Il a fallu attendre vingt ans pour avoir une suite à Baldur’s Gate II. Le défi a été relevé par le studio belge Larian. Baldur’s Gate III, sorti en 2023 dans sa version complète, devient le nouveau mètre-étalon

Il est de ces coïncidences que l’on ne s’explique pas vraiment. Des hasards qui font évidemment sourire. Il n’était pas tout à fait prévu que je me lance dans un test de Baldur’s Gate III. Je connais la licence de réputation, mais je n’ai jamais eu l’occasion de me plonger dans les épisodes précédents. Incompréhensible, alors que j’ai toujours eu une affection pour les ambiances médiévales fantastiques et le jeu de rôle.

Le jeu m’intriguait donc, et je suivais son actualité de loin en loin. C’est ensuite que les choses ont pris une tournure surprenante, car lorsque je me suis lancé dans Baldur’s Gate III, avec l’intention d’en faire un commentaire, on m’a proposé durant l’été de rejoindre une table pour du jeu de rôle dans l’univers des Royaumes oubliés. Celui-là même qui accueille Baldur’s Gate. Me voilà donc à jouer au même univers, en virtuel et en réel.

C’est donc avec confiance que j’ai mis les pieds en plein dedans : d’abord, parce que tout ce décor ne m’est pas étranger — derrière ces lignes, il y a quelques années de JDR sur table au compteur. Ensuite, parce que la notoriété de Larian Studios, le studio belge en charge Baldur’s Gate III, m’était déjà parvenu aux oreilles. C’est à eux que l’on doit la série Divinity, dont la dernière émanation, Original Sin II, a fortement marqué les esprits en 2017.

Compte tenu de l’excellente qualité d’Original Sin II, Larian Studios s’avérait un excellent choix pour diriger Baldur’s Gate III. Le studio avait largement démontré sa capacité à produire un jeu de rôle très abouti. Les notes de la presse et du public en témoignent, d’ailleurs, traduisant le sans-faute des équipes. On pouvait donc lui confier sans risque la gestation d’un mastodonte du jeu vidéo, vingt ans après BioWare, qui avait engendré les deux premiers opus en 1998 et 2000.

Aujourd’hui, toute l’expérience accumulée par Larian Studios depuis vingt ans (le premier jeu de rôle Divinity date de 2002 !) rejaillit dans Baldur’s Gate III, et cela se ressent immédiatement. Sans aucun doute, ce titre est ce qui se fait de mieux dans le jeu (vidéo) de rôle, avec une profondeur narrative exceptionnelle et une durée de vie très étendue. On évoque un temps de jeu d’au moins 150 heures pour boucler intégralement le titre, en explorant tout ce qu’il a à offrir.

Et parce que l’on est dans Donjons & Dragons, tout ou presque passe par le jet de dés. Qu’il s’agisse de réussir une duperie sur un personnage, de repérer un trésor enfoui sous vos pieds ou pour éviter un piège, votre aventure sera soumise à la dictature de ce dé à vingt faces roulant virtuellement sur l’écran. De son résultat dépendra le devenir de votre action. Une réussite, un échec, et avec toutes les conséquences derrière. Il sera parfois possible d’influencer le score, ou de relancer les dés, mais parfois les choses seront irrémédiables.

24 heures chrono

Mais de quoi Baldur’s Gate III est-il l’intrigue ? Dans le jeu, vous incarnez un héros ou une héroïne de la race et de la classe de votre choix (cela va bien plus loin en termes de personnalisation : vous pouvez choisir son genre, sa voix, son sexe, ses traits, etc.), qui se trouve en fâcheuse posture au début du jeu. En effet, vous êtes emprisonné dans une sorte de vaisseau alien dont les maîtres ont manifestement des projets funestes pour vous.

Par miracle, par chance, ou parce que votre destinée est forcément grandiose, vous vous en tirez. Hélas, vous avez comme une « bombe » dans votre cerveau. Un ver a été enraciné au fin fond de votre cortex, par vos anciens geôliers. Ce parasite risque de vous transformer tôt ou tard en un flagelleur mental (un illithid, dans le jargon) — une sorte d’humanoïde qu’on pourrait croire tout droit issu d’une nouvelle de H.P. Lovecraft. Il y a du Cthulhu dans l’illithid.

