Encore une nouvelle mission vers Mars ! La Nasa a approuvé le développement d’ESCAPADE, un couple de vaisseaux chargés d’étudier le champ magnétique martien et la disparition de l’atmosphère. Une mission ambitieuse, mais aussi très économique.

Alors que le monde a les yeux tournés vers Perseverance qui creuse ses premiers trous sur le sol martien, la Nasa, elle, entame déjà la construction de son nouveau vaisseau à destination de la planète rouge. La mission ESCAPADE (« Escape and Plasma Acceleration and Dynamics Explorers »), a passé sa validation par le comité le 17 août 2021, une étape clé, et son lancement est déjà prévu pour 2024. Alors, en quoi consiste-t-elle ?

Comprendre la disparition de l’atmosphère martienne

ESCAPADE correspond en réalité à deux vaisseaux. Ces deux jumeaux vont parcourir l’orbite martienne pour étudier les vents solaires et leur impact sur l’atmosphère de la planète. La théorie veut que ces rayonnements aient favorisé la dispersion de l’atmosphère dans l’espace, mais le processus est encore assez mal connu, faute de données récoltées. Le principal responsable de la mission, Robert Lillis, interrogé par Numerama, précise : «Aujourd’hui, l’atmosphère martienne est très mince, mais si nous identifions bien le mécanisme, nous pouvons extrapoler et comprendre ce qu’il s’est passé il y a des milliards d’années, quand l’environnement était très différent

Encore aujourd’hui, comprendre comment Mars a pu devenir aride et morte est difficile. Si bien des causes sont envisagées, les vents solaires font partie des principaux suspects. Sur Terre aussi, ils ont un impact, ce sont eux qui créent les aurores boréales et les mécanismes sont étudiés en détail grâce à plusieurs satellites.

Sur Mars, forcément, la technologie déployée est plus rare, mais la sonde MAVEN, arrivée en orbite en 2014, a apporté de précieuses informations. Elle a notamment aidé à comprendre comment fonctionne encore aujourd’hui le champ magnétique martien. Elle a resserré l’étau autour des vents solaires, désormais bien identifiés comme les responsables de la disparition de l’atmosphère. Mais si MAVEN a rapporté de tels résultats, quel intérêt d’envoyer encore un vaisseau faire la même chose ?

Deux valent mieux qu’un

«La limite de MAVEN, c’est qu’il s’agit d’un seul vaisseau, confie Robert Lillis. La sonde seule ne peut pas comprendre vraiment ce qui se passe, il faut être plusieurs.» La principale innovation d’ESCAPADE, ce sont donc ces deux vaisseaux. Ils sont décrit comme des mini-frigos de 120 kilos chacun, dont le design final n’est pas encore mis au point. Néanmoins, on sait qu’ils seront strictement identiques et faits pour cartographier au mieux les événements qui se déroulent dans l’atmosphère martienne.

Dans la première phase de la mission, qui durera six mois, ils se suivront à quelques minutes d’intervalle sur la même orbite. Puis pour la deuxième phase, l’un d’eux descendra un peu et l’autre remontera de manière à séparer leurs trajectoires. Ils finiront sur deux orbites opposées. Quel intérêt ? Tout voir, selon Robert Lillis : «Avec un vaisseau seul, vous devez choisir : soit vous mesurez le vent solaire, soit la dispersion de l’atmosphère, mais vous ne pouvez pas faire les deux en même temps. Quand MAVEN détectait un vent solaire, il repassait plusieurs heures plus tard pour voir les conséquences, mais la disparition de l’atmosphère ne se fait qu’en une ou deux minutes ! Le processus lui-même n’est pas mesuré

En clair, «voir» ce mécanisme reviendrait à vouloir mesurer du vent. Ce n’est pas quelque chose de possible à distance, il faut être sur place pour comprendre sa vitesse, sa trajectoire et ce qu’il emporte avec lui. Les deux jumeaux d’ESCAPADE pourront donc s’allier pour avoir une vision plus claire de tout ce qu’il se passe lorsque les vents solaires arrivent sur Mars.

En plus, être deux renseigne sur les changements de conditions. Si tout d’un coup le champ magnétique devient plus fort, un seul vaisseau ne saura pas s’il est entré dans une zone qui présente une particularité, ou s’il s’agit d’un phénomène global. À deux, la multiplicité des points de vue comble cette limite.

Une mission discount

Parlons chiffres. MAVEN avait coûté, en 2013, 671 millions de dollars. Pour ESCAPADE et ses deux vaisseaux, le budget est de 80 millions de dollars (68 millions d’euros environ). C’est une des missions martiennes les moins chères jamais réalisées. La Nasa mène cette politique via son programme SIMPLEx, nous explique Robert Lillis : «L’idée, c’est de maximiser la quantité de résultats scientifiques par dollar. Ce sont des missions à 10% du budget habituel, mais où l’ambition scientifique n’est pas sacrifiée

Là où l’agence peut rogner sur les prix, c’est dans la conception, qui passe par des entreprises privées. Ici, Rocket Lab développe en interne l’ensemble des systèmes et utilise des pièces génériques à faible coût. Mais ce qui rapporte aussi, c’est d’alléger les très coûteuses phases de tests.

La Nasa classe les missions habitées en catégorie A. Ce sont celles où la part de risque doit être réduite à un niveau proche de zéro, car personne ne veut le moindre accident. Les missions robotiques ambitieuses comme MAVEN sont classées en catégorie B. Mais pour les missions plus anecdotiques, on descend dans la D. «ESCAPADE, c’est du D*, raconte Robert Lillis. C’est-à-dire que nous sommes encore en dessous d’une catégorie D, on accepte un niveau de risque plus élevé

ESCAPADE

Animation d'un des deux vaisseaux d'ESCAPADE.

Source : UC Berkeley

La Nasa fait donc des économies en limitant les tests sur tous les composants. Cette stratégie économique vaut pour tout le programme SIMPLEx, avec l’idée que dans le cas où une mission raterait, les pertes seraient de toute façon assez limitées et que toutes les autres missions qui réussiront les combleront. «Ça vaut le coup ! assure Robert Lillis. La Nasa veut que sa mission fonctionne, évidemment. Mais avec l’acceptation de ce risque, on a plus de missions, et donc plus de science par dollar !»

Cette politique est tout de même utilisée avec beaucoup de parcimonie par la Nasa, qui veut forcément éviter d’essuyer des critiques sur un gaspillage d’argent public en cas d’échec. Deux missions lunaires ont déjà été lancées ainsi, et deux autres sont prévues en plus d’ESCAPADE : JANUS qui va visiter un couple d’astéroïdes l’année prochaine, et Lunar Trailblazer conçu pour chercher de l’eau sur la Lune.

La France a un peu participé

ESCAPADE a beau être une mission de la Nasa, le CNRS, en France, a aussi mis la main à la pâte. Deux scientifiques, notamment, font partie de l’équipe. Ronan Modolo, du LATMOS à Paris, a conçu des simulations des vents solaires et des interactions avec Mars. Ses travaux serviront à mieux comprendre les résultats, une fois les premières données récoltées. Matthieu Berthomier, lui, est un chercheur du Laboratoire de Physique des Plasmas. C’est lui qui a fourni la partie électronique pour analyser les électrons.


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