Le grand jour arrive. Demain, 7 septembre, le bitcoin va devenir une monnaie légale au Salvador. Concrètement, cela signifie que les personnes souhaitant régler une créance avec cette cryptomonnaie auront la possibilité de le faire : les commerçants et autres créanciers n’auront pas le droit de refuser ce moyen de paiement.
Évidemment, tous les Salvadoriens ne seront pas tenus d’utiliser le bitcoin au quotidien à partir de demain. Le dollar, qui a cours légal dans le pays, conservera lui aussi son statut de monnaie légale. Ceux qui préfèrent le dollar auront donc tout loisir de continuer à utiliser ce dernier. Cette transition d’ampleur suscite cependant beaucoup de controverse.
Réduire les frais et attirer les investissements
Si le président salvadorien a lancé ce projet risqué, cela s’explique en partie par la configuration économique du Salvador. Environ 70 % des habitantes et habitants n’ont pas de compte bancaire. Le fait que l’utilisation du bitcoin ne nécessite qu’un simple portefeuille digital est donc un plus. La population du pays reçoit par ailleurs beaucoup de transferts d’argents de l’étranger. Selon le président Nayib Bukele, le bitcoin aidera à rendre ces transferts plus simples et moins coûteux. « À court terme, cela générera des emplois et aidera à mieux inclure les milliers de personnes qui sont en dehors du système », avait-il affirmé lorsque la « loi bitcoin » avait été adoptée.
Même si le président salvadorien le met moins en avant, il espère également tirer parti de la reconfiguration majeure qui se déroule dans le minage de bitcoin. La Chine, qui abritait la majorité du minage de bitcoin mondial il y a quelques mois encore, a pris des mesures drastiques contre les cryptomonnaies, et ordonné aux fournisseurs d’électricité de ne plus fournir les mineurs. Résultats, certaines fermes ont cessé leurs activités et de nombreuses entités ont entrepris de les déplacer ailleurs notamment au Kazakhstan voisin et aux États-Unis. Plusieurs États américains, par exemple le Texas, sont très désireux d’attirer ces activités sur leur sol. Le Salvador espère lui aussi tirer profiter de cette bascule et met en avant ses atouts, par exemple ses capacités géothermiques grâce à ses volcans.
Le Salvador est allé trop vite sur le sujet
Le président salvadorien semble néanmoins être allé un peu vite en besogne. Donner cours légal à une cryptomonnaie est un projet de taille. Déjà, car cela n’a jamais été fait. Ensuite, car cela peut avoir des répercussions significatives sur le système économique du pays. La valeur des cryptomonnaies est en effet très volatile. Même si le cours du bitcoin a connu d’impressionnantes envolées, il a aussi enregistré de fortes dégringolades.
Ces fluctuations ne sont pas forcement dramatiques pour des entreprises solides ou des personnes à fort pouvoir d’achat qui ne placent qu’une portion limitée de leur argent dessus. Mais si des entreprises ou des particuliers se mettent à miser une grosse partie de leur fonds sur le bitcoin, ces variations peuvent leur faire perdre beaucoup d’argent. C’est d’autant plus risqué dans un pays où 40 % de la population salvadorienne vit déjà sous le seuil de pauvreté.
Selon le Fond monétaire international (FMI), l’adoption massive de cryptomonnaies peut également menacer la stabilité macroéconomique d’un pays. « Si les biens et services sont tarifés à la fois en fonction d’une monnaie réelle et d’une cryptomonnaie, les particuliers et les entreprises utiliseront beaucoup de temps et de ressources pour déterminer quelle monnaie il est le plus profitable de détenir, au lieu de le consacrer à des activités de production.»
Si les recettes et les dépenses de l’État se font dans des monnaies différentes (par exemple, si les Salvadoriens décident de payer la majeure partie de leurs taxes en bitcoin mais que les dépenses dont l’État doit s’acquitter sont en dollars ou vice-versa), les variations de taux de change des monnaies pourraient mettre l’État (et donc la population) dans une situation complexe, pointe le FMI.
Un paradis pour la blanchiment d’argent ?
L’organisme avertit également que l’adoption de cryptomonnaies dans un pays affaiblira sa politique monétaire et que les prix sur le marché domestique pourraient devenir très instables. « Même si tous les prix étaient fixés en bitcoin, ceux des biens importés et des services continueraient de fluctuer massivement. » Dernier problème et non des moindres : les cryptomonnaies sont parfois utilisées pour blanchir de l’argent. Si le pays ne prend pas des mesures robustes contre ces pratiques, cela met son système financier et sa balance fiscale en péril, indique le FMI. Cela pourrait également refroidir considérablement ses relations avec les autres pays et leurs propres banques.
Le dossier est donc, on le voit bien, particulièrement délicat. Le gouvernement salvadorien a cependant fait le choix de mener cette transition d’ampleur tambour battant : la loi bitcoin a été approuvée le 9 juin, soit il y a trois mois à peine. Une rapidité qui laisse plusieurs économistes salvadoriens sceptiques. « La loi a été adoptée extrêmement vite, sans étude technique ni débat public, déplore l’économiste salvadorien Ricardo Castañeda dans les colonnes de The Guardian. Je ne pense pas que le président mesure toutes les implications de ce changement »
La volatilité des cryptomonnaies inquiète
Si la Bank of America avait suggéré en juillet que le projet pourrait avoir des retombées intéressantes, d’autres analyses sont venues depuis nuancer cette vision. L’université américaine Johns Hopkins a par exemple publié une étude suggérant les économies que le bitcoin est censé permettre — lorsque des expatriés envoient des fonds vers le pays — ne seront peut-être pas au rendez-vous. L’agence de notation Moody’s a, quant à elle, dégradé la note du pays, en partie à cause de cette loi bitcoin.
Un contexte peu rassurant pour les Salvadoriens. Un sondage réalisé en juillet suggère d’ailleurs que près de deux tiers des habitants ne souhaitent pas recevoir un paiement en bitcoin. On reproche souvent aux politiques de ne pas réformer assez vite, mais sur ce sujet, le président Nayib Bukele aurait sans doute gagné à se montrer moins pressé.
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