Le premier objet interstellaire détecté par l’humanité fait l’objet d’une médiatisation importante. Un scientifique soutient une théorie qui fait réagir, avançant une origine extraterrestre de l’objet. Pourtant, nul besoin d’aller jusque là pour constater qu’Oumuamua est fascinant sur le plan scientifique.

Que se passe-t-il avec Oumuamua ? Ce mystérieux objet, découvert il y a un peu plus de 3 ans, revient subitement dans l’actualité. À l’origine de cette médiatisation, il y a un ouvrage : Extraterrestrial: The First Sign of Intelligent Life Beyond Earth, signé par Abraham (ou Avi) Loeb, astrophysicien à l’université de Harvard (États-Unis), et publié le 26 janvier 2021. Dans ce livre, son auteur voit en Oumuamua le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre détecté par l’humanité.

Sa théorie n’est absolument pas nouvelle : en 2018, déjà, Avi Loeb avançait cette hypothèse dans une étude prépubliée. Et en août 2020, il insistait encore pour défendre ce scénario. Cette hypothèse d’une origine artificielle d’Oumuamua fait réagir de nombreux scientifiques, qui ont commenté le buzz provoqué par la parution de l’ouvrage ces derniers jours. Pour beaucoup de chercheurs, les arguments soutenant cette hypothèse manquent de fiabilité. Justifier les caractéristiques d’Oumuamua que l’on a du mal à cerner en les attribuant à une origine extraterrestre apparaît comme un raccourci hasardeux.

Surtout qu’il n’est pas besoin d’invoquer la piste extraterrestre pour faire d’Oumuamua un objet digne d’intérêt. Quelques années après son passage dans notre voisinage, il suscite toujours des interrogations légitimes sur le plan scientifique, en raison de ses caractéristiques observées.

Le premier objet interstellaire identifié

Nous sommes le 19 octobre 2017. Le télescope Pan-STARRS repère depuis Hawaï un petit corps, qui reçoit au départ le nom de C/2017 U1 (PANSTARRS) : cette désignation provisoire, qui est donnée par l’Union astronomique internationale, classe l’objet comme une comète. Lors de la découverte, l’objet se trouve à 30 millions de kilomètres de la Terre : ceci ne laisse que quelques semaines aux astronomes pour l’observer, puisque l’objet s’apprête déjà à quitter le système solaire. L’Observatoire européen austral (ESO) mène des observations, qui dévoilent plutôt un objet davantage semblable à un astéroïde. L’objet devient A/2017 U1.

En novembre, ce corps est officiellement considéré comme un objet interstellaire, c’est-à-dire provenant de l’extérieur du système solaire. A/2017 U1 s’appelle, à partir de ce moment-là, 1I/ʻOumuamua (1I étant sa désignation et ʻOumuamua son nom). Le nom, d’origine hawaïenne, peut être traduit de diverses façons, notamment à l’aide des termes « messager » ou « éclaireur » (on peut déjà songer, avec le recul, que ce mot faisant référence à une origine lointaine a pu contribuer à la popularité des hypothèses d’une nature artificielle).

Quelle est cette force qui fait accélérer Oumuamua ?

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais en juin 2018, l’hypothèse qu’Oumuamua soit finalement bien une comète est de retour. Cette possibilité est liée à une caractéristique constatée dans les observations : Oumuamua semble accélérer comme une comète. Sa trajectoire montre que l’objet n’est pas seulement influencé par des forces gravitationnelles. L’hypothèse d’un dégazage, comme celui observé chez les comètes du système solaire, revient sur la table. Le mystère entourant Oumuamua prend de l’ampleur.

« Ce qui est assez mystérieux avec Oumuamua, c’est qu’en analysant la trajectoire et l’orbite de cet objet, on ne peut pas l’expliquer uniquement à partir des lois de la gravitation, en tenant compte du Soleil et des planètes. Pour expliquer son orbite, il faut faire intervenir une force, qu’on qualifie de non gravitationnelle », expliquait Dominique Bockelée-Morvan, astrophysicienne à l’observatoire de Paris et spécialiste des comètes, interrogée en septembre dernier par Numerama.

C’est pour cela qu’au départ, on a supposé que cette force devait ressembler à ce que l’on observait chez les comètes. Ces objets actifs émettent une partie de leur surface sous forme de gaz et sous l’effet de l’exposition au Soleil. En mesurant la force non gravitationnelle observée chez Oumuamua, on pouvait tenter de déduire la vapeur d’eau qui pourrait s’en échapper, par analogie avec les comètes. Chez les comètes, ces émissions d’eau s’accompagnent d’émission de poussières. Et chez Oumuamua ? Au moment d’essayer de détecter des gaz, ou une atmosphère poussiéreuse autour de ce corps, rien de tel n’a été trouvé.

« Aucune preuve convaincante en faveur d’une explication extraterrestre »

En l’absence de dégazage, l’hypothèse d’une nature cométaire semblait donc discutable. De nouvelles théories ont émergé pour tenter de comprendre cette accélération si curieuse. C’est ainsi que les théories plus inhabituelles portées par Abraham Loeb ont commencé à trouver un écho.

Même si l’hypothèse d’une origine extraterrestre a toujours été à considérer avec précaution, elle a été explorée par un organisme plutôt connu dans le domaine : le SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence). Fin 2018, les scientifiques du projet ont soigneusement recherché le moindre signal qui aurait pu laisser imaginer qu’Oumuamua était artificiel. Les recherches se sont révélées infructueuses. En juillet 2019, une autre équipe de recherche a indiqué dans Nature Astronomy n’avoir trouvé « aucune preuve convaincante en faveur d’une explication extraterrestre pour Oumuamua ». Ces auteurs concluaient que, pour espérer classer enfin Oumuamua, il faudrait tenter de découvrir si ses propriétés observées sont rares ou communes, par rapport à d’autres objets interstellaires. Autrement dit : il faudrait détecter davantage d’objets interstellaires.

D’autres pistes naturelles à explorer

Si l’hypothèse d’une origine artificielle semble donc assez peu probable, Oumuamua n’en perd cependant pas son intérêt. Bien au contraire : d’autres scénarios peuvent être proposés pour tenter de cerner la raison de la mystérieuse accélération de l’objet. Ainsi, l’idée qu’il s’agisse d’une sorte d’ « iceberg spatial » a été avancée, c’est-à-dire qu’il serait principalement composé d’hydrogène moléculaire sous forme glacée. L’accélération d’Oumuamua est un mystère, mais il y a probablement de nombreuses pistes naturelles à explorer avant d’oser affirmer l’extraordinaire — qu’on devrait en conclure un lien avec des extraterrestres.

À ce jour, Oumuamua est l’un des deux objets interstellaires découverts, avec la comète Borisov en 2019. Les propriétés de cette comète ont été bien moins surprenantes que celles d’Oumuamua : malgré une chimie inhabituelle, le deuxième visiteur ressemblait bien plus à une comète normale, presque banale. Par contraste, cela a peut-être rajouté encore plus à la popularité d’Oumuamua, apparemment si unique en son genre, et alimentant les théories plus ou moins plausibles sur son origine.


Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !