Une fois n’est pas coutume, un peu de contexte s’impose avant de plonger dans cette nouvelle aventure qui a une place à part dans la série. Émanation de Assassin’s Creed Valhalla dont il ne devait être qu’un simple DLC, Assassin’s Creed Mirage a grossi pour devenir un épisode principal, un peu par défaut, pour donner notamment le temps aux équipes des projets Red et (plus tard) Hexe. Ces premiers vrais épisodes nouvelle génération seront chargés de, sinon réinventer la série, au moins la réinterpréter pour l’inscrire pleinement dans son époque.
De ce fait, Assassin’s Creed Mirage, développé sous le patronage de la jeune équipe d’Ubisoft Bordeaux, reste tributaire d’un moteur de jeu et de certains éléments de gameplay qui ont beaucoup vécu. Ubisoft ne s’y est d’ailleurs pas trompé en choisissant d’afficher ce nouvel épisode à un prix bien en dessous des grosses productions actuelles — subtil message pour tenter de tempérer les attentes des joueurs.
Points forts
- Une ville de Bagdad envoûtante
- Le recentrage sur l’infiltration
- Une aventure plus condensée et maîtrisée
Points faibles
- La modélisation des personnages
- Le pouvoir Concentration d’Assassin, hors de propos
- Quelques cafouillages de-ci de-là
Mirage, un simple bouche-trou ?
Ça sent un peu le Assassin’s Creed au rabais tout ça ? Eh bien, fort heureusement, non. En deux ans et demi de développement, il y a eu suffisamment de boulot pour s’affranchir de Assassin’s Creed Valhalla et devenir un Assassin’s Creed à part entière. Assassin’s Creed Mirage fait tout pour s’éloigner de son ancien épisode de tutelle, au point de renouer avec la structure des premiers épisodes de la série : une aventure bien plus condensée dont l’histoire se déroule sur une petite vingtaine d’heures et dans une aire de jeu bien plus réduite, principalement composée de la ville de Bagdad, capitale de l’Empire abbasside du IXème siècle.
Le choix est pour le moins audacieux, voire téméraire, après les pays entiers proposés dans la dernière trilogie — où les durées de vie tutoyaient facilement la centaine d’heures. Mais ça marche. C’est même parfait. Revenir à un cadre géographique et temporel aussi resserré permet à Mirage de dévoiler une histoire bien écrite, intelligible et cohérente, portée par un héros complexe et torturé très intéressant à découvrir. Le jeu se veut également une véritable plongée dans les coulisses de Ceux qu’on ne voit pas (futur Ordre des Assassins) et relève la double gageure de titiller les fans tout en restant très abordable pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas ou peu la série.
Cela permet également de découvrir un axe de missions principales particulièrement bien élaboré autour d’un principe d’enquête au long cours. Un peu à la manière de Deathloop, nos missions sont récapitulées dans un menu spécial où les informations découvertes s’accumulent au fur et à mesure pour dévoiler à terme l’identité de nos cibles principales. Il faudra ensuite les exécuter dans des missions assez longues et ouvertes : les Black box. Le terme provient d’Assassin’s Creed Unity, mais le principe change un peu ici. Comme à beaucoup d’autres moments du jeu, Assassin’s Creed Mirage nous pousse à véritablement « incarner » Basim, de nous immerger dans le monde qui nous entoure et d’aller à la pêche aux infos et aux opportunités pour infiltrer tel lieu, créer telle diversion ou chiper tel élément indispensable à notre objectif. Bien que l’on soit parfois un peu trop cadré et guidé (même si les aides visuelles sont volontairement discrètes), le jeu réussit à nous rendre curieux, attentif et prudent avant de passer à l’attaque, si possible en étant le plus discret possible.
Pour vivre heureux, tuons cachés
Assassin’s Creed Mirage opère en effet un radical retour aux sources, en replaçant l’infiltration et la discrétion au cœur de son expérience de jeu. À ce titre, les combats ont été remaniés pour être plus radicaux, simples et directs. Outre quelques moments du jeu (et pas les meilleurs, surtout quand il y a des alliés à nos côtés) où ils sont imposés, leur rôle est principalement de faire office de garde-fous pour dissuader les imprudents de jouer n’importe comment. Le jeu réintègre également un système de notoriété comme Assassin’s Creed II, influant sur la vigilance des gardes et, de facto, votre sécurité dans la ville. Il vaut mieux donc prendre quelques instants pour arracher les avis de recherches disposés sur les murs ou soudoyer quelques harangueurs de foule pour redevenir anonyme sous peine d’enchaîner les parties de cache-cache avec les gardes. D’autant que la foule saura vous reconnaître et alerter les autorités. L’IA est en effet assez tenace et perspicace, sans tomber dans une omniscience absurde. Elle se laisse toutefois aller par moment à quelques petits cafouillages ou pertes de mémoire qui font mauvais genre et cassent un peu l’immersion. C’est probablement l’une des plus grosses dettes techniques que Assassin’s Creed Mirage doit hériter de ses prédécesseurs…
Dans Concentration, il y a…
Alors qu’elles sont redevenues exigeantes et sources d’un beau challenge, les phases d’infiltration sont bêtement parasitées par un pouvoir magique octroyé à Basim : la Concentration d’Assassin. En figeant le temps, il permet de cibler plusieurs ennemis simultanément avant que notre héros ne les exécute en un clin d’œil dans un effet proche de la téléportation. Voilà qui contredit toute l’orientation du jeu. Il faut donc un peu d’autodiscipline pour s’en passer et ne pas casser l’immersion.
