En septembre 2024, Air France avait annoncé son intention d’équiper tous ses avions de Wi-Fi très haut débit grâce aux satellites basse orbite de Starlink/SpaceX. Après des mois de préparation, les premiers vols ont eu lieu à la fin de l’été 2025, avec une inauguration en octobre de la même année. D’ici fin 2026, l’objectif de la compagnie aérienne est de proposer du Wi-Fi digne de la fibre dans ses 250 avions, sans interruption en fonction des zones survolées.
Quinze mois après l’annonce d’Air France, le week-end du 20 décembre 2025, la sphère politique a basculé dans un monde parallèle. À la suite d’une publication du service presse d’Air France, qui fait habituellement très peu de vues (mais qui a eu le droit à un retweet d’Elon Musk), de nombreuses personnalités politiques se sont attaquées à la compagnie, à qui ils reprochent de « choisir le Starlink de Musk » (sans oublier plusieurs articles dans des médias qui avaient pourtant déjà couvert l’annonce).
Une communication totalement en retard et pleine d’incompréhensions techniques. Ils reprochent à Air France de préférer une technologie américaine à une entreprise française (Eutelsat)… sans même comprendre ce qui distingue les deux entreprises.
Les politiques ne comprennent pas le choix de Starlink (ou font semblant de ne pas comprendre)
Aujourd’hui, Eutelsat dispose de 34 satellites géostationnaires. Des satellites déjà utilisés dans les avions, y compris par Air France. En effet, et contrairement à ce que semblent penser certaines personnes, la compagnie aérienne ne découvre pas le Wi-Fi en 2025. Elle le propose depuis des nombreuses années, mais s’est lancée en 2024 dans une modernisation de son offre grâce à l’orbite basse, que certains prédisent comme le futur des télécoms.
Quelle est la différence entre le géostationnaire et l’orbite basse ? Les 34 satellites d’Eutelsat tournent autour de la Terre à 36 000 kilomètres d’altitude, avec une latence importante (+ de 600 ms) et des débits très insuffisants pour un usage grand public. Le signal doit effectuer 72 000 kilomètres (aller-retour) pour que l’ordinateur affiche une page : c’est beaucoup trop long. En comparaison, Starlink a eu une idée une audacieuse : installer des milliers de satellites « basse-orbite » à 550 kilomètres d’altitude. La technologie d’Elon Musk divise donc le temps de trajet par 65 : Starlink propose une connexion digne d’une bonne 5G à n’importe quel endroit de la planète, y compris dans un avion en mouvement qui survolerait une zone inhabitée.
En 2023, face à Starlink, Eutelsat a fusionné avec OneWeb, son concurrent anglais spécialisé dans les satellites basse-orbite. Sa constellation compte désormais 650 satellites à 1 200 kilomètres d’altitude, en plus des 34 satellites à 36 000 kilomètres d’altitude. Le problème est qu’Elon Musk dispose de 9 357 satellites en orbite basse dans le ciel, à une altitude deux fois plus basse que celle de OneWeb (550 km). Et SpaceX n’a pas fini son expansion. OneWeb, à notre connaissance, n’a pas forcément pour ambition d’offrir un service grand public et d’aller plus loin.


En bon Européen, il est logique de préférer une solution franco-britannique à une technologie américaine. Le problème est, qu’en l’état, Starlink n’a strictement aucun concurrent sérieux (et que le lobbying de Musk auprès des autorités américaines n’aide pas : le milliardaire tente de tuer tous les projets concurrents).
Eutelsat/Oneweb vise des professionnels et des usages gouvernementaux, pas le grand public. Ses satellites en orbite basse, sont trop peu nombreux pour offrir une couverture mondiale. Ils n’arriveraient probablement pas à supporter la charge si les passagers de 250 avions s’y connectaient simultanément. Le seul concurrent crédible de Starlink aujourd’hui est Amazon Leo, mais il ne sera pas prêt avant 2026 et, spoiler, est aussi américain. Les autres projets sérieux, comme ASTS, sont aussi américains.
| Critère | Starlink (SpaceX) | Eutelsat OneWeb | Amazon Leo |
| État actuel | Opérationnel (B2C et B2B) | Opérationnel (B2B) | Début de déploiement |
| Nombre de satellites en orbite basse | + 9000 en orbite | 650 (+ 34 géostationnaires) | 180 lancés |
| Altitude | ~550 km | ~1 200 km | ~600 km |
| Latence | 20 – 40 ms | 50 – 70 ms | Estimée < 50 ms |
| Débit Max (par avion) | 350+ Mbps | ~195 Mbps (Théorique) | 400 Mbps (Cible) |
| Cible principale | Grand Public & Pro | Entreprises & Gouvernement | Grand Public & Pro |
Si cela ne suffisait pas, un fait montre à quel point Starlink a de l’avance : comme le rappelle le journaliste Raphael Grably, même les ONG, comme les « flotilles pour Gaza » ont fait le choix de Starlink.
Faut-il se priver des dernières technologies en Europe pour boycotter Elon Musk ?
Se pose alors une question hautement philosophique : la France doit-elle, pour des raisons idéologiques, refuser les innovations technologiques venues d’États-Unis ou de Chine ? L’exemple de la conduite autonome est criant : l’Union européenne accumule les mauvais choix et risque de plonger l’Europe dans un retard irrattrapable si elle n’assouplit pas sa politique.
Face à Starlink, l’Europe envisage de lancer sa propre constellation souveraine, IRIS2, mais le projet ne cesse de prendre du retard, sur fond de rivalité entre les pays. L’Union européenne espère avoir son propre service d’ici 2030, avec 300 satellites. Mais on peut déjà tabler sur le fait que Starlink est irrattrapable : d’ici là, Elon Musk aura des dizaines de milliers de satellites dans le ciel. IRIS2 visera probablement des industriels : il ne sera pas un opérateur mondial.

