Faites le test. Trouvez le gamer de votre entourage le plus proche et demandez-lui s’il est un gamer. Il est probable qu’il s’en défende avec véhémence. Certes, il joue aux jeux vidéo, mais ce n’est pas sa seule pratique culturelle. Il n’est pas obsédé. Il n’est pas sectaire. Il n’est pas de ces personnes qui en harcèlent d’autres parce qu’une héroïne en 3D ne montre pas assez son cul.
Stellar Blade est un jeu vidéo d’aventure proposé par le studio coréen Shift Up, sorti fin avril. On y incarne Eve, une androïde chargée de sauver la Terre d’affreux extraterrestres. Une héroïne forte, donc, et surtout sexy : on peut l’habiller avec toutes sortes de tenues moulantes ou très courtes, qui mettent en valeur sa poitrine et ses fesses. Cette sexualisation pas très subtile est complètement assumée par l’équipe du jeu.
Dans le Washington Post, son réalisateur Kim Hyung-tae explique avoir voulu représenter un idéal féminin « sans restrictions ni contraintes », en invoquant la culture de la beauté en Corée du Sud. Ces discours ont enthousiasmé une frange de joueurs en ligne, qui croient voir en Stellar Blade le retour en force des jeux vidéo qui s’adressent avant tout aux hommes hétérosexuels.
Ils ne craignaient pas qu’on critique l’œuvre pour son sexisme. Au contraire, certains semblaient espérer la baston. Quoi de mieux que des féministes mécontentes pour relancer un nouveau Gamergate et se poser en victimes de censure ?
Ce ne sont pas les féministes qui ont créé la polémique
Sauf que la réalité a été beaucoup plus calme. Des personnes ont souligné, à juste titre, le sexisme bête et méchant de Stellar Blade. Mais cela n’a pas empêché le jeu de recevoir des critiques plutôt correctes (Numerama lui a par exemple donné un 7/10). Autrement dit, ce ne sont pas les féministes qui ont créé la polémique, mais bien ce petit groupe de gamers qui n’ont désormais pas d’autres choix que de se raccrocher à leur apocalypse fantasmée pour continuer d’attirer l’attention.
Ils ont accusé le jeu d’avoir censuré les tenues les plus affriolantes. Ils ont fait augmenter artificiellement sa note sur Metacritic. En France, l’équipe du podcast Game Dolls Advance a subi un violent harcèlement sexiste et transphobe à cause d’une chronique sur Stellar Blade. La séquence en question ne critiquait pourtant pas l’apparence d’Eve, préférant remettre la réception du jeu dans son contexte économique et politique (notamment avec la place très particulière du féminisme en Corée du Sud, je vous invite à regarder la chronique en entier par ici).
Ces gamers ne sont pas en colère à cause d’un cul ou de son absence. Ils sont en colère parce que c’est cette colère qui leur permet d’exister en ligne. Ils ont besoin de punching-balls pour faire des tweets rageurs, signer des pétitions absurdes, réagir dans des vidéos YouTube qui suintent la haine. Ils nous accusent de refuser le débat, mais ne se demandent jamais s’ils sont assez intéressants pour qu’on discute avec eux.
Ils ont peur des réflexions nuancées, qu’une plus grande variété de personnes parlent de jeux vidéo, que les médias qui leur sont dédiés, qu’ils exècrent de toute manière, changent ou meurent à petit feu. Ils hurlent parce qu’ils veulent tout posséder, les femmes virtuelles, l’industrie, ce sentiment de puissance qu’ils ont brièvement ressenti il y a dix ans, cette fameuse identité de gamer, qu’on pourrait très bien, un jour, leur reprendre. On peut réfléchir aux jeux vidéo et les aimer sans eux. On peut être des gamers sans eux.
Cet édito est extrait de la newsletter Règle 30 par Lucie Ronfaut, envoyée chaque mercredi à 11h. Pour vous abonner :
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