Plusieurs candidats aux élections européennes de juin 2024 paient un abonnement à X (ex-Twitter). Cette souscription, qui permet d’augmenter sa visibilité sur le réseau social, est contraire aux règles du Code électoral, selon la Commission nationale des comptes de campagne.

Quel est le point commun entre Jean Lassalle, Florian Philippot et Thierry-Paul Valette ? Ils sont tous les trois français et candidats et têtes de liste pour les élections européennes de juin 2024. Ils ont une autre similarité : tous les trois ont un compte X (ex-Twitter) qui affiche une pastille bleue, également connue comme un « badge de certification ». Or, cette petite particularité pourrait les placer dans l’illégalité.

Il ne s’agit pas que d’un signe décoratif : le badge bleu de X, qui était auparavant le signe que le compte avait une certaine notoriété et que l’identité de son propriétaire avait été vérifiée, a changé. Depuis l’arrivée d’Elon Musk à la tête du réseau social, il s’agit de la preuve que l’utilisateur est abonné à X Premium, un abonnement payant.

Selon la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, « cet abonnement payant, par son fonctionnement et sa finalité, est une nouvelle modalité de sponsorisation publicitaire […] L’utilisation à des fins électorales, par un candidat ou son équipe, de Twitter Blue, pendant les 6 mois précédant un scrutin, serait contraire à l’article L. 52-1 du Code électoral. »

À quelques mois de la tenue des élections européennes de juin 2024, Numerama s’est penché sur les réseaux sociaux des têtes de listes françaises. Sur 22 candidats, trois seraient en contravention avec la loi.

L’abonnement X Premium est une sorte de publicité politique sur les réseaux sociaux

Sur les 22 personnalités politiques se portant têtes de liste, 2 n’avaient pas de compte X, 5 avaient un badge argenté sur leur profil [ces badges sont réservés aux personnalités politiques et octroyés par Twitter-X, ndlr], 3 affichaient un badge bleu, et les 12 autres n’avaient aucun badge. Dans le détail :

  • Jordan Bardella (Rassemblement national) ; Valérie Hayer (Renaissance) ; François-Xavier Bellamy (Les Républicains) ; Manon Aubry (La France Insoumise) et Philippe Folliot (Rutalités) ont un badge argenté.
  • Raphaël Glucksmann (Parti Socialiste / Place Publique) ; Marie Toussaint (EEVLV) ; Marion Maréchal (Reconquête) ; Léon Deffontaine (Parti Communiste Français) ; Jean-Marc Governatori (Écologie u Centre) ; Guillaume Lacroix (Parti Radical de Gauche) ; Hélène Thouy (Parti Animaliste) ; Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) ; François Asselineau (Union Populaire Républicaine) ; Jean-Christophe Fromantin (Territoires en mouvement) ; Yann Wehrling (Écologie Positive et Territoires) et Caroline Zorn (Parti Pirate) n’ont pas de compte certifié visible.
  • Marine Chollet (Equinox) et Laure Patas d’Illiers (Europe Démocratie Esperanto) n’ont pas de compte X.
  • Jean Lassalle (L’Alliance Rurale) ; Florian Philippot (Les Patriotes) et Thierry-Paul Valette (Europe Équitable) ont un badge bleu.
Les comptes Twitter de Florian Philippot, Jean Lassalle et Thierry-Paul Valette ont un badge bleu // Source : Capture d'écran Numerama
Les comptes Twitter de Florian Philippot, Jean Lassalle et Thierry-Paul Valette ont un badge bleu // Source : Capture d’écran Numerama

Le fait que la CNCCFP qualifie l’abonnement X Premium de « sponsorisation publicitaire » est loin d’être anodin. En effet, l’article L. 52-1 du Code électoral indique que « pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite. » En ayant un abonnement Premium, Jean Lassalle, Florian Philippot et Thierry-Paul Valette seraient donc en contravention avec la loi.