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Un flagelleur mental. // Source : Larian Studios

Voilà donc comment vous démarrez l’aventure : vous avez une larve qui gigote dans vos méninges et qui parfois interagit avec vous, ou d’autres personnages. D’ailleurs, vous allez vite vous apercevoir que vos compagnons croisés au fil de l’eau ont le même petit problème. Il faut donc de toute urgence trouver une solution à cet encombrant et dangereux passager clandestin — une potion, un guérisseur, un as du bistouri… les options défileront dans l’aventure.

Bien sûr, tout ceci n’est que prétexte scénaristique pour que vous vous serriez les coudes, avec vos camarades, que vous avanciez dans vos quêtes et, surtout, que vous preniez le chemin de la Porte de Baldur, la fameuse cité-État qui a donné son nom au jeu vidéo. Et si le temps presse, à cause de l’asticot, on se rend vite compte qu’on a finalement un peu de marge devant nous. Mieux que ça : l’asticot se révèle aussi très utile, en débloquant des facultés spéciales

Car le jeu, malgré la prétendue urgence médicale dont vous faites l’objet, vous laisse du temps. Le temps d’explorer chaque zone du jeu, mais également d’approfondir les relations entre votre protagoniste et le reste de votre petite bande. Ces rapports peuvent d’ailleurs assez loin. Vous le verrez le moment venu. De toute façon, il était impossible de faire cohabiter la menace imminente du ver tout avec une durée de vie aussi vaste. Il fallait que l’un prenne le pas sur l’autre.

Try. Die. Repeat.

Pour qui n’a jamais joué un jeu de rôle, la prise en main de Baldur’s Gate III peut être déconcertante : le jeu est long, d’une part, mais il est aussi relativement technique, d’autre part. Trois niveaux de difficulté sont disponibles, avec la possibilité de changer durant la partie si besoin. À tel point, d’ailleurs, que la sauvegarde devient vite une seconde nature : vous pensez qu’il y a un traquenard derrière une porte ? Mieux vaut faire une petite sauvegarde avant, au cas où les choses tournent mal. Vous pourrez alors la charger et envisager autre chose.

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On bavarde beaucoup avec ses compagnons, dans le jeu. // Source : Larian Studios

Surtout, le jeu ne cesse de recracher du texte. Ici pour expliquer un sort, là une action, ailleurs une particularité ou un élément. Vous allez beaucoup lire et, surtout, vous allez devoir piloter continuellement vos personnages (votre bande compte quatre aventuriers actifs, mais il y a aussi ceux que vous laissez au camp quand vous n’en avez pas besoin). Cela signifie leurs ressources, leur équipement, leurs compétences et le poids que tout ceci pèse sur leurs épaules. Littéralement.

Baldur’s Gate III est bavard. Incroyablement bavard. C’est un régal pour qui aime le JDR et l’immersion en jeu. Cela épuisera sans doute celles et ceux qui ont plutôt été biberonnés au jeu fastfood, ou tout doit être consommé rapidement. On a été franchement client de cette approche, qui est presque un jeu dans le jeu — avec, d’un côté, l’exploration et les combats, et de l’autre, les interactions et les dialogues. Seul gros regret : le doublage est limité à la VO.

Baldur’s Gate III pourrait presque être un simulateur relationnel, tant les scènes de discussion entre les personnages sont nombreuses. Celles-ci offrent par ailleurs des possibilités d’orienter la conversation. Cela aura une incidence sur la façon dont les gens vous perçoivent, et même sur la suite de l’aventure. Vous pourrez ainsi tisser des liens profonds avec vos proches ou, à l’inverse, obtenir ou rater une opportunité avec un PNJ quelconque, voire faire d’un tiers un ennemi à la suite d’une réplique cinglante. C’est aussi ainsi que l’on peut perdre un compagnon. Prudence, donc.

Vous vous rendrez d’ailleurs compte que votre héros n’est pas le seul à devoir faire face à une certaine urgence. En plus de vos amis qui ont aussi un parasite dans la tête, vos alliés ont leurs propres problèmes : Karlach, véritable diablesse (et barbare), a un cœur mécanique qui surchauffe et risque d’exploser. Gayle (mage) a besoin de détruire un objet magique de temps en temps, sous peine d’avoir de très gros ennuis divins. Astarion (voleur) aimerait ne plus subir le joug de son maître. Ombrecœur (clerc), Wyll (démoniste), Lae’zel (guerrière) et d’autres sont aussi affectés par leur histoire, et chacune pèse sur vos choix.

