« Un certain nombre de grandes entreprises ont d’ores et déjà identifié le problème : de nombreux salariés subissent durant des semaines sinon des mois les conséquences physiques et mentales d’une infection au Covid-19. Ils sont très fatigués et ne peuvent évidemment pas travailler comme avant », alerte l’économiste Nicolas Bouzou auprès de Numerama.
Directeur du cabinet de conseil Asterès, il a d’ores et déjà été confronté de manière empirique à l’impact potentiel du covid long dans le monde professionnel. Si c’est une préoccupation croissante chez les chefs d’entreprises et les responsables RH, le sujet semble rester une sorte d’impensé pour le gouvernement français et les autorités sanitaires.
Qu’est-ce que le covid long ?
Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), la persistance de symptômes du covid plusieurs semaines ou mois après les premières manifestations est décrite chez plus de 20 % des patients après 5 semaines et plus ; et chez plus de 10 % des patients après 3 mois. Il s’agit souvent de patients jeunes et actifs, en bonne santé et sans aucune comorbidité.
Le Dr Michaël Rochoy, médecin généraliste, explique à Numerama : « En France, on parle de covid long — ou de ‘symptômes prolongés suite à un Covid-19’ pour reprendre la terminologie de la HAS, dès lors que des symptômes persistent au delà de 3 mois après une infection au Covid-19 confirmée. Ces symptômes doivent être apparus au moment de l’infection et non à distance de celle-ci. » Il existe à ce jour près d’une centaine de symptômes répertoriés.
Le Dr. Rochoy poursuit : « Il peut s’agir de symptômes très invalidants au quotidien : asthénie (fatigue qui persiste au repos), essoufflement, douleurs thoraciques, brouillard cognitif… qui se distinguent des symptômes d’une phase aiguë ainsi que d’un éventuel syndrome anxio-dépressif. »
Des vies professionnelles entre parenthèses
Très fréquemment, les personnes atteintes de covid long se trouvent contraintes de mettre leur vie entre parenthèses, et notamment leur vie professionnelle. « Tous ces symptômes sont évidemment autant de facteurs d’absence au travail », nous signale le médecin généraliste. De fait, une étude publiée en février 2021 a montré que parmi les malades qui consultent en centre de prise en charge dédié, 30 à 50 % se retrouvent au moins transitoirement en arrêt de travail ou en temps partiel thérapeutique.
Mais il est souvent difficile pour les malades d’être pleinement reconnus : leurs symptômes, et notamment la fatigue, sont difficilement évaluables de manière objective. En outre, le covid long en tant que tel n’est pas encore considéré comme une affection longue durée.
De fait, il y a parmi les malades beaucoup de personnes qui enchaînent les courts arrêts maladies. D’autres vont au travail sans être pleinement en possession de leurs moyens. Et il y a ceux qui sont tout simplement contraints de quitter leur emploi ou de réduire drastiquement leur temps de travail parce qu’ils ne sont pas en mesure d’assurer leurs missions.
« La plupart des malades du covid long sont dans une zone grise, pas assez mal pour ne pas travailler du tout et pas assez bien pour travailler au même rythme qu’avant », nous explique Nicolas Bouzou en comparant leur situation à celle des malades du cancer sous radiothérapies ou aux personnes atteintes de maladies chroniques et affectées par des fluctuations de leur état.
Le coût du covid long
Si nous ne pouvons mettre de côté le drame humain traversé par les malades, on peut — sans évidemment leur imputer une quelconque responsabilité — penser les coûts économiques relatifs au covid long.
Du côté de l’Assurance maladie, ces coûts relèvent essentiellement des indemnités journalières en cas d’arrêt maladie. En effet, si elle existe, la prise en charge médicale des malades est relativement peut onéreuse : consultations médicales, examens pour écarter d’autres pathologies et éventuellement séances de kiné. « C’est une goutte d’eau en comparaison des dépenses de santé liées aux tests ainsi qu’aux soins des patients en réanimation », détaille Michaël Rochoy.
De son coté, Nicolas Bouzou pointe deux autres postes de coût :
- Les coûts pour les entreprises, liés aux absences et à la moindre productivité des salariés ;
- Les coûts pour les personnes. « En effet, les indemnités journalières ne sont jamais du même montant que le salaire », développe l’économiste. « En outre, certaines personnes devront adapter leur vie professionnelle à leur maladie ce qui a des conséquences sur leurs revenus. Enfin, les personnes au chômage touchées par le covid long auront très certainement des difficultés à trouver un emploi. »
Repenser la flexibilité des arrêts maladies
Pour Nicolas Bouzou, la situation des malades du covid long invite, plus généralement, à penser la flexibilité des arrêts maladies afin de réduire les pertes financières pour les malades et pour les entreprises. « On pourrait permettre aux malades, durant un temps donné, de s’absenter quand ils ne sont pas en état de travail et sans qu’ils aient à consulter leur médecin. C’est un peu le régime des pilotes de ligne et cela marche très bien, sans abus. »
« Toutefois, les entreprises sont-elles prêtes à adopter un système d’arrêt maladie basé sur la confiance ? », questionne l’économiste. À l’heure où des milliers de personnes actives risquent de trainer durablement une fatigue et des troubles cognitifs, c’est une question que le gouvernement et les décideurs devront se poser.
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