Malgré ces rares anicroches, grâce à un excellent travail sur l’architecture des niveaux et à une stratégie « menu maxi best-of » pour filer à Basim tout un tas d’accessoires empruntés à ses précédents confrères (bombes fumigènes, pétards, sarbacane, couteaux de lancer…), ces phases retrouvent une place de choix. On embrasse alors cette précieuse et grisante sensation d’être ce prédateur de l’ombre, éliminant soigneusement ses proies ou, parfois (et c’est une très bonne chose que la violence ne soit pas l’unique voie possible), se faufilant simplement à leur insu comme si de rien n’était.
Ce qui accentue cette sensation, c’est bien sûr le joli petit remaniement du free running. Par un travail sur les animations et surtout, une fois encore, le level design, il retrouve une vivacité et une efficacité oubliées depuis que la série s’était entichée des grands espaces sauvages sans le moindre mur sur lequel faire le yamakasi. Bagdad, ses ruelles étroites et ses bâtiments bas sont un terrain de jeu idéal pour que cette facette d’Assassin’s Creed resplendisse à nouveau et nous renvoie avec nostalgie à cette merveilleuse sensation de liberté de mouvement découverte avec émoi dans son tout premier épisode.
Il faut dire que la ville elle-même renvoie évidemment aux atmosphères brûlantes de Damas, Jérusalem ou même Constantinople. Si, d’un strict point de vue technique, Assassin’s Creed Mirage accuse un peu le poids des années (notamment au niveau de certains PNJ aux animations et aux visages médiocres), sa direction artistique magistrale compense largement cela. Elle nous présente une aire de jeu à la fois crédible, envoûtante, riche, grouillante… Elle happe littéralement dans son ambiance palpable, tellement magnétique que l’on reste parfois à errer comme un touriste dans les rues, à regarder dans tous les sens au lieu de courir à toute allure sur les toits tels Altaïr ou Ezio en leur temps.
Les amateurs d’Histoire avides de découvertes seront d’ailleurs ravis d’apprendre que les incontournables objets à collectionner de cet épisode donnent immédiatement accès à de petits articles encyclopédiques qui en dévoilent plus sur une culture et une période trop méconnues. Assassin’s Creed Mirage sait en effet transformer ses quelques à-côtés en éléments qui viennent enrichir son expérience sans tomber dans une surenchère pénible. Tout ce contenu est très habilement glissé dans le jeu et nourrit la narration ou un pan de gameplay. Les quelques missions secondaires débloquent, par exemple, des jetons spéciaux utiles pour s’attirer les faveurs de certaines factions qui pourront nous rendre service dans les missions Black box. Les Récits de Bagdad, eux, font office de parenthèses narratives surprenantes et apportent encore un peu plus d’âme à l’open world.
Assassin’s Creed Mirage garde également un petit héritage RPG, très léger, avec quelques compétences qui renforcent la sensation de montée en puissance de Basim. Il garde intact ce petit moteur motivationnel qui pousse à faire quelques pas de côté pour découvrir toutes les belles choses que le jeu veut nous faire découvrir. Vraiment, c’est l’épisode du cœur.
Le verdict
Assassin’s Creed Mirage
Voir la ficheOn a aimé
- Une ville de Bagdad envoûtante
- Le recentrage sur l’infiltration
- Une aventure plus condensée et maîtrisée
On a moins aimé
- La modélisation des personnages
- Le pouvoir Concentration d’Assassin, hors de propos
- Quelques cafouillages de-ci de-là
En invoquant les souvenirs du passé, en multipliant les inspirations et clins d’œil à ses prédécesseurs, et surtout, en se recentrant sur ses piliers historiques, l’infiltration et le free running, Mirage ravive une flamme que l’on pensait éteinte à tout jamais par les souffles épiques de la dernière trilogie. Elle vacille par moment, mais projette une lumière familière et chaleureuse qui prouve que la vision originelle d’Assassin’s Creed peut encore fasciner aujourd’hui.
Surtout, il confirme que la course à la démesure n’est pas la seule issue pour la saga. Du haut de sa petite vingtaine d’heures et de sa zone de jeu plus réduite (et d’une beauté envoûtante), Mirage sait dérouler une histoire prenante et joliment tissée pour créer une aventure imparfaite, mais mémorable, dont la lame secrète a facilement su trouver notre cœur.
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