L’ex-ministre Najat Vallaud-Belkacem a fait une proposition choc, qui consisterait à limiter l’utilisation d’Internet à 3 Go par semaine. Les usages dans ce domaine sont loin de ce seuil, en particulier si l’on regarde la consommation dans l’Internet fixe.

C’est peu dire que la tribune publiée le 18 mars 2024 par Najat Vallaud-Belkacem fait du bruit. Dans les colonnes du Figaro, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale ne propose rien de moins que de se libérer des écrans en rationnant Internet. Sans surprise, la proposition de celle qui est désormais présidente de l’association France terre d’asile a déclenché une très forte levée de boucliers — et de nombreuses moqueries.

Proposition phare de Najat Vallaud-Belkacem : réfléchir « concrètement aux moyens de rationner Internet, par exemple en accordant un nombre limité de gigas à utiliser quotidiennement ». Elle estime que « la rareté oblige à une certaine sagesse », et avance un seuil : 3 gigaoctets (Go) par semaine. Il n’est pas précisé sur quelles bases ce chiffre a été choisi, ni quels sont les contours de sa mise en œuvre.

Source : Mathieu Delmestre
Najat Vallaud-Belkacem, en janvier 2024. // Source : Mathieu Delmestre

Depuis lors, nombreuses sont les réactions à pointer les limites de cette idée — ou, du moins, de ce seuil.

Avec 3 Go par semaine, le télétravail marquerait un coup d’arrêt, voire refluerait. Impossible également de continuer à faire du streaming en vidéo (en tout cas, en haute définition). Les chaînes de TV qui diffusent sur le net pourraient aussi perdre leur audience en ligne. L’usage de Twitch et de YouTube chuterait. D’autres pratiques (streaming audio, voix sur IP, podcast) en pâtiraient aussi, selon le degré d’usage.

Le cloud serait par ailleurs obligé de diminuer la voilure — moins d’échanges sur Google Drive, par exemple. Plus sensible encore : la cybersécurité. Les mises à jour des systèmes d’exploitation comme Windows ou des apps se chiffrent en dizaines ou centaines de mégaoctets (Mo), et parfois en Go. Récupérer des jeux complets dématérialisés ou des mises à jour deviendrait aussi impensable.

Combien de Go consomme-t-on chaque mois en France dans le mobile et dans le fixe ?

Reste cependant une question : quelle est la consommation moyenne des Françaises et des Français en matière d’Internet ?

Si l’idée de l’ex-ministre est battue en brèche sur les réseaux sociaux, encore faut-il la lire à la lumière de l’usage effectif de la population. Ainsi, on peut déterminer l’écart actuel et évaluer si une telle piste était réellement plausible si elle était suivie (le gouvernement a fait comprendre qu’il s’y oppose), ou si elle demande des efforts tels que sa mise en œuvre est irréaliste.

Deux indicateurs existent. Dans le mobile, le régulateur des télécoms a publié le 21 décembre 2023 la consommation de données sur l’année 2022. Pour les particuliers, le volume moyen de données consommées en 2G, 3G, 4G et 5G a atteint 14 Go par mois, soit une moyenne d’environ 3,5 Go par semaine (ou environ 0,4 Go par jour). On serait donc proche du seuil proposé par Najat Vallaud-Belkacem, du moins en théorie.

Antennes 5G
En France, on consomme en moyenne 14 Go de données chaque mois via le forfait mobile. // Source : Numerama

Le problème, c’est que cette consommation est en hausse. « La croissance progresse de 6 points en un an en 2022 pour atteindre + 28 % en un an », relève l’autorité de régulation. Par ailleurs, toujours selon le gendarme des télécoms, les données mobiles consommées en France augmentent constamment. Le suivi récent du régulateur, qui couvre les années 2018 à 2022, montre une progression continue.

Des indicateurs figurent aussi dans une étude économique partagée par la Fédération Française des Télécoms. Ce lobby compte notamment SFR, Bouygues Télécom et Orange dans ses rangs, soit trois des quatre grands fournisseurs d’accès à Internet du pays. L’étude, datée de 2023, donne le même ordre de grandeur que le régulateur des télécoms dans le mobile (environ 14 Go par mobinaute et par mois en 2022).

Source : Fédération Française des Télécoms
Le trafic des données augmente année après année, dans le fixe et dans le mobile. // Source : Fédération Française des Télécoms

Du côté du fixe, la consommation est bien plus élevée : on est à 222 Go de données par foyer et par mois, pour l’année 2022. Cela représente donc 55,2 Go de données par semaine (ou 7,4 Go par jour). On est ici bien loin de l’objectif avancé par l’ancienne ministre. Il faudrait réduire d’un facteur 20 la consommation actuelle dans le fixe pour rentrer dans les clous. Or, on n’en prend pas du tout le chemin.

Selon les projections de la Fédération Française des Télécoms, qui s’appuient sur plusieurs sources (ETNO, Thomson Reuters, Sénat, Arcep, Arthur D. Little) la consommation mensuelle par mobinaute va être multipliée par six de 2022 à 2030. Elle atteindra alors 89 Go par utilisateur/mois/abonnement. En moyenne, la croissance annuelle est de 26 %. Même chose dans le fixe. Le trafic des données va passer de 222 Go par mois et par abonnement en 2022 à 1035 Go (soit 1,035 To) en 2030. C’est une multiplication par cinq, et une augmentation moyenne annuelle de 21 %.

Ces hausses ne sont en aucune façon une surprise : elles sont le reflet d’une évolution des usages et des technologies, au rythme de l’amélioration des infrastructures. On est passé du bas débit au haut puis au très haut débit, ce qui a permis de développer de nouvelles activités, comme le streaming et le gaming. Les opérateurs continuent d’ailleurs d’investir dans les réseaux, fixes comme mobiles, justement pour pouvoir suivre la demande.

(correction d’une comparaison dans l’article)

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