Mark Papermaster est Chief Technology Officer et Senior Vice President Technology and Engineering chez AMD. Il a rejoint le géant en 2011 après avoir tenu des postes à responsabilité chez Cisco et Apple.
Imaginez un instant que vous soyez transporté à la fin des années 80 ou au début des années 90 – Internet était considéré comme une transformation systémique affectant la plupart des aspects de la vie et des habitudes. Bien sûr, il y avait aussi les sceptiques, comme l’a montré cet article de Newsweek. Nous sommes peut-être en train de traverser une période similaire, à l’heure où de plus en plus de gens venus de secteurs très divers soulignent le potentiel des technologies blockchain et leur capacité à provoquer une rupture du même ordre.
Si elle permet au départ d’enregistrer des données, la technologie blockchain sert de plus en plus à réaliser des transactions complexes de type contrats intelligents dans un environnement chiffré sécurisé sans qu’il soit nécessaire de recourir à un intermédiaire ou à une institution. Elle prend la forme d’une suite séquentielle d’enregistrements, horodatée et en perpétuelle croissance, dont les différents éléments sont assemblés en blocs et maintenus par les différents participants.
Au lieu d’être détenu par une banque, le registre qui contient le solde de votre compte est géré de façon décentralisée avec la participation de chaque client. Aucune partie ne contrôle le système — il est véritablement « pair à pair » — et les données existent à plusieurs endroits. Tous les blocs sont interdépendants, ce qui rend les tentatives d’altération inutiles, voire impossibles. Chaque demande de modification sur un bloc est suivie et doit être approuvée par la majorité de la chaîne. Ce processus permet donc de créer un système de transactions plus sûr, en garantissant que la provenance de chaque modification est traçable et légitime.
Si la blockchain trouve ses racines dans le monde des cryptomonnaies, nombre d’organisations explorent actuellement ses débouchés pour transformer leurs activités, améliorer leur performance ou créer de nouveaux produits et services. En finance, elle permettrait par exemple de réduire les délais de règlement de quelques jours à quelques secondes, mais aussi de rationaliser les processus d’audit ou d’accélérer les échanges. En allant plus loin, la blockchain pourrait aussi attester la provenance hors de zones de conflits des diamants, protéger de la contrefaçon grâce à l’IoT, ou tracer de façon fiable la provenance d’un article, de la source à la livraison.
D’autres sociétés cherchent aussi à appliquer la blockchain à la gestion de la contrefaçon, de la chaîne d’approvisionnement ou aux dossiers de santé. Des entreprises comme Overstock, Paypal — et bientôt Grosbill — acceptent déjà les paiements réalisés à l’aide de cryptomonnaies.
La blockchain, accélératrice d’échanges
La blockchain, une simple base de données distribuées ?
Pour l’essentiel, la blockchain est une base de données distribuée. Au niveau de chaque bloc, les enregistrements sont vérifiés par des algorithmes qui leur assignent un hash (ou hachage) – une combinaison unique de lettres et de chiffres. C’est grâce à ce hash que l’information est chiffrée et sécurisée sur le livre de comptes partagé : si la moindre information était modifiée à l’intérieur du bloc, l’algorithme ne produirait plus le bon hash.
Les hachages font l’objet de vérifications continues et les différents blocs sont combinés pour former la blockchain. Du fait de l’interconnexion entre ces différents hachages, les informations stockées sur la blockchain ne peuvent pas être altérées à moins qu’une chaîne entière ne soit réécrite avant la saisie d’un nouveau bloc. L’effort demanderait une puissance de calcul sans précédent qu’il n’est pas possible de donner aujourd’hui, que ce soit en termes techniques ou économiques. Ce processus de vérification continue est assuré par l’ensemble des membres de la blockchain.
Imaginez qu’il existe un grand registre unique pour un type donné d’investissement. Plus besoin de passer par des courtiers ou des sociétés de placement qui doivent mettre à jour leur propre registre et se fier à la bonne réconciliation des données par des tiers sur leurs propres enregistrements, tout est fait automatiquement. Les clients profitent ainsi d’une vue transparente sur leurs transactions et reçoivent la pleine assurance qu’elles ont bien été réalisées à leur demande. Avec moins d’intermédiaires, les risques d’erreur sont atténués. Il serait ainsi possible d’éliminer les fraudes de type système de Ponzi.
