À l’instar des poux, des puces ou des vers solitaires, les téléphones intelligents sont des parasites pour l’humain, fait remarquer cet article de The Conversation.

Les poux, les puces et les vers solitaires accompagnent l’humanité depuis le début de son histoire. Toutefois, le parasite le plus important de l’ère moderne n’est pas un invertébré suceur de sang. Il a des lignes épurées, un écran vitré et est conçu pour créer une dépendance. Son hôte ? Tous les êtres humains de la planète disposant d’un signal Wi-Fi.

Loin d’être inoffensifs, les téléphones intelligents parasitent notre temps, notre attention et nos informations personnelles, tout cela dans l’intérêt des entreprises technologiques et de leurs annonceurs.

Dans un article paru récemment dans l’Australasian Journal of Philosophy, nous soutenons que les téléphones intelligents présentent pour la société des risques uniques, qui apparaissent clairement lorsqu’ils sont considérés à travers le prisme du parasitisme.

Qu’est-ce qu’un parasite dans la nature ?

Selon les biologistes de l’évolution, un parasite est une espèce qui vit aux dépens d’un autre organisme, l’hôte, et qui tire profit de cette association, tandis que l’hôte en paie le prix.

Le pou de tête, par exemple, dépend entièrement de notre espèce pour subsister. Il ne se nourrit que de sang humain et ne survit pas longtemps s’il se détache de son hôte, à moins qu’il n’ait la chance de tomber sur le cuir chevelu d’un autre humain. En échange de notre sang, les poux nous donnent une affreuse démangeaison — c’est le prix à payer.

Un parasite Varroa sur une nymphe d'abeille. // Source : Flickr/CC/Gilles San Martin (photo recadrée)
Un parasite Varroa sur une nymphe d’abeille. // Source :Gilles San Martin

Les téléphones intelligents ont radicalement changé notre existence. Qu’il s’agisse de s’orienter dans une ville ou de gérer une maladie chronique telle que le diabète, ces petits objets technologiques de poche nous facilitent la vie. À tel point que nous n’arrivons plus à nous en passer.

Pourtant, malgré ces avantages, beaucoup d’entre nous deviennent otages de leur téléphone et esclaves du défilement sans fin, incapables de se déconnecter complètement. Le prix à payer est le manque de sommeil, de moins bonnes relations en personne et des troubles de l’humeur.

Du mutualisme au parasitisme

Toutes les relations étroites entre espèces ne sont pas parasitaires. De nombreux organismes qui vivent sur nous ou à l’intérieur de nous sont bénéfiques.

Prenons l’exemple des bactéries présentes dans l’intestin des animaux. Elles ne peuvent survivre et se reproduire hors de l’intestin de leur hôte, et elles absorbent les nutriments qui y transitent. Elles procurent toutefois des avantages à leur hôte, notamment en améliorant son immunité et sa digestion. Ces associations bénéfiques pour les deux parties sont appelées mutualistes.

L’association entre l’humain et le téléphone intelligent a commencé par être mutualiste. La technologie s’est avérée utile aux humains pour rester en contact, se déplacer à l’aide de cartes et trouver des informations.

Les philosophes n’ont pas parlé de mutualisme, mais ont plutôt présenté le téléphone comme un prolongement de l’esprit humain, à l’instar des carnets, cartes et autres outils pratiques.

Cependant, nous considérons que cette relation, inoffensive au départ, est devenue parasitaire. Un tel changement n’est pas rare dans la nature. Un mutualisme peut se transformer en parasitisme, et inversement.

Les téléphones, ces parasites

Pendant que les téléphones intelligents devenaient quasiment indispensables, certaines des applications qu’ils proposent en sont venues à servir plus fidèlement les intérêts des fabricants d’applications et de leurs annonceurs que ceux des utilisateurs humains.

Conçues pour influencer notre comportement, ces applications nous incitent à continuer de faire défiler les pages, à cliquer sur des publicités et à nous indigner perpétuellement.

