-spam.fr » un des membres du dispositif gouvernemental Cybermalveillance, qui centralise les courriels frauduleux signalés par ses membres. Le site titrait son email : « COVID-19 : Masques N95/FFP2 à -62%, gants en latex et solution hydroalcoolique. » Dans le coeur de l’email, il promouvait toutes sortes de produits Gearbest : « Achetez vos masques N95/FFP2 ce sont les seuls capables de filtrer le coronavirus ». 24hdiscount ne prend ainsi aucune responsabilité, et récupère de l’argent facile. Et comme les dropshippers, il profite de la ruée vers les masques.

Cet article a été réalisé avec le concours de Marie Turcan et Aurore Gayte, dans le cadre d’une enquête globale sur les noms de domaines dans le contexte de la pandémie de coronavirus. Le premier volet consacré à la revente de noms de domaine est en ligne ici. Suivez Numerama ici, sur Facebook ou Twitter pour ne pas manquer la publication des nouveaux volets de cette enquête.

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