Le compte TikTok GetToThePointBro, inspiré par AbrègeFrère, vise de manière disproportionnée les femmes, par rapport aux autres créateurs de contenus. Une polémique semblable à celle survenue en France, qui ne semble pas déranger celui qui en est à l’origine, lui aussi français.

« Le chien de mon voisin aboyait tellement que… » Avant même la fin de la première phrase, la vidéo est interrompue brusquement. À la place, un autre vidéaste prend la relève, et finit de raconter l’histoire, en la résumant rapidement en quelques mots : une TikTokeuse a porté plainte contre son voisin à cause de son chien. Il ne s’agit pas d’AbrègeFrère, le compte TikTok qui a fait polémique au mois de février 2024, mais d’une copie : son équivalent en anglais, baptisé GetToThePointBro (« va droit au but, frère »).

GetToThePointBro est un compte créé en début d’année 2024 par un Français s’exprimant en anglais. Fort de près de 431 000 followers à la date du 14 mars 2024, il a déjà réalisé plus de 150 vidéos en quelques mois, avec le même but qu’AbrègeFrère lui : faire gagner quelques précieuses secondes aux internautes, afin qu’ils n’aient pas à attendre avant d’avoir le fin mot de l’histoire. Si l’intention peut paraitre louable, voire drôle, cette tendance à abréger pose question sur la place qu’on laisse aux femmes dans l’espace public. La plupart des personnes dont les vidéos sont écourtées sont des femmes. GetToThePoint est accusé, comme AbrègeFrère avant lui, de sexisme.

Interrogé par Numerama, l’homme derrière le compte dit ne pas souhaiter se « forcer à choisir plus d’hommes pour faire plaisir aux gens », et enjoint les spectateurs à ne pas prendre ses vidéos « au premier degré ».

Le compte GetToThePointBro // Source : Capture d'écran Numerama
Le compte GetToThePointBro sur TikTok. // Source : Capture d’écran Numerama

Un concept original détourné

Le concept de couper court aux histoires des internautes afin de faire économiser du temps à d’autres ne vient pas d’AbrègeFrère. Avant lui, HeyItsYoon a réalisé les premières vidéos de ce genre dès 2022, avec un style légèrement différent. Le créateur américain, fort de plus de 3,8 millions d’abonnés sur TikTok, visait avant tout les contenus « clickbait », avec des titres trompeurs et des images de couverture déformant parfois la réalité pour faire davantage cliquer les internautes. En résumant ces vidéos, généralement bien moins impressionnantes que ce que le titre laissait entendre, HeyItsYoon est devenu un véritable phénomène.

AbrègeFrère s’en est largement inspiré, en allant jusqu’à reprendre le compteur de temps économisé, une des marques de fabrique de Yoon, dans ses vidéos. Toutefois, les vidéos ne sont pas identiques : au lieu de choisir de résumer des TikToks racoleurs, AbrègeFrère a surtout visé des vidéos d’influenceuses. La majorité de ses vidéos condensait ainsi des « story times », des histoires de vie racontées par des créatrices de contenu, ou bien des vidéos dans lesquelles elles montraient leurs tenues (une catégorie de vidéos aussi appelées « outfit of the day »).

AbrègeFrère a été accusé de misogynie par plusieurs Tiktokeuses, notamment Chloé Gervais, une influenceuse spécialisée dans la mode et la beauté. Elle lui reprochait d’avoir normalisé le fait de faire taire des femmes qui parlent de maquillage ou de mode. L’affaire, qui a été très médiatisée, a créé un vaste débat chez les internautes français. AbrègeFrère s’est finalement justifié, assurant ne pas « du tout être misogyne ». Le style d’AbrègeFrère a toutefois inspiré d’autres créateurs, dont GetToThePointBro.

Les vidéos de GetToThePointBro visent principalement les femmes // Source : Capture d'écran Numerama
Les vidéos de GetToThePointBro visent principalement les femmes. // Source : Capture d’écran Numerama

Les mêmes problèmes qu’AbrègeFrère

Contrairement à HeyItsYoon, GetToThePointBro choisit de résumer uniquement les story times, et vise disproportionnellement les femmes : un simple coup d’œil à ses miniatures sur TikTok permet de le constater, les femmes y sont surreprésentées. Il l’admet d’ailleurs lui-même : « Le type de contenu que j’utilise, c’est des story time et des « get ready with me », parce que ce sont les plus intéressants », indique-t-il à Numerama au téléphone, en faisant référence à des vidéos dans lesquelles des personnes se filment en train de se préparer pour la journée. Or, « ce sont des contenus créés à 90 % par des femmes, donc moi, je suis limité. »

Il assure toutefois utiliser également des vidéos de créateurs masculins, et ne pas avoir de mauvaises intentions. « C’est juste le concept, quand on abrège, on résume l’histoire, mais on ne s’attaque pas à ce que l’histoire en elle-même dit. Je n’abrège pas pour enfoncer les gens, les histoires m’intéressent aussi. » 

Cependant, comme AbrègeFrère, GetToThePointBro fait lui aussi face à quelques critiques. Le Tiktokeur américain Abraham Piper, 1,8 million d’abonnés au compteur, a notamment expliqué dans une vidéo « détester » le concept, « pas seulement à cause de son sexisme, qui est embarrassant », mais parce que « le fait d’écouter une histoire a de la valeur ». GetToThePointBro a répondu sur TikTok dans une courte vidéo, abrégeant son message.

« Il y a vraiment des gens qui détestent les femmes »

Le Tiktokeur réfute les accusations. « C’est un concept, il ne faut pas le prendre au premier degré. Je comprends que des gens puissent mal le prendre et je me suis excusé auprès de certains créateurs. J’avais même réagi en me forçant à faire plus de vidéos d’hommes », souligne-t-il. Mais le créateur de contenu estime tout de même ne pas être en faute : « Je ne fais pas ça avec une mauvaise intention, et je n’ai aucune animosité envers les femmes. Mais je n’ai pas envie de me forcer à choisir plus d’hommes pour faire plaisir aux gens. »

Reste cependant que ses vidéos peuvent avoir de vrais impacts négatifs. GetToThePointBro relate ainsi un épisode où une créatrice a été directement attaquée à la suite d’une de ses vidéos. « Je n’ai pas très bien compris son histoire, il y a eu un malentendu de ma part, et à la suite de ça, il a eu beaucoup de commentaires négatifs contre elle » de la part de sa communauté, explique-t-il. « J’ai essayé de les contrôler et de leur faire comprendre qu’on n’est pas là pour se moquer. Mais il y a vraiment des gens qui détestent les femmes. »

En réponse, GetToThePointBro indique avoir « fait une story », appelant sa communauté au calme, et faire attention à la modération des commentaires. « J’insulte personne, et je vais faire le maximum pour que tout se passe bien ». Il est cependant essentiel de rappeler que, si les influenceurs ne sont pas coupables, ils restent responsables des actions de leur communauté — qu’il s’agisse de cyberharcèlement ou de messages d’insultes.

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