L’intelligence artificielle est-elle sur le point de surclasser l’intelligence humaine ? C’est le pronostic qu’a tenté Elon Musk le 13 mars 2024 sur X (ex-Twitter), en réagissant à un extrait de podcast qui évoquait la trajectoire future de l’IA. Pour l’entrepreneur américain, on peut s’attendre à un basculement de la hiérarchie humain / IA dès 2025.
« L’IA sera probablement plus intelligente que n’importe quel humain l’année prochaine », a écrit l’intéressé, qui a esquissé ensuite un panorama encore plus bouleversé. Dans quatre ans, selon lui, l’IA sera plus intelligente que l’intelligence combinée de tous les humains réunis. L’humanité a passé le cap des 8 milliards d’individus en 2022.
L’intervention d’Elon Musk a fait suite aux propos de Ray Kurzweil durant le podcast controversé de Joe Rogan, dans lequel il avait plutôt estimé que le moment où l’IA surpassera les capacités cognitives d’un humain surviendrait en 2029 — soit un calendrier plus tardif. Ray Kurzweil se considère même assez prudent sur sa prévision.
« Nous n’y sommes pas encore tout à fait, mais nous y serons, et d’ici 2029, l’intelligence de l’IA sera la même que celle de n’importe quelle personne. Je suis en fait considéré comme un conservateur. Les gens pensent que cela arrivera l’année prochaine ou l’année suivante », a-t-il déclaré, ajoutant avoir pronostiqué cette échéance dès 1999.
« Pendant 30 ans, les gens ont pensé que c’était complètement fou. En fait, Stanford a organisé une conférence où plusieurs centaines de personnes du monde entier ont été invitées à parler de ma prédiction, et les gens pensaient que cela se produirait, mais pas d’ici 2029. Ils pensaient que cela prendrait 100 ans », a-t-il ajouté.
Ray Kurzweil est une personnalité qui intervient depuis des années sur des sujets concernant l’IA ou encore le transhumanisme. Il est décrit comme un futurologue, par exemple, sur la singularité, ce moment où les progrès de la technologique seraient tels qu’il ne serait plus possible d’anticiper leurs effets dans la société.
Formé aux sciences informatiques, Ray Kurzweil a rejoint Google en 2012 pour travailler sur l’apprentissage automatique, un domaine de l’IA. On lui doit aussi de nombreux ouvrages sur ces thèmes, dont certains ont frappé les esprits. Cependant, les prévisions de l’intéressé ne se sont pas toujours révélées exactes, loin de là.
Pas d’IA plus intelligente qu’un humain en 2024
C’est justement sur ce terrain que se porte Yann LeCun, en apportant une nette contradiction à Elon Musk et, à travers lui, à Ray Kurzweil. Le chef de l’IA chez Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp et Threads) conteste absolument le pronostic du patron de Tesla et SpaceX. Il n’y aura pas d’IA au niveau humain en 2029.
Pour appuyer son argumentaire, Yann LeCun s’est appuyé sur les efforts de Tesla pour aboutir à une voiture pleinement autonome. Aujourd’hui, ce stade n’est toujours pas atteint, malgré les promesses systématiquement renouvelées d’Elon Musk, et systématiquement ratées. Cela, malgré les milliards de km d’entraînement.
Le manque de flair d’Elon Musk en matière temporelle n’est pas réservé à Tesla. Pour ce calendrier de SpaceX aussi, on ne peut pas dire que toutes les échéances données par le milliardaire ont été respectées par son entreprise spécialisée dans l’aérospatiale. Dès lors, le présage qu’il livre dans l’IA doit être considéré avec beaucoup de circonspection.
Si l’IA était sur le point d’égaler les humains, « nous aurions des systèmes capables d’apprendre à conduire une voiture en 20 heures de pratique, comme n’importe quel jeune », pointe Yann LeCun, qui détient le Prix Turing (l’équivalent du Nobel en informatique) et qui est reconnu comme l’un des pères de l’apprentissage profond (deep learning).
Or, « nous ne disposons toujours pas d’une conduite autonome totalement fiable », continue l’intéressé, « même si nous (vous) disposons de millions d’heures de données d’entraînement *étiquetées*. » Une donnée étiquetée est une donnée de qualité. Elle a été travaillée de façon à aider le système d’IA à l’interpréter et à l’utiliser pour progresser.
À un internaute qui a toutefois fait remarquer qu’un jeune n’a pas juste une expérience de 20 heures de pratique automobile, mais également « 100 000 heures d’expérience de la vie humaine et de formation visuelle pour comprendre le contexte du monde qui l’entoure », Yann LeCun a estimé que cela allait justement dans son sens.
« Vous confirmez mon point de vue. Quel est le type d’apprentissage qui a lieu au début de la vie et qui nous permet de comprendre le monde ? Quel qu’il soit, nous ne pouvons pas encore le reproduire avec des machines », a ajouté l’expert en IA — qui a récemment contribué d’ailleurs à un rapport proposant une stratégie à la France sur ce thème.
Des pronostics régulièrement contestés
Ce n’est pas la première fois que Yann LeCun intervient publiquement pour moduler les déclarations qui émergent sur l’IA. Sur les réseaux sociaux ou dans les médias, il pointe régulièrement les limites des outils techniques, qui peuvent être certes très efficaces dans un champ très étroit, mais restent très bêtes dès qu’il est élargi.
« Les grands modèles de langage [qui sont les moteurs des chatbots comme ChatGPT, NDLR] actuels sont formés sur des données textuelles qu’un être humain mettrait 20 000 ans à lire. Et pourtant, ils n’ont pas encore appris que si A est identique à B, alors B est identique à A », lançait-il en novembre 2023, par exemple.
« Les humains deviennent beaucoup plus intelligents que cela avec relativement peu de données d’entraînement. Même les corvidés, les perroquets, les chiens et les pieuvres deviennent plus intelligents que cela très, très rapidement », poursuivait-il, malgré des neurones et des « paramètres » en moins grand nombre.
Le désaccord affiché par Yann LeCun survient alors qu’Elon Musk essaie de revenir dans la course à l’IA — écarté des affaires d’OpenAI en 2018, il s’est depuis lancé dans une croisade contre la startup qu’il soutenait autrefois. Il a lancé une société, xAI, mi-2023, et un chatbot, Grok, qui se veut un rival de ChatGPT.
Mais Yann LeCun ne charge pas spécifiquement Musk. Dès qu’il s’agit d’IA, le spécialiste français apporte un point de vue souvent critique : il a nuancé les facultés de ChatGPT, balayé les rumeurs d’une super-IA d’OpenAI, atténué le succès d’AlphaGo au jeu de go, critiqué le robot Sophia et dénoncé les scénarios apocalyptiques à la Terminator.
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