Suivi par près de 170 000 personnes à l’heure où nous écrivons ces lignes, le compte Twitter Conflits_Fr s’est imposé sur le réseau social comme un des principaux relais d’information sur le coronavirus. Sa rapidité de publication a fait son succès, mais elle le mène parfois à la diffusion de fausses informations. Tenu par trois étudiants, Conflits ne s’appuie pas sur des journalistes professionnels. Il n’applique pas certaines précautions basiques, comme le croisement des sources, avant de publier.

Le 17 janvier 2020, le compte @Conflits_Fr était suivi par environ 25 000 abonnés. Il se décrivait comme un compte d’information spécialisé en « (géo)politique, contre-terrorisme, espionnage, cyber-sécurité ». Deux mois plus tard, le compte a dépassé les 170 000 abonnées. Il fait des centaines, voire des milliers de partages et de likes à chacun de ses posts.

Pour alimenter cette croissance exceptionnelle, Conflits a diminué son rythme de publication sur ses thèmes initiaux, afin de se consacrer à la « santé », ou plutôt à la pandémie Covid-19. Dès la fin janvier, le compte a commencé à relayer un très grand nombre d’informations, sans les vérifier, au sujet du coronavirus, de son émergence en Chine jusqu’à la pandémie actuelle. Au point de devenir une référence sur le réseau social, et de profiter d’un effet d’amplification en étant relayé par d’autres comptes très suivis. L’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale), par exemple, a répondu à un de ces messages. À noter qu’il existe bien une revue bimestrielle papier spécialisée en géopolitique appelée Conflits, mais elle n’est pas liée au compte Conflits_Fr.

Le compte Conflits_Fr publie beaucoup d'informations, très rapidement. // Source : Capture d'écran Numerama

Le compte Conflits_Fr publie beaucoup d'informations, très rapidement.

Source : Capture d'écran Numerama

Ce compte d’« information rapide » — c’est ainsi qu’il se décrit –, n’est pas rattaché à un média professionnel. Il publie très, très rapidement, ce qui mène parfois à la publication de fausses informations. Par exemple, le dimanche 15 mars, un « grand reporter » d’un journal connu (mais non spécialisé en santé) a écrit sur son compte Twitter : « #Coronavirus Décès du chef de service de réanimation de Colmar, en première ligne depuis le début de l’épidémie. » Moins d’une dizaine de minutes plus tard, Conflits_Fr reprenait l’information en citant le journaliste. Cette information a pourtant été démentie ensuite par France info, qui avait contacté le service de Colmar, moins d’une heure après le tweet initial. Conflits et le journaliste ont immédiatement supprimé leurs tweets. Mais la fake news a eu le temps d’être diffusée à leur large audience.

Le journaliste à l'origine de la fausse information a démenti dans l'heure, et a dû citer Conflits_Fr, qui avait relayé l'infox en le citant comme source.  // Source : Capture d'écran Numerama

Le journaliste à l'origine de la fausse information a démenti dans l'heure, et a dû citer Conflits_Fr, qui avait relayé l'infox en le citant comme source.

Source : Capture d'écran Numerama

Les informations, en moins de 280 caractères

Pour mieux comprendre son fonctionnement, nous avons voulu en savoir plus sur les personnes qui animent le compte.

Conflits_Fr a été créé par un étudiant en deuxième année droit, Stanislas R.. Deux étudiants en journalisme l’aident à abreuver le compte, tandis qu’un quatrième membre les a quittés peu avant notre entretien. Leur dispute interne a mené à un vol temporaire du compte, qui a depuis été repris par son créateur. La journaliste de BFM TV Elsa Trujillo avait repéré leurs messages publics :

https://twitter.com/Elsa_Trujillo_/status/1238830411557437440

Conflits envoie une soixantaine de tweets par jour, entre 7 heures et 1 heures du matin. La très grande majorité d’entre eux se rapporte au Covid-19. Les auteurs utilisent différentes accroches qui attirent l’œil dans leurs messages, selon un ordre d’importance décroissant : « URGENT », « ALERTE INFOS », « FLASH », et enfin « Pandémie de #coronavirus ». Chaque tweet reprend une information diffusée dans la presse française ou étrangère, ou depuis un autre compte Twitter, mais ne prend pas le temps de les vérifier lui-même. Le créateur du compte justifie cette couverture internationale : « À nous trois, nous parlons cinq langues, ce qui est très utile pour suivre l’actualité internationale. Sinon, nous utilisons Google Traduction, par exemple s’il s’agit d’un article roumain. »

