Entre 2014 et 2015, Marat Mindiyarov a travaillé dans une « usine à mensonges » en Russie. Alors que la justice américaine vient d’inculper plusieurs individus et entreprises russes, il a raconté ses anciennes conditions de travail lors d’une interview au Washington Post.

Le 16 février 2018, le procureur américain Robert Mueller, chargé depuis mai dernier de l’enquête sur l’affaire du Russiagate, a inculpé treize individus et trois sociétés russes. Dans l’acte d’inculpation, consultable en ligne, la justice américaine mentionne une « guerre de l’information [menée] contre les États-Unis » avec l’intention de « semer la discorde dans le système politique américain ».

Pour rappel, les débuts de « l’affaire du Russiagate » remontent au mois de septembre 2016. Les soupçons portent sur une éventuelle entente entre la Russie et des membres de la campagne présidentielle de Donald Trump, devenu depuis le quarante-cinquième président des États-Unis.

Un ex-employé d’une « ferme à trolls »

Cette inculpation semble avoir contribué aux révélations de Marat Mindiyarov, un enseignant russe de 43 ans, qui s’est entretenu le lendemain avec le Washington Post par téléphone, depuis le village où il vit à proximité de Saint-Pétersbourg.

Il a expliqué au journal qu’il avait travaillé dans une « ferme à trolls » russe. En 2014, il avait notamment du écrire un texte au sujet d’Hilary Clinton, afin d’intégrer le « département Facebook » ciblant particulièrement les États-Unis.

Robert Mueller. // Source : The White House

Robert Mueller.

Source : The White House

« Je félicite les États-Unis d’être parvenus à leur objectif — d’avoir présenté un acte d’accusation plutôt que d’avoir simplement écrit à ce sujet. Je félicite Robert Mueller », a commencé par déclarer Marat Mindiyarov lors de cette interview.

Le citoyen russe explique ensuite avoir travaillé dans cette « ferme à trolls » entre novembre 2014 et février 2015, expliquant avoir choisi cet emploi par défaut, car il était alors au chômage. « J’ai vite réalisé que c’était le genre d’endroit où je voudrais seulement passer le temps nécessaire pour recevoir mon salaire, avant de pouvoir partir », poursuit-il.

« C’était comme être dans le monde de George Orwell »

Marat Mindiyarov décrit alors, lors de son arrivée sur place, la sensation de s’être trouvé comme dans le roman d’anticipation 1984 de George Orwell — œuvre dystopique décrivant un régime totalitaire. « Votre premier sentiment, lorsque vous arrivez là-bas, est d’être dans une sorte d’usine à mensonges, qui raconte des contre-vérités, dans une chaîne de montage industrielle », décrit l’interviewé.

D’après son témoignage, entre 300 et 400 employés s’y affairaient à écrire de fausses informations. Son propre travail consistait à rédiger des commentaires sur des articles d’actualités : « Personne ne m’a demandé mon avis. Mes opinions étaient déjà écrites pour moi, et je devais écrire avec mes propres mots ce que l’on m’avait demandé d’écrire ».

Facebook

CC Marcin Wichary

570 € mensuels, des journées de 12 heures

Il décrit également des conditions de travail rigoureusement organisées, avec l’obligation d’arriver à son poste à l’heure — de 9 heures à 21 heures. La production demandée était précise : Marat Mindiyarov évoque un total de 135 commentaires de 200 signes chacun, rédigés lors d’une même journée passée dans une salle fermée.

Pour des journées de 12 heures, il explique avoir perçu un salaire de 40 000 roubles par mois, soit l’équivalent de 570 €. En raison de ses connaissances en anglais, il lui a été proposé de passer un test pour rentrer dans une section spécialement dédiée à Facebook. « Le plus important était de montrer que vous étiez capable de vous faire passer pour un Américain… J’ai échoué au test parce qu’il fallait parfaitement connaître l’anglais », explique-t-il.

Au total, plus de la moitié des utilisateurs américains de Facebook ont été exposés à l’influence russe. « Je suis parti pour des raisons morales. J’avais honte d’y travailler », concède Marat Mindiyarov à la fin de l’interview.


Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.