Du 22 au 24 septembre, le Havre accueillera l’événement scientifique Sur les épaules des géants, dont l’ambition est de démocratiser les sciences, entre conférences, spectacles, ateliers, expositions et projections. Partenaire du festival, Numerama s’est entretenu avec l’astronaute française Claudie Haigneré. Elle nous répond sur les liens entre écologie et spatial, deux sujets au cœur de l’événement, dont elle est invitée.

L’exploration spatiale connaît une phase de regain sans précédent. La Lune, en particulier, fait l’objet de toutes les attentions. On y envoie de nouvelles sondes, comme Chandrayaan-3, sans compter l’exploration habitée : le programme Artémis entend renvoyer des humains autour de la Lune puis sur la Lune, pour y travailler et y habiter. Avec, pour objectif, d’aller ensuite sur Mars.

Mais cette nouvelle phase du spatial se développe en parallèle d’enjeux écologiques de plus en plus urgents. Combattre le changement climatique et explorer l’espace sont-ils deux voies opposées ? Dans le cadre du festival Sur les épaules des Géants, au Havre (22-24 septembre), où elle sera présente, nous en avons parlé avec Claudie Haigneré, astronaute pionnière — la première Française et Européenne à avoir volé à bord de la station spatiale internationale –, très impliquée dans la transmission des connaissances sur l’odyssée spatiale.

Claudie Haigneré n'a jamais cessé son travail de transmission des savoirs. // Source : Wikimédias/Pierre-Yves Beaudouin
Claudie Haigneré n’a jamais cessé son travail de transmission des savoirs. // Source : Wikimédias/Pierre-Yves Beaudouin

Vers une exploration spatiale soutenable ? Entretien avec Claudie Haigneré

Numerama — L’exploration spatiale est-elle compatible avec l’écologie ?

Claudie Haigneré — L’un des objectifs scientifiques de l’exploration spatiale, c’est Mars. Cette planète a l’intérêt d’avoir été très semblable à la Terre, il y a des centaines de millions d’années — atmosphère, eau circulante. Puis un phénomène, que l’on n’explique pas encore complètement, en a fait ce désert aride que l’on connaît, presque dénué d’atmosphère. La compréhension de la transformation des systèmes planétaires peut nous aider à comprendre la transformation de notre propre système terrestre — les perturbations climatiques intenses.

Mais il n’y a pas que l’exploration ! L’espace, ce sont aussi des satellites utiles d’observation de la Terre. L’Europe dispose de la constellation Copernicus, dédiée à une meilleure compréhension des phénomènes climatiques. Si vous regardez les rapports du GIEC et les variables climatiques essentielles qu’on y trouve — 50 indicateurs qui permettent de suivre les évolutions du changement climatique –, il y en a 26 calculées à partir de données obtenues par les satellites.

L’observation de la Terre à distance permet de mieux comprendre, évaluer, suivre, prévenir, anticiper. Ce sera peut-être aussi le cas pour les catastrophes naturelles : il y a des projets visant à prédire des tremblements de terre ou même des transformations cycloniques. En curatif, l’espace peut également contribuer à l’amélioration des productions agricoles, par exemple.

Le milieu du spatial intègre donc l’exigence écologique en son sein ?

Quand on entend Elon Musk affirmer que notre planète se détruit et que l’humanité doit devenir une espèce multiplanétaire, cela circule beaucoup, mais ne fait pas partie des objectifs des agences ni des astronautes.

Pour le retour sur la Lune, l’idée est d’installer des infrastructures permanentes pour y séjourner et y travailler. Pour apprendre à y vivre, préparer le départ vers Mars. Mais la Lune est protégée par le traité Outer Space, donc il en va d’une exigence pour l’exploration habitée de le faire avec un souci de soutenabilité, de durabilité et même de responsabilité. C’est un terrain d’expérimentation pour apprendre à mieux se comporter — de la technologie à développer à la gestion de ressources ou des énergies. Il faut même penser en termes de coopération internationale : une bonne gouvernance, avec de la résilience et de la solidarité.

