Avec le nouveau roman de Capucine Delattre et la réédition de l’ouvrage culte de Joanna Russ, voici deux livres féministes importants, entre l’impact du numérique et la science-fiction.

À chaque rentrée littéraire, des œuvres féministes rappellent le rôle clé de la littérature pour ouvrir les yeux et, peut-être contribuer au changement. Le rôle du numérique et la science-fiction sont au rendez-vous de ces lectures avec ces deux ouvrages importants de la rentrée 2023, Un monde plus sale que moi de Capucine Delattre et la réédition de L’Humanité-Femme de Joanna Russ.

Un monde plus sale que moi, Capucine Delattre

Source : La Ville brûle
Source : La Ville brûle

« L’automne se dissipe, les hashtags prennent un goût rance. » Signé Capucine Delattre, aux éditions La Ville brûle, Un monde plus sale que moi est le roman intime et nécessaire de l’ère #MeToo — l’ère des témoignages sur les réseaux sociaux, l’ère où les horreurs de la domination masculine sont exposées en ligne, l’ère d’un espoir confronté à une réalité qui semble pourtant bien refuser de faire tomber l’empire des violences sexuelles et sexistes. C’est ainsi un roman-témoignage, qui porte en lui une parole universelle, mais qui, n’en déplaise aux levées de bouclier réactionnaires, est encore étouffée.

La narratrice, Elsa, connaît sa première expérience sexuelle à 17 ans. Ce qui fait naître aussi sa première relation de couple. Un couple ou une prison, dont il s’agira de se libérer. Victor, son copain, a tout d’un nice guy, expression anglophone souvent utilisée pour désigner des hommes qui, derrière une gentillesse de façade, perpétuent des violences — physiques et morales. À mesure que le récit avance, les abus sont décrits, montrés, exposés, avec leurs dégâts allant de la santé mentale à la chair. Mais c’est aussi l’histoire d’une lente et difficile prise de conscience : Elsa n’a pas tout de suite les clés pour comprendre, elle subit son propre déni et un sentiment de culpabilité… dont elle sort peu à peu.

Capucine Delattre livre un coup de poing littéraire, nécessaire, qui montre toute la matérialité de la domination patriarcale. L’autrice ne fait aucune concession et lâche des vérités — parfois brutales, mais parce qu’elles le sont — sur le papier, sur la place du numérique dans la sexualité, les violences systémiques, sur les douleurs physiques et morales. Ce sont des vérités libératrices en termes de représentation : Un monde plus sale que moi est une nouvelle œuvre féministe de référence, qui décrypte, avec une plume franche, la révolution du témoignage.

L’Humanité-Femme, Joanna Russ

Source : Mnémos
Source : Mnémos

Joanna Russ était l’une des plus grandes figures de la science-fiction féministe et lesbienne. En tant que critique, elle a énormément contribué à une approche féministe de la littérature. En tant qu’écrivaine, on lui doit un ouvrage culte : The Female Man. En France, ce roman paru en 1975 avait été traduit en 1977 sous le titre L’Autre Moitié de l’homme. Les éditions Mnémos ressortent, en septembre 2023, une nouvelle traduction — renommée pour l’occasion L’Humanité-Femme.

Nous voilà donc sur Lointemps, une version alternative et futuriste de la Terre où les hommes ont été éradiqués par une étrange pandémie. Les femmes se sont adaptées, notamment pour trouver des moyens de procréer, puis ont bâti une nouvelle société, très différente de celle que l’on connaît et prenant la forme d’une sorte d’utopie féministe. Si de nombreux romans ont intégré ce principe depuis (La fin des hommes, par exemple, très récemment, ou encore Chroniques du Pays des mères), l’ouvrage est révolutionnaire à l’époque, aussi car il se débarrasse d’un point de vue masculin, un male gaze excessivement présent en SF à ce moment là. Le twist de l’ouvrage est temporel : il y a un multivers, et tout commence quand Janet, issue de Lointemps, se retrouve dans le New York terriblement sexiste des années 1970.

L’ouvrage épouse la satire en une sorte de révolte tragi-comique. Un choix volontaire, politique, de l’autrice. Comme le souligne Stéphanie Nicot, dans une préface très utile à lire en amont du roman, Joanna Russ utilise effectivement un humour caustique, très corrosif même, pour se moquer du patriarcat. « Ridiculiser l’ennemi masculiniste plutôt que le haïr, au risque de provoquer sa violence verbale et physique, tel est en effet le pari tenté par L’Humanité-Femme. Pari totalement réussi ! » analyse Stéphanie Nicot.

Dans sa puissance féministe évidente, l’œuvre de Joanna Russ ne cessera jamais de rappeler le potentiel révolutionnaire de la science-fiction.

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