(Reportage) Particulièrement vulnérables face au covid, les personnes immunodéprimées doivent faire une croix sur leur vie sociale à l’heure où les mesures sanitaires sont progressivement levées. Elles se confient à Numerama.

« Je n’ai simplement aucune chance de survivre si j’attrape le covid. Alors, depuis deux ans, j’ai tiré un trait sur ma vie sociale, je ne sors quasiment pas, je ne vois presque plus personne et je pense avoir perdu 50 % de mes amis… » Comme Marc, qui souffre d’une maladie auto-immune d’origine génétique, la vie sociale des personnes immunodéprimées s’est réduite en peau de chagrin depuis deux ans.

Des personnes à très haut risque

Parce qu’elles sont greffées, dialysées, transplantées, atteintes de certains cancers ou qu’elles prennent des traitements qui affaiblissement leur système immunitaire, les personnes immunodéprimées sont, depuis le début de la crise du Covid-19, considérées comme « à très haut risque ».

En effet, leur système immunitaire n’est pas en mesure de faire face à des agents pathogènes. En cas de contamination, le taux de mortalité est extrêmement élevé pour elles, de l’ordre de 15 à 20 %.

En outre, la protection conférée par les vaccins est faible et peu durable ce qui fait que même avec 4 doses ou davantage, le risque de développer une forme grave en cas de contamination est toujours là. Et ceci reste vrai avec Omicron, moins virulent en population générale.

Aujourd’hui, si les mesures sanitaires s’allègent malgré une circulation virale encore soutenue, les personnes immunodéprimées restent encore sur la touche. « Si je ne fais pas attention à moi, peu de gens le feront. Et à l’évidence, nous sommes dans un pays qui ne prend pas soin des plus fragiles » constate amèrement Marc.
Alors chacun et chacune s’organise.

« C’est bien simple, on ne voit presque personne »

« Mon conjoint est confiné depuis mars 2020 », raconte Anaïs, dont le compagnon est transplanté cardiaque. « On le maintient dans une bulle. Pas de sorties, pas de cinés, pas de vacances, pas de Noël en famille. Il reste à la maison en permanence. » Afin de maintenir un semblant de vie sociale, le couple reçoit de temps en temps un des deux couples d’amis qu’il s’autorise à voir « parce que ceux-ci acceptent de faire très attention, de se tester avant de venir et de porter des masques. »

Certains ne mettent le nez dehors que pour des traitements en ambulatoire: « Je ne sors que deux fois par semaine pour me rendre en dialyse », témoigne Delphine, greffée du rein. Mais question soins, la téléconsultation reste souvent de mise pour éviter les salles d’attente bondées.

D’autres essaient d’aménager un peu leur très rares sorties amicales: « C’est bien simple, on ne voit presque personne. » explique Anne, 49 ans et mère célibataire d’un garçon de 10 ans. Atteinte de polyarthrite rhumatoïde, elle est sous anticorps monoclonaux anti-CD20, un traitement immunosuppresseur. « Les rares fois où nous avons profité d’une petite baisse de l’incidence pour manger chez des amis, nous avons pris notre repas dans une pièce à part. »

Lorsque l’on est immunodéprimé et que l’on vit seul, le quotidien est placé sous le signe de la dépendance. Lucie, 28 ans, souffre de sclérose en plaques. Son traitement (rituximab) provoque une immunodépression qui la force à une extrême vigilance: « Je me fais absolument tout livrer pour éviter le monde dans les magasins. Pour les petites courses de tous les jours comme aller à la Poste, je demande à ma mère de me rendre service. C’est aussi elle qui me coupe les cheveux depuis mars 2020! » raconte-t-elle.

Des gens font la queue // Source : pxhere
Il serait impossible de faire la queue au milieu de tant de monde. // Source : pxhere

Télétravail obligatoire

Pour ceux et celles qui occupent un emploi salarié, le télétravail est souvent la seule option pour continuer. Anne est institutrice: « J’ai pu obtenir des aménagements et trouver un emploi dans un organisme de formation à distance qui me permet de travailler depuis chez moi. »

Marc, psychologue, effectue ses consultations en visio depuis le premier confinement: « Même si certains de mes patients ont mis leur suivi en pause, j’arrive à maintenir un niveau de travail suffisant — je travaille presque même davantage car les besoins dans mon domaine sont immense. » explique t-il. Mais, puisque désormais le présentiel est redevenu majoritaire, Marc rencontre des difficultés pour assister à des formations ou à des réunions qui ont enterré la visioconférence un peu trop vite.

Jamais sans mon FFP2

Bien sûr, certains se risquent à sortir, soit par obligation, soit parce que vivre deux ans sous cloche est simplement intenable. « J’essaie de sortir un peu, au moins une fois par jour » explique Marc. « Enfin, disons que j’essaie de prendre un peu l’air, car j’évite tous les lieux où il y a du monde comme les marchés ou les rues bondées. Et, je garde toujours mon FFP2 dehors. »

Précieux, FFP2. « C’est mon sésame ! » raconte Anne. « Grâce à lui, je peux faire les courses et je m’autorise de temps en temps une séance de cinéma — le matin afin que la salle soit presque vide. »

Le sésame a un coût plus élevé que les masques chirurgicaux, même si, depuis le 2 février, les masques FFP2 sont remboursées pour les personnes immunodéprimées sur ordonnance et sous certaines conditions : être à risque de formes graves du Covid-19 et être en échec de vaccination pour des raisons médicales. Il faut également « être en capacité de supporter chaque jour le masque pendant plusieurs heures. »

La culpabilité des parents immunodéprimés

Évidemment, ceux et celles qui vivent sous le même toit que la personne immunodéprimée doivent faire preuve d’une vigilance extrême pour éviter tout risque de contamination. « Ma femme multiplie les autotests. Elle s’isole au moindre doute et fait rapidement un test PCR. » explique Marc. « Je ne sors jamais sans FFP2, j’ai toujours ma bouteille de gel hydroalcoolique sous la main et au moindre symptôme, je m’isole et je me fais tester », raconte Anaïs qui a adopté de nouvelles habitudes pour protéger son conjoint.

Les enfants sont également mis à contribution. Et — c’est le point le plus saillant dans les échanges que nous avons eus — cela s’accompagne d’un très fort sentiment de culpabilité de la part des parents. « Mon fils ne peut pas avoir une vie sociale adaptée à un enfant de 10 ans. Depuis 2 ans, il ne va pas à la cantine, ne participe à aucune activité extrascolaire et se voit privé de fêtes d’anniversaires ou de pyjama-parties chez ses copains. » déplore Anne. Et d’ajouter : « Il vit dans la peur de me contaminer. C’est un poids extrêmement lourd pour un garçon si jeune et je m’en veux de lui imposer cela. »

Même son de cloche chez Anaïs: « Notre seule incartade en deux ans a été de laisser notre fils de 14 ans partir en colonie de vacances. Il est revenu avec le covid et il a dû rester confiné tout seul pendant une semaine dans une chambre à part. C’est hyper angoissant pour nous tous et nous culpabilisons de devoir lui imposer des règles strictes dont le respect provoque parfois certaines frictions à la maison. »

Souvent résignées de se sentir à l’écart d’une société qui les a oubliées, les personnes immunodéprimées n’attendent plus grand chose des pouvoirs publics et s’apprêtent à passer encore un moment à l’écart toute vie sociale. « Je ne suis pas étonné » conclut Marc. « Nous savons bien l’indifférence qu’inspire la situation des personnes en situation de handicap en France à ceux qui ne se sentent pas concernés. »

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