Je vois l’exploration habitée de corps célestes comme une façon de se poser la question de comment changer nos comportements, nos technologies et nos façons de faire. Cet intérêt pour la soutenabilité spatiale peut amener des inventions intéressantes. On peut trouver des solutions nouvelles à des problèmes très terrestres. Il faut regarder cette facette positive de l’innovation, au service de ces enjeux. Le spatial est au service des enjeux écologiques !

Existe-t-il des projets qui visent à métamorphoser le spatial lui-même, pour le rendre plus durable ?

Il y a toute une réflexion sur une propulsion décarbonée, au même titre que dans l’aviation. Il y a aussi la réutilisation, comme le retour des étages de propulsion chez SpaceX. Les débris spatiaux sont par ailleurs une actualité brûlante, avec l’enjeu d’un space traffic management pour nettoyer l’orbite. L’agence spatiale européenne (ESA) a un programme de récupération des débris en orbite (ClearSpace). Récemment, l’ESA a gardé un peu de carburant dans un satellite en fin de vie, afin de le désorbiter afin qu’il rentre sans provoquer de débris. Cet aspect de soutenabilité est essentiel pour continuer l’exploration et même pour la vie quotidienne de l’humanité, puisqu’on a besoin de l’espace.

D’ailleurs, quand on parle d’environnement, on pense à celui de la planète Terre, mais il faut l’étendre à l’environnement extra-atmosphérique : les corps célestes, voire le système solaire. Protéger la Lune doit faire autant partie de la protection de l’environnement que protéger notre planète.

Y a-t-il un changement de perception envers le spatial, chez les nouvelles générations ?

Quand on voit la force des images de Thomas Pesquet, ou même la vague d’enthousiasme autour de Sophie Adenot, il y a toujours une inspiration, de la motivation, l’envie de relever le regard au-delà d’un horizon qu’on trouve parfois bouché et pessimiste. Cette composante reste importante. On voit aussi une floraison de startups dans le spatial — en France, c’est considérable. On a une multitude de jeunes entrepreneurs et entrepreneuses sur ces domaines, jugés attractifs, inspirants.

On parle beaucoup de démocratisation de l’espace ces derniers temps. Le tourisme spatial, c’est une bonne ou une mauvaise voie d’avenir ?

Pour moi, cela va rester quelque chose de très niche. On ne peut pas encore parler de démocratisation de l’accès à l’espace. Et je ne me projette pas au-delà de 2050, pour l’instant. Il y a beaucoup d’obstacles techniques. Le sujet majeur avant de développer tout cela, si toutefois cela se développe, reste l’accès soutenable à l’espace avec la protection de l’environnement extra-atmosphérique. Si on n’arrive pas à gérer cela, ce n’est même pas la peine de parler d’accès habité à l’espace quel qu’il soit !

Est-ce que vous restez optimiste, émerveillée, sur le futur ?

Je suis émerveillée à chaque fois que je vois une nouvelle image du télescope spatial James Webb. La mission Euclid, qui va essayer de nous faire comprendre la matière noire et l’énergie sombre, cela me passionne. Je suis en appétit d’aller plus loin, comprendre ce qu’on ignore : le spatial est une porte ouverte vers tout cela. L’infiniment petit, en tant que médecin et biologiste, me passionne tout autant.

Le mot d’« exploration » me plaît. C’est en explorant que l’on découvre, que l’on comprend et que l’on va plus loin.

Au programme de « Sur les épaules des Géants »

Dédié à la science, le festival Sur les épaules des Géants se déroulera du 21 au 24 septembre 2023 au Havre — dans différents lieux. Au programme, des interventions de personnalités de la science, comme Valérie Masson-Delmotte et Alain Aspect, mais aussi de vulgarisateurs comme Éric Lagadec.

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