Une coquille de glace et un océan en dessous. Voici une manière simple de décrire ce à quoi ressemble Encelade. Ce satellite naturel de Saturne d’à peine 500 kilomètres de diamètre fascine les astronomes depuis des années, car c’est un des astres du Système solaire ou la présence d’un océan d’eau liquide paraît la plus évidente. De nombreuses observations font état d’une mer qui s’étendrait sous toute la surface, une fois passées les quelques dizaines de kilomètres de glace en tout cas.
Mais à quoi ressemble vraiment cet océan ? La plupart des études estiment qu’il est homogène, mais un nouveau papier publié dans Nature Geoscience le 25 mars 2021 brosse plutôt le tableau d’un sous-sol beaucoup plus perturbé, présentant finalement quelques points communs avec les océans de la Terre. Parmi ces points communs : des courants sous-marins. «Il y a très certainement une circulation de l’océan, entre les pôles et l’équateur », précise la principale autrice Ana Lobo. La chercheuse du Caltech en Californie s’est intéressée aux importantes variations de l’épaisseur de la glace mesurées par Cassini.
La sonde qui a survolé Saturne et ses différents satellites entre 2004 et 2017 a récolté de précieuses données sur Encelade, et a notamment montré que l’océan souterrain n’était qu’à 5 kilomètres sous la surface au niveau des pôles. Une proximité qui explique entre autres la présence de geysers et d’importantes failles sur le pôle Sud surnommées les « rayures de tigre ». En revanche, il y a bien une épaisseur beaucoup plus importante autour de l’équateur, de l’ordre de 20 ou 30 kilomètres. Et selon Ana Lobo, la meilleure manière d’expliquer cette différence, c’est d’imaginer des courants sous-marins.
Le sel, l’ingrédient miracle
Pourtant, a priori, rien n’indique que l’océan d’Encelade subisse les mêmes courants que ceux observés sur Terre. S’ils existent sur notre planète, c’est justement à cause des vents qui balaient la surface. Or, il n’a évidemment rien de tel sous la couche de glace d’Encelade. La dynamique de l’océan n’est pas non plus la même, puisque les étendues d’eau terrestres sont chauffées par le Soleil sur le dessus et sont plus froides au fond. Sur le satellite saturnien, c’est l’inverse avec le froid de la couche de glace en hauteur, et la chaleur qui vient du noyau au fond.
Malgré tout, les deux astres possèdent un point commun : le sel. Dans les deux cas, les océans sont bien salés, ce qui change tout. L’étude consiste ainsi en la simulation d’un océan « idéalisé », pour déterminer quels sont les paramètres susceptibles de bouleverser son comportement. D’après ce modèle, des courants se créent lorsqu’il y a des différences de densité dans l’océan, et cette différence est liée à la présence de sel. Ainsi, il y aurait une eau beaucoup plus dense, riche en sel, au niveau de l’équateur.
Le phénomène est connu et a même déjà été observé sur Terre. Lorsque l’eau de mer gèle, elle relâche son sel qui se retrouve plus profond sous la surface. Cette eau plus dense navigue au fond et crée un courant de profondeur. Ce type de circulation est étudié notamment dans l’océan austral où l’eau est très froide et très salée. Il s’agit d’un mécanisme tout particulièrement intéressant, puisqu’avec le sel, il y a aussi toute une cargaison de nutriments qui enrichit l’eau et qui est brassée par les courants, ce qui permet tout simplement le maintien de la vie au fond des océans.
« C’est le cas sur Terre, résume Ana Lobo. Mais cela peut nous aider à comprendre comment se répand la chaleur dans un océan souterrain, et donc quelles sont les zones les plus propices à abriter la vie. »
Une possibilité déjà envisagée dans de précédents travaux. Ainsi, une étude de 2017 signée Steven Vance notait déjà que le sel était une composante essentielle pour savoir si un monde océanique souterrain était potentiellement habitable ou non. Ils concluaient sur le fait que le sel facilite la circulation de l’eau, et donc non seulement le brassage de la chaleur et des nutriments, mais aussi l’interaction entre l’eau et la roche, représentée sur Encelade par le noyau, ce qui est essentiel au développement d’organismes.
Compléter le puzzle
Malheureusement, il faut se contenter pour l’instant de suppositions. Les observations de Cassini n’ont permis que de contraindre l’épaisseur de la glace, de quasiment confirmer l’existence d’un océan d’eau liquide, et d’observer les geysers autour des rayures de tigre. La sonde est aussi passée dans les panaches pour récolter des traces de molécules organiques complexes. Tout ceci est déjà exceptionnel, surtout pour un instrument conçu avec la technologie des années 1990. Mais la sonde ne peut pas non plus faire de miracle et il faut espérer d’autres missions pour mieux connaître les mécanismes à l’œuvre sous la glace.
Des missions qui sont d’ores et déjà prévues, pas forcément sur Encelade, mais sur d’autres mondes disposant d’un océan liquide sous leur surface. L’étude de Steven Vance établissait que les phénomènes à l’œuvre sur Encelade pouvaient tout aussi bien se retrouver sur Europe, Callisto ou Titan. Les deux premiers sont des satellites de Jupiter et seront scrutés prochainement par JUICE, une mission européenne prévue pour 2022 qui doit survoler les différentes lunes et déterminer leur structure interne ainsi que leur habitabilité.
La sonde s’intéressera notamment à l’épaisseur des océans et aux éventuels phénomènes électriques sous la surface. La mission s’annonce ambitieuse, mais celle vers Titan est beaucoup plus originale : Dragonfly prévoit le déploiement d’un petit hélicoptère destiné à survoler la surface. Dans l’étude, Ana Lobo précise que « Dragonfly emportera toute une instrumentation géophysique pour pourrait apporter des données importantes sur les propriétés des océans. »
Beaucoup d’espoirs reposent sur ces mondes-océans, qui seraient finalement peut-être tout aussi susceptibles d’accueillir une forme de vie extraterrestre que d’autres planètes plus semblables à la Terre, comme Mars.
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