Google Pixel 6a // Source : Louise Audry pour Numerama
Le parasite moderne. // Source : Numerama

Les données relatives à notre façon d’utiliser le défilement sont exploitées à des fins commerciales. Notre téléphone ne s’intéresse à nos objectifs personnels de remise en forme ou à notre désir de passer plus de temps avec nos enfants que dans la mesure où il utilise ces informations pour mieux capter notre attention.

Il peut donc être pertinent d’envisager les utilisateurs comme des hôtes et les téléphones comme leurs parasites, du moins dans certaines situations.

Si cette prise de conscience est intéressante en soi, le fait de considérer les téléphones intelligents sous l’angle évolutif du parasitisme prend tout son sens lorsqu’on s’interroge sur la transformation possible de cette relation, mais aussi sur la manière dont nous pourrions déjouer ces parasites technologiques.

La problématique de la régulation

Dans la Grande Barrière de corail, les labres nettoyeurs établissent des « postes de nettoyage » où les plus gros poissons permettent aux labres de se nourrir de peaux mortes, d’écailles qui se détachent et de parasites invertébrés qui vivent dans leurs branchies. Il s’agit d’une relation classique de mutualisme : les gros poissons se débarrassent de leurs parasites nuisibles et les labres nettoyeurs s’alimentent.

Parfois, les labres nettoyeurs « trichent » et mordent leurs hôtes, faisant passer la relation du mutualisme au parasitisme. Les poissons nettoyés peuvent punir les coupables en les chassant ou en les empêchant de les approcher. Les poissons de récif font ainsi preuve d’un comportement que les biologistes de l’évolution considèrent comme important pour maintenir l’équilibre des mutualismes : la régulation.

Est-il possible de réguler la façon dont les téléphones intelligents nous exploitent et de rétablir une relation bénéfique pour tous ?

L’histoire de l’évolution montre que deux éléments sont essentiels : la capacité de détecter l’exploitation lorsqu’elle se produit et la capacité de réagir (en cessant, par exemple, de fournir des services au parasite).

Une rude bataille pour s’en libérer

Dans le cas du téléphone intelligent, il est difficile de détecter l’exploitation. Les entreprises technologiques qui conçoivent les fonctionnalités et les algorithmes qui nous incitent à utiliser notre téléphone ne publicisent pas ce comportement.

Même quand on est conscient que les applications pour téléphones intelligents nous exploitent, il est plus facile de simplement déposer son téléphone que de modifier la situation.

Beaucoup d’entre nous sont devenus dépendants de leur téléphone intelligent pour accomplir des tâches quotidiennes. Plutôt que de se rappeler certains faits, nous nous en remettons à des appareils numériques, ce qui peut altérer la cognition et la mémoire.

Nous avons besoin d’un appareil photo pour immortaliser les moments importants de notre vie, ou même simplement enregistrer l’endroit où nous avons garé notre voiture. Notre mémoire des événements s’en trouve à la fois améliorée et limitée.

cerveau
Source : Yuriy

Les gouvernements et les entreprises n’ont fait que renforcer notre dépendance aux téléphones en transférant leurs services en ligne via des applications mobiles. Lorsque nous prenons notre téléphone pour accéder à nos comptes bancaires ou aux services gouvernementaux, la bataille est perdue d’avance.

Comment les utilisateurs peuvent-ils corriger le rapport déséquilibré avec leur téléphone, et transformer une relation parasitaire en une relation mutualiste ?

Notre analyse suggère que le choix individuel ne suffit pas. Nous sommes dépassés par l’énorme avantage en matière d’information que les entreprises technologiques détiennent dans la course aux armements entre l’hôte et le parasite.

L’interdiction par le gouvernement australien de l’usage des médias sociaux pour les mineurs est un exemple d’action collective qui permet de limiter ce que les parasites peuvent faire de manière légale. Pour remporter la bataille, nous devrons également imposer des restrictions sur les fonctionnalités des applications connues pour créer une dépendance, ainsi que sur la collecte et la vente de nos données personnelles.

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Rachael L. Brown, Director of the Centre for Philosophy of the Sciences and Associate Professor of Philosophy, Australian National University et Rob Brooks, Scientia Professor of Evolution, UNSW Sydney

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Source : Numerama

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