Peregrine aurait dû arriver sur la Lune avec une centaine de kilos d’instruments scientifiques à bord, mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Au lieu de ça, l’atterrisseur qui devait signer le retour d’un vaisseau américain sur la surface lunaire après un demi-siècle d’absence a subi un problème de propulseurs et continue de dériver dans l’espace. Il ne lui reste qu’un maigre espoir auquel se raccrocher : celui de s’écraser sur la Lune d’ici quelques semaines.
Présenté ainsi, le constat est terrible, mais comme souvent dans le spatial, la réalité est un peu plus nuancée. « Dès le début de la mission, il était acquis que le risque d’échec était de 50 %, assure Peter Wurz, astrophysicien à l’Université de Berne. C’est le prix à payer pour avoir une mission qui ne coûte pas trop cher. »
Contrats pas chers et missions risquées
En effet, c’est là tout l’intérêt du programme CLPS (« Commercial Lunar Payload Services »), le nouveau système de la Nasa au sein duquel les missions sont confiées à des prestataires extérieurs. De petites entreprises construisent des véhicules dans lesquels l’agence spatiale américaine place sa charge utile scientifique. Pour Peregrine, c’est l’entreprise Astrobotic, fondée à Pittsburgh en 2007, qui a construit l’atterrisseur. Pour être sélectionnée, la société avait déposé un dossier promettant de respecter les conditions de la Nasa en termes de fiabilité, mais aussi de coût, et en cas d’imprévu, Astrobotic allongeait des chèques supplémentaires pour combler le manque.
Peregrine était la première mission estampillée CLPS, mais d’autres vont suivre. Intuitive Machines doit lancer la sonde Nova-C, elle aussi à destination de la Lune, d’ici au mois de février. Le concept est quasiment le même que pour Peregrine, avec un atterrisseur contenant des instruments scientifiques. Astrobotic aussi a prévu d’autres missions lunaires, dont le rover VIPER censé partir fin 2024, même si la date reste très incertaine.
« Il n’y a pas de raisons qu’Astrobotic perde ses contrats, considère Peter Wurz. Cet échec va leur servir à corriger les défauts pour les prochains lancements. Toutes les autres compagnies qui sont mobilisées dans le programme CLPS vont aussi sans doute suivre ça de très près. »
Bien-sûr, il serait possible pour toutes ces missions à venir de prendre un peu plus de temps pour s’assurer des chances de réussite un peu plus élevées. Ce n’est pas le but de ces contrats faits pour être rapides et peu onéreux. Peter Wurz détaille : « Pour atteindre 80 %, voire 90 % de chance de succès, il faut davantage de tests sur chaque composant, des études, des analyses, voire même des changements complets de designs si quelque chose ne va pas. Cela demande du temps, mais aussi et surtout de l’argent. Ne serait-ce que pour payer les personnes qui travaillent sur cela. On peut doubler ou tripler le budget. »
« Le public est aussi témoin d’une partie du processus »
Le programme CLPS sert à éviter ces lourdes étapes qui ralentissent considérablement la mise au point des missions. Mais si, au final, les engins explosent en vol, où est le bénéfice ? « C’est finalement plus simple ainsi, insiste Peter Wurz. Tous ces tests ratés, ces retours en arrière… C’est quelque chose qui se faisait en laboratoire auparavant. Ici, la différence, c’est que c’est visible par tout le monde, mais le résultat est le même : on teste, on échoue, on apprend, et on recommence. »
Une méthode qui rappelle celle de SpaceX, avec ses multiples fusées partielles explosées sur la base de Boca Chica. Des tests en interne auraient peut-être pu mieux cacher tous ces échecs spectaculaires, mais ils auraient été sans doute plus longs et même plus chers à mettre en place. C’est ainsi que la Nasa voit Peregrine : un échec au grand jour qui va servir à apprendre et à progresser. « Au lieu de voir uniquement le produit fini, le public est aussi témoin d’une partie du processus. »
Il y a donc fort à parier que les prochaines missions CLPS vont bénéficier de cette première expérience malheureuse. À moins que le problème connu par Peregrine ne corresponde à une autre sonde en préparation, il n’y aura pas de retard supplémentaire.
Mais, qu’en est-il d’Artémis ? Le « vrai » programme de la Nasa qui, lui, n’est pas géré par des startups extérieures ? L’agence a annoncé récemment que les missions Artémis II, et par ricochet, Artémis III, partiraient plus tard que prévu, mais il n’y a pas de lien avec Peregrine. Ces programmes institutionnels ne suivent pas la même logique que les contrats CLPS, et comme il s’agit de faire voler des êtres humains, les tests en interne seront évidemment bien plus poussés, car il est hors de question de voir un échec.
« Le taux estimé de réussite pour les missions Apollo était de l’ordre de 80 %, raconte Peter Wurz. Aujourd’hui, ce ne serait plus acceptable, et on veut s’approcher du risque zéro pour les missions habitées. Personne ne veut revivre les drames de Challenger ou Columbia. »
Pour ce qui est des missions non habitées, certes, Peregrine signifie un échec américain. Mais, il en a été de même ces derniers mois avec des missions russe, japonaise ou israélienne. Atterrir sans encombre sur la Lune est toujours une prouesse technique, et nous n’avons pas encore atteint le point auquel ce sera une routine.
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