Un autre champ d’application de la blockchain suscite de nombreux investissements : il s’agit des smart contracts – des protocoles automatisés dont les lignes de code contiennent directement les termes d’un contrat. Le code et les conditions d’exécution existent dans la blockchain. Du fait de la confiance inhérente à cette dernière, les transactions peuvent être exécutées en toute sécurité de façon automatique.
50 à 60 milliards de dollars d’économie par an
On peut ainsi mettre en place des transactions pair à pair entre des personnes ou des organisations qui font appel aujourd’hui aux services coûteux et complexes d’un intermédiaire. Une part importante des investissements réalisés dans le monde de la finance tourne autour des smart contracts, en raison de leur capacité à accélérer les échanges tout en réduisant les coûts et la complexité.
Le sujet intéresse par exemple le secteur des paiements transfrontaliers, au niveau duquel McKinsey estime que la blockchain pourrait permettre d’économiser des sommes impressionnantes, de l’ordre de 50 à 60 milliards de dollars par an, grâce à ces coûts réduits et ces échanges plus rapides. Les processus qui prennent aujourd’hui des jours ou des semaines pourraient être traités en quelques minutes ou secondes. De même qu’il n’était pas viable de proposer à la location un siège dans sa voiture avant l’apparition des services d’autopartage, la blockchain pourrait faire émerger des pans entièrement nouveaux de l’économie des services.
Le besoin : augmenter l’efficacité énergétique et réduire les coûts
La capacité à monter en charge est une des principales limites des implémentations actuelles de la blockchain, ce qui rend la technologie difficile à mettre en place sur des applications telles que le paiement. Prenez Visa, qui traite 1 667 transactions par seconde. Le Bitcoin a une capacité de l’ordre de 3 à 4 transactions par seconde, quand Ethereum en gère jusqu’à 15 par seconde. Surtout, les blockchains actuelles exigent des quantités colossales d’électricité.
Pour donner un peu de contexte, il est considéré que le réseau Bitcoin exige 32 térawatts heure d’électricité par an pour réaliser ses 3 à 4 transactions par seconde – soit à peu près ce que consomme un pays comme le Danemark. Monter en puissance jusqu’à pouvoir gérer un réseau de cartes de crédit n’est donc pas possible, que ce soit d’un point de vue technique ou énergétique.
L’industrie des semiconducteurs doit trouver de nouvelles façons de concevoir des processeurs
Pour concrétiser la blockchain et d’autres technologies de nouvelle génération comme l’intelligence artificielle et la réalité augmentée ou virtuelle, l’industrie des semiconducteurs doit trouver de nouvelles façons de concevoir des processeurs capables de délivrer plus de performances tout en fonctionnant de façon plus efficace. Des puces en structure 3D à la conception des circuits, les ingénieurs s’attaquent à ces défis.
Les processeurs ont déjà réalisé des progrès considérables dans ce domaine, que ce soient les CPU ou les GPU. Ces progrès passent par des innovations en termes d’architecture, une meilleure gestion de l’alimentation électrique et de nouvelles options de packaging. La standardisation des blockchains sur ces processeurs largement répandus augmente l’attrait pour les utilisateurs et permet de concentrer la recherche et le développement sur l’amélioration des performances et de l’efficacité.
Débloquer le potentiel de la blockchain
Nous n’en sommes encore qu’aux premiers jours de la blockchain, mais les perspectives sont déjà intrigantes. Expert de cette industrie, Don Tapscott y voit un véritable changement de paradigme. Il estime que la blockchain pourrait révolutionner l’économie mondiale en nivelant les règles pour tous, indépendamment du statut économique, ouvrant ainsi de nouvelles opportunités de création de valeur.
Les registres et les smart contracts qui servent la finance grâce à leur caractère immuable et distribué ne sont que le début. La blockchain pourrait par exemple autoriser le partage sécurisé de dossiers médicaux électroniques, pour gommer les différences de mise en œuvre entre des fournisseurs différents et contribuer à améliorer les soins pour tous. En tant que registre programmable et horodaté, elle saurait suivre et corréler les différents dossiers d’un patient pour présenter une vue complète et chronologique des soins à n’importe quel moment.
C’est un monde merveilleux qui nous attend si nous parvenons à résoudre les défis de performance, d’efficacité et de coûts que pose la mise en œuvre des chaînes de blocs. Par ses talents d’ingénierie et son engagement en faveur de l’efficacité énergétique, l’industrie des semiconducteurs a un rôle à jouer dans le développement de la blockchain et des autres technologies de pointe.
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