De la cybersécurité à la santé

Il arrive que le nom de la source soit indiqué entre parenthèses dans le tweet. Mais le post est beaucoup plus rarement accompagné d’un lien vers l’article d’origine. Les auteurs condensent l’information principale de ses articles sources dans un seul tweet — et donc dans une limite de 280 caractères.

Avant la pandémie, le compte ne parlait jamais de santé, mais il a saisi l’opportunité avec l’évolution de la crise sanitaire : « Nous nous sommes en quelques sortes affolés plus vite que certaines personnes, et nous avons vu plus vite que d’autres que c’était grave. Ensuite, nous avons vu que le sujet plaisait, donc nous avons continué à en parler. Et aujourd’hui, le monde entier est en édition spéciale sur le coronavirus. »

La rapidité avant tout

Quand nous l’interrogeons sur le caractère anxiogène de ses tweets au vocabulaire alarmiste, le créateur du compte assume : « Je suis conscient que cela peut faire peur, mais nous voulons faire un compte d’information rapide. Nous comprenons si des gens nous bloquent. »

Pour le message erroné sur le prétendu décès du chef de service de réanimation de Colmar, le propriétaire du compte concède son erreur : « J’avoue avoir accordé une trop grande confiance à la biographie de l’auteur du tweet. J’ai vu qu’il était grand reporter dans un média reconnu depuis plusieurs années. Je reconnais que j’aurais pu appeler les hôpitaux de Colmar. Mais ce n’est pas sûr qu’ils m’auraient répondu. J’aurais dû attendre des heures, alors qu’il fallait en parler rapidement. En revanche, dès que nous avons vu le démenti de France Info, nous l’avons publié et nous avons supprimé la fausse information », se justifie le propriétaire du compte.

Le journaliste en cause avait relayé près d’une dizaine de posts de Conflits dans la journée de dimanche, avant de publier la fausse information.

Une seule source de qualité justifie la publication d’un tweet

Au-delà de cette «  bourde », l’étudiant défend faire très attention à la source principale des informations qu’il relaie. En revanche, il ne va pas chercher de seconde source s’il est satisfait de la qualité de la première, afin de prioriser la rapidité. Cette urgence dans l’écriture l’amène à se tromper assez régulièrement : en octobre 2019, il avait déjà relayé une fausse information sur une épidémie de Gale, comme l’avait relevé CheckNews, à cause d’une source non fiable. Il avait publié cette fake news sur La Plume Libre, son premier site et compte Twitter affilié, qu’il avait créé avec un ami étudiant en médecine.

Omniprésent sur Twitter, le compte répond très rapidement aux sollicitations de ses abonnées, et les mobilise pour sa veille d’actualité. « Une quarantaine de nos abonnés nous envoie régulièrement des articles en message privé. Nous n’en publions sûrement pas plus d’un dixième, mais cela complète notre veille. », ajoute-t-il.

Le propriétaire du compte Conflits_Fr espère recruter des francophones sur d’autres tranches horaires, pour élargir les horaires de diffusion. Il a également reçu plusieurs devis afin de lancer un site, notamment grâce à l’appel au don épinglé sur le compte Twitter. Mais il n’a pour l’instant pas d’ambition professionnelle : « nous sommes des étudiants, nous ne gagnons pas un centime. Personnellement, j’aime juste informer, et j’aime l’engagement généré par les réseaux sociaux. »

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous voulez tout savoir sur la mobilité de demain, des voitures électriques aux VAE ? Abonnez-vous dès maintenant à notre newsletter Watt Else !