Le patron d’Orange, Stéphane Richard, s’est fait remarquer en décembre avec une sortie polémique sur la neutralité du net, en évoquant l’obligation de prévoir un Internet à plusieurs vitesses.

Finalement, rien ne change vraiment avec Stéphane Richard dès qu’il est question de neutralité du net. Année après année, celui qui mène actuellement campagne pour décrocher un troisième mandat à la tête d’Orange continue de se plaindre des effets prétendument négatifs que ce principe central des réseaux de télécommunications occasionnerait.

Un nouvel exemple de l’hostilité affichée du patron de l’opérateur historique envers ce mode d’organisation des transmissions électroniques a été constaté lundi 11 décembre, lorsque l’intéressé est passé sur le plateau de BFM Business pour évoquer le chemin parcouru par son entreprise jusqu’ici mais aussi pour exposer ses projets pour les prochaines années.

Et au détour de l’échange, Stéphane Richard a lancé une pique contre la neutralité du net.

« Dans les usages futurs d’Internet, il y a certains usages, je pense à l’Internet des objets notamment, par exemple la voiture autonome ou toute une série de technologies à distance qui vont nécessiter des Internets particuliers, en termes de latence, en termes de vitesse », a développé Stéphane Richard, alors sollicité par le journaliste Stéphane Soumier au sujet de ce qui se passe aux États-Unis.

Aussi, pour accompagner ces évolutions futures, « il faudra qu’on soit capable de proposer à l’industrie, aux services, des Internets avec des fonctionnalités, avec des puissances différentes, donc des Internets avec des qualités de service différentes. Et cela, pour pouvoir le faire, il faut qu’on nous laisse le faire », a-t-il plaidé, estimant que ce réseau à plusieurs vitesses est « une obligation ».

Stéphane Richard Orange

Stéphane Richard.

Il a poursuivi son propos en regrettant que « ce débat [soit] pollué par des considérations politiques » et que la simple évocation de la neutralité du net donne naissance à une image où « l’on voit tout de suite la main des opérateurs qui viendrait fouiller et faire un tri entre les contenus », estimant que « ce n’est pas du tout ça le sujet ». Alors que si, quand même un peu.

De la question des services gérés

Il n’est toutefois pas certain que Stéphane Richard parle ici uniquement d’Internet. En évoquant ce net à plusieurs vitesses, peut-être fait-il ici référence aux services optimisés (ou spécialisés ou gérés), qui « sont des services véhiculés par le réseau internet – mais distincts du service d’accès à internet – », comme l’expliquait en 2015 un état des lieux sur la neutralité du net produit par le régulateur des télécoms.

Celui-ci notait que ces services « nécessitent l’acheminement optimisé de leur trafic pour fonctionner correctement quel que soit l’état de charge du réseau (par ex. exigences techniques fortes d’instantanéité). L’optimisation d’ acheminement peut porter sur différentes caractéristiques de performances comme le débit, la latence, la jigue ou la perte de paquets ».

L’autorité donnait deux exemples de services optimisés relativement explicites : la TV sur IP et la téléphonie sur large bande (qui est gérée par l’opérateur). « Un certain nombre d’applications émergentes – à fort potentiel économique et social – pourraient donner lieu, dans le futur, à la fourniture de services optimisés, notamment dans le champ de la télémédecine, de l’Internet des objets, etc », ajoutait l’Arcep.

Pour ce qui est de l’Internet des objets par exemple, il faut noter qu’il est prévu certaines approches particulières. LoRa, par exemple, est une technologie de télécommunication sans fil à longue portée, déployée dans les réseaux bas débit LoRaWAN.

Neutralité du net

La neutralité du net est le principe selon lequel tout le trafic est traité de façon égale, sans discrimination, limitation ni interférence, qu’importe l’expéditeur, le destinataire, le type, le contenu, l’appareil, le service ou l’application.

Reste que la sortie de Stéphane Richard démontre une nouvelle fois qu’il ne porte pas la neutralité des réseaux dans les priorités d’entreprise. On se souvient que son groupe s’était réjoui en 2012 d’avoir emporté une victoire « contre le dogme absolu de la neutralité du net ». Nous l’avons aussi vu son astuce pour ne pas tenir compte de la neutralité du net sur mobile, avec la pratique dite du zero rating.

On a aussi entendu Stéphane Richard clamer que « la neutralité du net est l’ennemie de l’innovation des opérateurs » en 2015, ce qui fait doucement rigoler Sébastien Soriano, le président du régulateur des télécoms : « sans neutralité du net, on permet aux opérateurs de se garder une forme de monopole sur certains types d’innovation. Et on voit que ce monopole n’a pas montré son efficacité ».

« Ils avaient toutes les cartes en mains pour inventer Messenger ou WhatsApp, ils pouvaient le faire. Ils ont certes fait le SMS, qui a eu son heure de gloire, mais ça fait plus de 25 ans que ça a été normalisé », a-t-il dit à Usbek & Rica. « En termes de qualité d’innovation, ils ont été globalement moins bons sur des services qui étaient pourtant au cœur de l’expérience de leurs clients ».

S-Soriano

Sébastien Soriano, patron de l’Arcep.

« C’est ce principe d’innovation sans autorisation que vise à protéger la neutralité du net, de manière à ce que le seul arbitre des innovations ou de la pertinence des contenus soit l’utilisateur. Et non pas un intermédiaire qui a présélectionné ou donné un avantage », a-t-il ajouté. Et de conclure : « ce n’est pas parce que vous donnez accès à Internet que vous devez intervenir sur ce qu’il y a dans Internet ».

Évidemment, Orange est loin d’être le seul opérateur à partager cette opinion. Elle est même largement répandue dans l’industrie des télécommunications, principalement chez les plus gros acteurs. Il suffit pour s’en convaincre de voir qui sont les plus gros opposants à ce principe aux États-Unis. Ou qui sont les signataires d’un manifeste adressé à Bruxelles expliquant pourquoi la 5G ne peut (et ne doit) pas être neutre.

Et dans le lot, on retrouve Orange.

Quoi qu’il en soit, en proposant la mise en place d’un Internet à plusieurs vitesses, selon la nature des services proposés, Stéphane Richard souffle sur les braises jamais totalement éteintes d’un sujet hautement sensible. Mais on voit bien qu’avec une telle orientation, l’opérateur français pourrait redonner du sens à son ancien slogan publicitaire, qui affirmait qu’il y a « Internet, et Internet par Orange ».


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