C’est un problème de fond que l’armée russe ne parvient pas à résoudre avec ses armes actuelles. Comment neutraliser Starlink, la constellation satellitaire d’Elon Musk sur laquelle s’appuie fortement l’armée ukrainienne pour continuer le combat ? Abattre un satellite avec un missile, comme Moscou l’a fait en 2021 avec son système Nudol, n’est pas pertinent : cela coûte très cher et le réseau Starlink compte des milliers d’engins.
Même dans l’optique de plusieurs tirs antisatellites, le maillage de Starlink est si dense que les perturbations ne dureraient qu’un temps très court, le temps que le trafic soit redistribué sur les autres satellites survivants. D’où, visiblement, la recherche d’autres options. Il a été ainsi question d’un projet d’arme nucléaire spatiale, afin de miser sur l’impulsion électromagnétique pour descendre d’un coup de nombreux satellites.
Des projections de shrapnels sur l’orbite de Starlink
Mais l’usage d’une arme nucléaire dans l’espace constituerait à coup sûr le franchissement d’un pas symbolique trop grave, avec des conséquences terribles pour les satellites autour de la Terre. Toujours est-il que ce levier, à ce stade, n’a pas été actionné. Et, d’après une information obtenue par AP le 22 décembre, un nouveau plan semble avoir été mis sur pied côté russe : le recours à des shrapnels spatiaux.
L’idée ? Plus question de procéder à une frappe cinétique de précision, par l’envoi d’un missile contre un satellite. Il s’agirait cette fois de rechercher une arme avec effet de zone, comme la bombe nucléaire, mais sans briser le tabou atomique. Cela reviendrait, en somme, à balancer une grenade à fragmentation en orbite, et compter sur des billes de métal pour détruire ce qui se trouve aux alentours.
Des projectiles filant à des milliers de km/h
De simples billes de métal pourraient-elles être vraiment si néfastes ? En orbite, la létalité est en fait question de vitesse, pas de taille. Des éclats et des débris, propulsés par l’explosion initiale de l’engin piégé, fileraient tout autour de la Terre à des vitesses extrêmes — aux alentours de 28 000 km/h (7,8 km/s), comme la Station spatiale internationale. De fait, ils deviendraient des projectiles hyper-véloces.
Pour avoir un ordre d’idée, l’énergie cinétique d’un débris de 10 grammes qui file à 10 km/s atteint les 500 000 joules. C’est légèrement plus élevé que l’énergie cinétique d’une voiture de 1,5 tonne roulant à une vitesse de 90km/h ! D’ailleurs, les photos montrant le résultat d’impact d’un fragment contre une paroi sont éloquentes. À cette allure, un satellite Starlink serait tout simplement transpercé, pulvérisé.

Et le problème ne s’arrêterait pas là. Une fois le satellite Starlink traversé de part en part, déchirant l’électronique et les panneaux solaires comme du papier, d’autres débris seraient alors produits, qui à leur tour fonceraient vers de nouvelles cibles, en tous sens. Cet effet boule de neige est un problème qui a été identifié de longue date et que l’on nomme syndrome de Kessler. En clair, l’orbite deviendrait impraticable à long terme.
Une arme aveugle qui ne trie pas ses cibles
Mais cette arme ne se contente pas de frapper les satellites adverses : elle a un effet boomerang, qui risque de revenir dans la figure de Moscou. Et c’est là toute la folie et le paradoxe de la destruction physique des satellites : si la Russie s’engage dans cette voie, elle prend le risque de générer des nuages de fragments qui pourraient aussi bien toucher les appareils ennemis, ceux des pays neutres, ceux des alliés et même les siens.
D’ailleurs, l’affaire est prise assez au sérieux pour que les USA optent pour une relative transparence. Selon AP, les renseignements américains ont été partagés avec la Chine et l’Inde, dans l’idée que Pékin et New Delhi fassent passer des messages à Vladimir Poutine que transformer l’orbite basse en un « champ de mines » est une ligne rouge à ne pas franchir — sous peine de perdre de précieux soutiens.
En essayant d’aveugler l’armée ukrainienne par la destruction d’une partie de Starlink avec ces charges à fragmentation, Moscou apposerait sur le dos de chaque engin dans l’espace une cible potentielle. Car ces shrapnels ne sont pas en mesure de distinguer les amis des ennemis. Et les lois de la mécanique orbitale se chargeraient du reste.
En orbite terrestre basse, là où se trouvent les satellites Starlink (on les trouve entre 300 et 600 km), Moscou risque aussi de menacer :
- les satellites d’observation (y compris militaires à des fins d’espionnage et de renseignement) et de télécoms de ses alliés, comme la Chine ;
- ses propres engins se trouvant à cette altitude ;
- la station chinoise Tiangong ;
- la Station spatiale internationale (ISS), dont la Russie est membre et où résident des cosmonautes russes ;
- la future station russe, en projet ;
Par ailleurs, cette stratégie, outre qu’elle risque de mécontenter lourdement les alliés de Moscou si les dégâts sont catastrophiques, pourrait aggraver les relations déjà très dégradées avec l’Occident. Et surtout, l’attaque contre Starlink est susceptible d’être très mal perçue à Washington, qui pourrait y voir une attaque indirecte contre les États-Unis. Une escalade qui forcerait la Maison-Blanche à réviser sa position face à Moscou.
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