Avec Station Eleven, publié en 2014, Emily St. John Mandel avait écrit l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature contemporaine. Situé dans un monde post-apocalyptique, et imprégné de flashbacks à notre époque, ce roman était une fresque de l’espoir, une ode à toutes les formes d’art pour habiter le monde car « survivre ne suffit pas ». C’est donc avec une certaine délectation anticipée que l’on se plonge dans La Mer de la tranquillité.
Paru en France ce 23 août 2023 chez Rivages, cet ouvrage est une lecture essentielle, douce et vertigineuse. Un roman qui, reposant pourtant sur le voyage dans le temps, interroge notre propre époque avec finesse. Que reste-t-il de nous, derrière les grands enjeux de notre décennie ? Que partageons-nous de plus profond que les maux d’une ère ?
Emily St. John Mandel démarre son roman en 1912, puis nous emmène au début du 21e siècle alors qu’une certaine pandémie de covid émerge, avant de nous propulser encore deux siècles plus loin au sein de colonies spatiales. Il y a plusieurs points temporels, mais tous ont un petit « quelque chose » — un événement — en commun. Univers parallèle, voyage dans le temps et « hypothèse de la simulation » sont au rendez-vous. Mais dans ce roman de science-fiction, l’empathie est la clé.
La puissance du possible, dans une étreinte
Vivons-nous dans une simulation informatique ? Alors que vous lisez ces lignes sur votre ordinateur ou votre smartphone, peut-être n’êtes-vous que le fruit d’une programmation, produit par une machine aux capacités insaisissables. Voilà une théorie, totalement hypothétique, qui a émergé il y a quelques années chez des transhumanistes de la Silicon Valley.
Emily St. John Mandel puise dans cette théorie non pour la questionner, non pour en chercher une éventuelle véracité, mais pour s’en amuser, dans un acte de pure littérature : poser davantage de questions et même décentrer la discussion. Le cœur de La Mer de la tranquillité n’est autre que l’existence même.
Comme dans Station Eleven, la difficulté initiale, qui questionne les personnages, n’est autre que de vivre sans être l’ombre des peurs, des envies, des émotions que les structures sociales nous imposent dans une époque donnée. L’écrivaine libère alors tous les possibles. Elle « éclate » le monde en mille morceaux, déchire l’espace-temps pour chercher le labyrinthe des voies que nous avons prises. Emily St. John Mandel n’écrit pas tant sur une infinité de possibles que sur la beauté du possible, en tant que notion, en tant que puissance.
Cette puissance du possible, on la trouve dans une étreinte. Un concerto de violon, une balade en forêt, un baiser. La littérature d’Emily St. John Mandel est celle où les mots cherchent notre empathie pour y trouver des vérités. Un roman dont la poésie des histoires croisées nous dit déjà tout sur le sens de l’existence. Oui, en définitive, La Mer de la tranquillité est un grand roman, qui confirme inlassablement le talent d’Emily St. John Mandel.
Quand la romancière nous invite dans son univers
Un talent qui s’exprime, dans La Mer de la tranquillité, par une forme d’intimité à laquelle Emily St. John Mandel ne nous avait pas encore habitués.
Cette intimité est à trouver chez Olive Llewellen. Sur une colonie lunaire, en l’an 2203 cette écrivaine est connue pour avoir écrit un roman se déroulant après une pandémie. Elle est en tournée promotionnelle lorsqu’une véritable pandémie se déclenche, menant à des confinements. Toute ressemblance avec une véritable écrivaine nommée Emily St. John Mandel, ayant écrit un roman post-apocalyptique quelques années avant une véritable pandémie et des confinements, n’est pas fortuite.
Ce sont les chapitres impliquant Olive Llewellen qui nous livrent les plus beaux moments du roman. Au fil de ces pages, Emily St. John Mandel se confie à nous, en passant par la vérité de la fiction et non par l’autofiction. Drôle, émouvante, la romancière américaine nous emmène dans son univers avec beaucoup de pudeur et de second degré. Révélant aussi comment la littérature et le monde s’entrecroisent, s’écoulent l’un dans l’autre.
« You write a book with a fictional tattoo and then the tattoo becomes real in the world and after that almost anything seems possible. She’d seen five of those tattoos, but that didn’t make it less extraordinary, seeing the way fiction can bleed into the world and leave a mark on someone’s skin. » (extrait VO)
La Mer de la tranquillité, Emily St. John Mandel, 304 p., Payot & Rivages, 23 août, trad. Gérard De Chergé
Une première version de cet article avait été publiée en janvier 2022, en avant-première de la parution VO. Il a été mis à jour lors de la parution chez Rivages en France.
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