Pour la première fois en France, Tesla a ouvert l’accès à sa technologie de Conduite Entièrement Autonome surveillée (FSD) au grand public et à la presse. En décembre, une dizaine de véhicules équipés du dernier matériel (Hardware 4) et du logiciel FSD v14 ont sillonné les rues françaises. Loin des autoroutes californiennes et des villes américaines au quadrillage parfait, comment l’IA s’en sort-elle face aux ronds-points, aux travaux et à l’imprévisibilité des routes européennes ? C’est ce qu’on va voir.

C’était la grande question qui divisait les observateurs : une technologie née dans la Silicon Valley, avec ses avenues larges, son beau temps permanent et ses plans en damier, peut-elle survivre à l’urbanisme européen ? La France n’est pas un clone des États-Unis. Nos rues sont étroites, nos intersections complexes, nos règles changeantes et nos ronds-points nombreux.

Pourtant, fin 2025, le FSD (Full Self-Driving) est bien là, en région parisienne : pas pour le grand public, non, mais pour toute personne souhaitant faire le test de la conduite autonome pendant une trentaine de minutes, avec un pilote Tesla derrière le volant. En tant que média, nous avons eu un créneau plus long et surtout, le droit de tout filmer. Notre itinéraire, partant de Saint-Ouen jusqu’au quartier de Bécon-les-Bruyères, n’avait rien d’une promenade de santé. C’était de la ville pure et dure, avec des situations complexes à gérer : l’occasion de mettre le FSD à rude épreuve.

Une philosophie de conduite qui s’inspire de l’humain

Ce qui frappe dès les premières minutes, c’est le comportement de la voiture. Elle ne conduit pas comme un robot rigide, mais tente d’imiter le raisonnement humain. Le système semble obéir à un tryptique de consignes :

  1. La sécurité absolue : ne blesser personne (passagers, piétons, cyclistes, etc.) et éviter tout accident autant que faire se peut.
  2. Le respect du Code de la route : suivre les règles, sauf si cela contrevient à la règle n°1 (oui, en tant qu’humain conducteur, vous saurez privilégier votre sécurité à une règle, par exemple si un véhicule vous fonce dessus alors que vous attendez à un feu rouge, le mieux est de griller le feu rouge et éviter un accident).
  3. L’efficacité : aller d’un point A à un point B le plus vite possible.

Cette dernière consigne permet à l’IA de prendre des décisions plus complexes et mieux contextualisées : si elle ne la respectait pas, elle resterait par exemple bloquée derrière un camion en double file, refusant de passer sur la voie d’en face. Il lui faut cette latitude de prise de décision pour affronter le trafic (et les conducteurs humains, qui, eux font souvent n’importe quoi).

L’IA face à la réalité du terrain : 4 situations bluffantes

Durant nos 40 minutes d’essai, le FSD V14 a roulé comme un chef sur les portions les plus simples et a géré des situations qui auraient donné des sueurs froides à bien des conducteurs débutants.

1. Le dépassement sur voie de face

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Face à un VTC garé en warning sur notre voie avec une ligne blanche continue, le robot n’est pas resté bloqué bêtement. Après avoir analysé l’environnement, il a franchi la ligne blanche pour contourner l’obstacle, exactement comme l’aurait fait un humain. Il a aussi le chic de laisser de la place aux vélos qu’il dépasse et de respecter les sas vélo, ce que ne fait pas toujours un conducteur humain.

2. La politesse envers les piétons

Difficile, mais la Tesla le voit // Source : Numerama
Difficile, mais la Tesla le voit // Source : Numerama

À une intersection avec un stop, après avoir laissé passer les voitures prioritaires, la Tesla s’est engagée mais s’est immédiatement arrêtée pour laisser traverser un piéton qui attendait sur le trottoir. Là où de nombreux conducteurs parisiens auraient forcé le passage, le robot a fait preuve d’une civilité exemplaire.

Il attend, mais elle le laisse passer // Source : Numerama
Il attend, mais elle le laisse passer // Source : Numerama

3. La gestion des passages étroits

Dépasser une camionnette mal garée // Source : Numerama
Dépasser une camionnette mal garée // Source : Numerama

Dans une ruelle à double sens où deux voitures ne peuvent pas se croiser, la Tesla a détecté un véhicule arrivant en face. Au lieu de forcer, elle s’est rangée dans un trou de souris sur la droite pour laisser passer l’autre conducteur. Une gestion de l’espace et du contexte social impressionnante, d’autant qu’elle sait aussi faire l’inverse : s’engager quand un conducteur la laisse passer — elle réagit donc au signal envoyé par la conduite du conducteur d’en face.