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Les membres de votre équipe. // Source : Larian Studios

Vingt ans plus tard

Vingt ans ont passé depuis Baldur’s Gate II, mais force est de constater que le jeu, s’il est simple à prendre en main, a néanmoins une ampleur redoutable, à même de faire fuir le néophyte ou, du moins, de lui mettre la pression. La longueur du récit, la variété des interactions, des explications interminables, l’étendue des possibilités offertes par du jeu de rôle Donjons & Dragons. Les initiés y trouveront leur bonheur, mais cela aussi risque aussi d’enterrer la volonté des débutants. Les combats, pas simples, pourraient donner le coup de grâce.

Il faudra parfois penser out of the box pour échapper à de mauvaises rencontres. Le décor, par exemple, peut vous aider. Incapable de battre de façon traditionnelle un chef hobgobelin dans un repaire ennemi, on a réussi à le faire tomber en piégeant la salle avec des barils explosifs. Au lieu de se battre directement, on a tout fait sauter. C’était largement suffisant pour nettoyer la zone. C’est là que vous aurez le plus besoin de recharger une partie, si vous butez quelque part : vous pourrez ainsi recommencer souvent et expérimenter différentes solutions.

Le gap entre Baldur’s Gate II et III se ressent aussi techniquement. L’ancienne vue isométrique a disparu pour laisser place à une représentation de l’univers en 3D, où la caméra peut avancer ou reculer, se déplacer, pivoter autour d’un point — une liberté un peu piégeuse, toutefois. On a quelques fois eu des difficultés à bien la placer. Les progrès ont aussi profité au monde, qui a beaucoup plus de relief. On peut descendre dans des crevasses ou escalader une ruine jusqu’à son sommet. Les scènes de discussion retranscrivent aussi cette modernité, avec des cinématiques propulsées par le moteur du jeu. On suit cela presque comme une série.

Vingt ans, c’est long pour une suite. Mais le produit délivré par Larian Studios valait l’attente. Baldur’s Gate III succède brillamment à ses illustres prédécesseurs, non sans apporter un nécessaire ravalement de façade et une fraicheur bienvenue. Mais les fondations, elles, demeurent pour apporter une expérience aussi proche de ce que l’on peut vivre dans un jeu de rôle sur table. Cela, d’autant que Baldur’s Gate laisse une place au jeu multijoueur, en coopéraiton où chacun peut incarner un membre du groupe. Comme en vrai.

Le verdict

Baldur’s Gate III sera sans doute pour longtemps le nouveau mètre-étalon du JDR dans les jeux vidéo, et c’est un statut amplement mérité pour une licence de cette stature. Plus de vingt ans après le deuxième épisode, sorti en 2000, Larian Studios a réussi à prendre la relève de BioWare, avec une copie pratiquement impeccable. Rien d’étonnant, sans doute, pour un studio qui est à l’origine de la série Divinity, également très cotée chez les fans de jeu (vidéo) de rôle.

Doté d’une durée de vie exceptionnelle, Baldur’s Gate III accueille sans surprise tous les ingrédients du JDR, adaptés et modernisés pour le jeu vidéo. Jets de dés, choix de discussion multiples, personnalisation jusqu’à l’excès, sortilèges, tour par tour, classes, gestion de l’équipement. On peut même retrouver la fameuse ambiance des JDR sur table, puisque le jeu, outre son mode solo, peut se vivre aussi en coopération — chacun incarnant alors un héros de l’équipe.

Bien sûr, Baldur’s Gate III a aussi ses travers. Pour qui aime la VF, on ne peut que regretter l’absence de localisation du doublage (tout le reste du jeu est évidemment traduit). Il y a aussi beaucoup (trop) de textes. Les ressources nécessitent une gestion exigeante, tandis que les combats sont parfois corsés. Pour les néophytes, la marche peut être haute à gravir. Mais une fois franchie, c’est se retrouver sur le toit du monde des JDR vidéoludiques.

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