Air France, en pactisant avec Starlink en septembre 2024, a-t-il fait une erreur comme le suggèrent des politiques français et européens ?
Sur Numerama, nous avons envie d’inverser la question. Air France, s’il avait choisi de rester sur du Wi-Fi géostationnaire inutilisable la grande majorité du vol, n’aurait-il pas fait une erreur en refusant le progrès ? La compagnie aérienne française fait partie des premières au monde à avoir misé sur l’orbite basse et devrait être félicitée pour ça : il est rare qu’un acteur français soit précurseur et anticipe les tendances.
Dans 10 ans, le satellite en orbite basse sera partout. Et Air France, lui, n’aura pas à se précipiter pour s’en équiper. Il existe même des rumeurs sur des discussions entre Starlink et la SNCF qui, on imagine, sauront créer la polémique le jour où les politiques français en entendront parler (dans 15 mois du coup ?)
L’épisode du 20 décembre va-t-il condamner les discussions ? Regrettable, mais possible.


Le problème des données personnelles : un argument qui mélange encore tout
Quid des données personnelles, qu’Air France mettrait « dans les mains de Musk » selon Aurélien Taché ? Rappelons au député une chose : la plupart des choses qui se passent sur Internet sont chiffrées, même si Starlink, comme tout fournisseur d’accès, peut collaborer avec les autorités en cas de demande. Autre élément oublié par le député : le réseau AirFranceWiFi se connecte au pays qu’il survole. Dans un vol Paris-Barcelone, les connexions seront parfois françaises, parfois espagnoles (un sacré casse-tête pour les diffuseurs comme Canal+ et Netflix d’ailleurs, qui doivent adapter leur catalogue en fonction du vol). Il est sans doute bien plus important de sécuriser un réseau Wi-Fi ouvert, au risque d’avoir des problèmes bien plus graves.
Le monde politique a néanmoins raison sur une chose : Elon Musk est une personnalité hautement problématique. Numerama n’a pas attendu son alliance avec Donald Trump pour le dire : le milliardaire, pourtant pris en modèle par ces mêmes représentants politiques il y a quelques années, défend des idées opposées aux valeurs européennes depuis une dizaine d’années. Le problème est que ce qu’il propose avec Starlink, à ce jour, n’a strictement aucun équivalent technologique. Et que réagir avec 15 mois de retard comme s’il s’agissait d’une information récente ne fait qu’amplifier le caractère largué du débat politique européen.
Le pire est que personne ne semble s’en rendre compte.
Enfin, le choix de Starlink n’est en rien définitif. Seul SpaceX fournit des équipements et une connectivité au niveau des exigences d’Air France aujourd’hui, mais la compagnie pourra parfaitement recycler ses nouvelles antennes à l’avenir : « Air France a sélectionné la solution offrant la meilleure couverture au niveau mondial et la meilleure qualité de connectivité. À date, il n’existe pas d’alternative proposant le même niveau de service. Si une alternative européenne de même niveau était proposée, Air France l’étudierait bien évidemment », indique un représentant de l’entreprise à Numerama.
Les abonnés Numerama+ offrent les ressources nécessaires à la production d’une information de qualité et permettent à Numerama de rester gratuit.
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l’I.A, contenus exclusifs et plus encore. Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Toute l'actu tech en un clin d'œil
Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !
Tous nos articles sont aussi sur notre profil Google : suivez-nous pour ne rien manquer !