4. Le test ultime : Le camion poubelle et la Mercedes

La situation la plus marquante a sans doute été celle de ce camion poubelle en zone de travaux. La Tesla a entamé une manœuvre de dépassement, a jeté un œil, et s’est ravisée en se rabattant. Pourquoi ? Parce qu’une Mercedes pressée arrivait derrière à toute allure pour doubler n’importe comment.

Résultat : La Mercedes s’est retrouvée bloquée 10 mètres plus loin dans un embouteillage. Le robot, lui, a pris la décision la plus sûre et la plus rationnelle, prouvant qu’il avait une meilleure appréciation du danger que le conducteur humain de la Mercedes.

Remonter toute une file à fond la caisse pour être bloqué 10 mètres plus loin : une spécialité humaine // Source : Numerama
Remonter toute une file à fond la caisse pour être bloqué 10 mètres plus loin : une spécialité humaine // Source : Numerama

Pourquoi cette version V14 est-elle si différente des autres ? Parce que Tesla, depuis quelques versions du FSD et particulièrement sur cette v14, déploie un logiciel bien plus capables de « raisonner » par rapport à son environnement. Il va prendre des décisions « comme un humain », quand la sécurité le permet. Nous sommes désormais face à des réseaux neuronaux et de la vision machine avancée. C’est une IA « bout en bout » : elle ingère des images vidéo et recrache des commandes de conduite. Elle ne suit pas un programme, elle comprend une situation, en ajoutant sa connaissance parfaite des dimensions de la voiture au centimètre près (ce qui lui permet de frôler des trottoirs ou des camions avec une assurance que je n’aurais pas eue moi-même).

Le système est-il parfait ? Non, pas encore, évidemment. Mais les limites que nous avons identifiées lors de notre test ne sont pas des comportements dangereux : en 40 minutes, nous avons vu des humains faire infiniment pire. Néanmoins, à date, cela reste une conduite autonome surveillée, qui apprend et s’entraîne encore. Le pilote Tesla, qui connaît bien le véhicule, est intervenu deux fois :

  1. La pression sociale : à un feu rouge, un camion à notre gauche a grillé le feu. La Tesla, influencée par ce mouvement, a commencé à avancer avant que le superviseur ne freine par sécurité. Je ne suis pas certain qu’elle se serait engagée après avoir bougé de quelques centimètres et j’aurais aimé voir sa réaction finale, mais la sécurité primant sur le test, je comprends aussi que Tesla n’ait pas souhaité tenter le diable. Notez qu’il ne s’agissait pas d’un moment dangereux, même en grillant un feu : le trafic était bouché même après le feu.
  2. Le blocage total : À Saint-Ouen, une mauvaise synchronisation de feux temporaires a créé un nœud gordien : les voitures s’engagaient des deux côtés sur une voie unique. Impossible de passer : les voitures de la file d’en face forçaient le passage. L’IA a tenté de s’approcher au plus près du feu, mais la solution n’était pas informatique. Il a fallu sortir de la voiture pour aller faire la circulation manuellement et demander aux voitures en face de reculer. Dans ce cas précis, même un conducteur humain aurait été impuissant — c’était d’ailleurs le cas, vu que nous avions de nombreuses voitures derrière nous.

L’enjeu réel de ce test ? convaincre l’Europe pour 2026

Au-delà de la prouesse technique, cette opération séduction a un but éminemment politique. Il est aujourd’hui interdit d’utiliser ce niveau d’autonomie en Europe. En montrant que ça marche, Tesla met la pression sur les législateurs.

L’objectif de l’entreprise est clair : obtenir une autorisation nationale par « exception au cadre européen », peut-être d’abord aux Pays-Bas, pour février 2026, et créer un effet boule de neige. Et la France dans tout ça ? Philippe Tabarot, ministre des Transports, pourrait marquer l’Histoire de son ministère en autorisant un test similaire à Tesla — et à tous les constructeurs qui en font la demande. On pense par exemple à Waymo, qui va débarquer à Londres avec ses taxis en 2026 et qui a récemment produit des statistiques qu’une personnalité politique ne peut que vouloir dans son bilan : jusqu’à 91 % d’accidents graves en moins par rapport à un conducteur humain !

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