L’armée américaine vient de créer une nouvelle unité dédiée aux tech bros : le Detachment 201, alias l’Executive Innovation Corps. Son objectif ? Intégrer directement l’expertise de la Silicon Valley au cœur de ses forces, pour créer un pont entre la technologie civile et les besoins de modernisation militaire aux États-Unis. 

Aucun d’eux n’a le profil typique du soldat américain, et pourtant, ils viennent tous les 4 de devenir lieutenant-colonels. Le 13 juin, l’armée américaine a publié un communiqué de presse où elle annonce la création d’une nouvelle unité : le Detachment 201, également dénommé “Executive Innovation Corps” ou “corps exécutif d’innovation”, en français. L’U.S. Army souhaite ainsi combler ce qu’elle appelle le “fossé technologique” qui existe entre les mondes commercial et militaire. 

Parmi les premiers enrôlés, Shyam Sankar, directeur technique de Palantir – entreprise d’analyse de données fondée par le père de Paypal, Peter Thiel – Andrew Bosworth, directeur technique de Meta, Kevin Weil, chef de produit d’OpenAI et Bob McGrew, ex-directeur de la recherche chez OpenAI et désormais conseiller chez Thinking Machines Lab, une startup d’IA lancée en février — déjà valorisée à 10 milliards de dollars.

Army Chief of Staff Gen. Randy A. George administers the Oath of Office to four new U.S. Army Lt. Cols. during a Detachment 201: The Army’s Executive Innovation Corps (EIC) commissioning ceremony in Conmy Hall, Joint Base Myer-Henderson Hall, Va., June 13, 2025. The Army’s EIC is an initiative that places top tech executives into uniformed service within the Army Reserve. (U.S. Army photo by Leroy Council)
Le CTO de Palantir, Shyam Sankar, le CTO de Meta, Andrew Bosworth, le Chief Product Officer d’OpenAI Kevin Weil et le conseiller chez Thinking Machines Lab Bob McGrew prêtent serment lors de la cérémonie de mise en service du Detachment 201, depuis la base interarmées Myer-Henderson Hall, en Virginie, le 13 juin 2025 // Source : Wikimedia Commons

Des experts civils pour repenser la stratégie militaire

Ce qui nous manque au Département de la Défense américain (DoD), c’est la culture de l’innovation. Dans ce ministère, beaucoup croient que si vous êtes efficaces, vous êtes innovants. Néanmoins, rendre une bureaucratie efficace, surtout au sein du gouvernement, ce n’est pas être innovant” explique à Numerama la tête pensante de cette unité, Brynt Parmeter.

Il a passé 25 ans à servir les États-Unis comme officier d’infanterie puis colonel, avant une halte dans la Silicon Valley. Entré au Pentagone en 2023, il planche l’année suivante sur le projet de l’Executive Innovation Corps. Frustré par l’immobilisme de la bureaucratie, il souhaite créer “une voie d’entrée plus fluide” dans l’armée pour les cadres afin de l’aider à innover. 

Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, y voit lui l’occasion de “raccourcir la boucle”. “La difficulté, c’est de saisir l’innovation au fur et à mesure qu’elle se produit. Avec la création de ce détachement, l’armée fusionne avec l’innovation qui se fait en dehors de ses rangs, dans la Silicon Valley” estime auprès de notre rédaction le spécialiste de la politique spatiale américaine.

Pourquoi intégrer des responsables de grandes entreprises de la tech dans l’unité ? “Si nous avions choisi quatre autres personnes sans notoriété, la pérennité du projet n’aurait pas été assurée” affirme Brynt Parmeter, qui a quitté le DoD il y a quelques jours.

The_Pentagon_January_2008
Le Pentagone, siège du Département de la Défense des États-Unis, en janvier 2008 // Source : Wikimedia Commons

Au vu de la liste des premiers conscrits dévoilée par l’U.S. Army, Sophia Goodfriend, anthropologue qui étudie les impacts de l’intelligence artificielle sur les conflits militaires au Moyen-Orient pointe “un effort visant à intégrer l’IA dans presque tous les aspects du programme militaire, des unités de combat aux services de renseignement en passant par l’armée de l’air. Depuis des années, les responsables militaires tentent de collaborer plus étroitement avec la Silicon Valley, et intégrer des responsables de l’IA dans les rangs de l’armée américaine constitue l’aboutissement de cette relation de longue date, qui s’institutionnalise” appuie la chercheuse qui a répondu aux questions de Numerama.

Des conflits d’intérêt sous uniforme ?

C’est un changement de cap clair pour la Silicon Valley, qui était rétive à travailler sur les technologies militaires il y a encore quelques années. En 2018, Google s’était notamment retiré du projet “Maven” du Pentagone – qui utilisait l’IA et l’apprentissage automatique pour le ciblage militaire – après que des milliers d’employés de la firme aient signé une lettre exigeant l’abandon par l’entreprise du projet. “Les partenariats avec des gouvernements de droite étaient autrefois perçus comme un handicap pour les entreprises. Aujourd’hui, c’est un véritable argument de vente pour ces mêmes entreprises” argue Sophia Goodfriend.

Elke Schwarz, professeur de théorie politique à l’Université Queen Mary de Londres, pointe de son côté les risques de conflits d’intérêt, “Palantir ayant déjà de nombreux contrats avec le Département de la Défense, tout comme Meta. OpenAI vient également de donner son feu vert à la collaboration avec l’armée sur des projets militaires”. “Il faut rester réaliste : ces directeurs techniques exerceront une certaine influence si on leur accorde une expertise, et cette expertise leur permettra de dire qu’ils ont un excellent produit à vendre pour solutionner les problèmes de l’armée” insiste l’enseignante.

30b_Sammlung_Eybl_USA_James_Montgomery_Flagg_(1877-1960)_I_want_you_for_U.S._Army._1917._101_x_76_cm._(Coll..Nr._3116)
Affiche de recrutement de l’armée américaine parue en 1916 pour la Première Guerre mondiale, réalisée par James Montgomery Flagg. On y lit la phrase : « Je te veux pour l’armée américaine » prononcée par le personnage familier de « l’Oncle Sam » // Source : Wikimedia Commons

Une mission de réserve stratégique

Les cadres d’OpenAI, Meta, Palantir et Thinking Machines Lab monteront-ils au front ? Les nouvelles recrues du Detachment 201 serviront “à temps partiel au sein de la réserve de l’armée de terre en tant que conseillers principaux” selon le communiqué de l’armée, qui précise : “ils travailleront sur des projets ciblés pour contribuer à la mise en œuvre de solutions technologiques rapides et évolutives à des problèmes complexes”. 

Chaque jour se présentent des occasions pour développer des technologies pour protéger les populations, prendre des mesures vitales, améliorer la communication et la connaissance de la situation sur le champ de bataille” spécifie Brynt Parmeter, qui confie avoir été contacté par plus d’un millier de volontaires au sujet du Detachment 201 lorsqu’il était encore en poste. Un premier bilan sera fait dans 6 mois promet-il.

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+
Toute l'actu tech en un clien d'oeil

Toute l'actu tech en un clin d'œil

Ajoutez Numerama à votre écran d'accueil et restez connectés au futur !


Marre des réseaux sociaux ? Rejoignez la communauté Numerama sur WhatsApp !