Une décision qui pénalise certains candidats

Pourtant, Thierry-Paul Valette estime être dans son bon droit. « Je dénonce fermement la position de la CNCCFP qui a mon sens se sert de nous pour attaquer indirectement Elon Musk et son réseau social X, où pullulent fake News, menaces de morts, propos racistes et antisémites », a déclaré le candidat à Numerama. « Twitter, X, est un terrain idéal pour les ingérences étrangères. Par ailleurs, les petits candidats que nous sommes n’avons aucune visibilité médiatique contrairement aux « gros candidats » Aussi l’abonnement nous offre un zest de visibilité, alors pourquoi nous en priver ? Cela porte atteinte au bon fonctionnement de la démocratie et du processus électoral. »

Thierry-Paul Valette a ainsi « décidé de conserver » son abonnement. « Par ailleurs, je ne l’utilise pas pour faire de la publicité et [il] s’agit d’un petit compte Twitter. » « Cette histoire de Twitter (sic) nous l’avons appris il y a à peine quelques jours et nous déplorons que nous n’ayons pas été officiellement avertis », regrette également l’équipe du candidat. « Par ailleurs, nous avons consulté l’article de loi et nous estimons qu’elle n’est pas très claire sur le sujet. Avoir un compte blue (sic) ne veut pas dire que la personne va forcément s’en servir pour faire de la publicité. »

Des représentants de l’Alliance Rurale, la liste menée par Jean Lassalle, nous assurent que leur candidat est dans les clous. « Depuis qu’il s’est engagé, son abonnement a été résilié, il faudra encore juste quelques jours pour que son badge disparaisse définitivement », explique-t-on à Numerama. Jean Lassalle n’a, de plus, pas publié sur X depuis le 4 janvier, date à laquelle il a partagé un message de bonne année à ses abonnés.

Contactées par Numerama, les équipes de Florian Philippot n’avaient pas répondu à nos questions au moment de la publication de cet article.

Jusqu’à 3 ans d’emprisonnement

Contactée par Numerama, la CNCCFP indique pourtant avoir mis au courant les candidats aux élections européennes. « La Commission diffuse avant chaque élection un Guide du candidat et du mandataire, qui regroupe et explique l’ensemble des règles encadrant le financement des campagnes électorales », précise-t-elle. Or, « un encart porte sur les risques liés au recours à X Premium ». Il se trouve à la page 93, a pu vérifier Numerama.

L'encart dédié à l'abonnement X Premium // Source : CNCCFP
L’encart dédié à l’abonnement X Premium // Source : CNCCFP

Que risquent donc les candidats ? « Si le coût de cet abonnement figure dans le compte de campagne du candidat, s’agissant d’une dépense qui serait intrinsèquement irrégulière au regard de l’article L. 52-1 du code électoral […], la Commission pourrait procéder à la réduction du remboursement à la hauteur du montant de la dépense correspondante. » Si le candidat cache la dépense et « ne la déclare pas dans son compte de campagne, la Commission pourrait utiliser son pouvoir de modulation pour réduire, à titre de sanction, le montant du remboursement dû au candidat. »

Ce n’est pas tout : les candidats risquent des peines plus lourdes, qui sont définies par l’article L. 113-1 du Code électoral, rappelle la CNCCFP. Les candidats qui auraient bénéficié « d’affichages ou de publicité commerciale ne respectant pas les articles L. 51 et L. 52-1 » peuvent être punis de « trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende ». La Commission pourrait également « adresser un signalement au procureur de la République compétent sur des faits susceptibles de relever du délit précité. »

D’autres candidats en tort ?

Si Florian Philippot, Jean Lassalle et Thierry-Paul Valette sont les seuls à afficher un badge bleu, ils ne sont cependant peut-être pas les seuls en tort. En effet, depuis août 2023, X Premium permet aux abonnés de cacher leur badge sur leur profil, tout en leur conférant les avantages de leur abonnement — et donc, la mise en avant.

Avec cette possibilité, impossible de savoir d’un seul coup d’œil si les 12 candidats dont le profil n’affiche pas de badges respectent bien la loi. Il n’y a également aucune preuve qu’ils soient en contravention. Interrogé à ce propos, X nous a envoyé une réponse automatique, indiquant que le service presse étant « occupé pour l’instant », et nous demandant de revenir vers eux plus tard. La CNCCFP nous a assuré que « la possibilité de dissimuler la « coche bleue » a fait l’objet d’échanges récents avec X / Twitter. La Commission orientera son contrôle en conséquence et sur la base des dépenses retracées dans les comptes de campagne qui seront déposés. »

« La dissimulation volontaire de la « coche bleue », qui est de nature à entraver les contrôles de la Commission, serait prise en considération pour déterminer la sanction (rejet du compte ou réduction du remboursement dû au candidat) », précise également la CNCCFP.

Mise à jour du 4 avril : la réponse de l’Alliance Rurale a été ajoutée à l’article.

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