Les lunes de Jupiter sont plus chaudes qu’elles ne le devraient. Et si Jupiter elle-même a longtemps été désignée comme la coupable de cette anomalie, il pourrait en réalité s’agir également du résultat d’une interaction entre les lunes.

S’il y a bien une chose qu’on ne s’attend pas à trouver en s’éloignant du Soleil, c’est la chaleur. Et pourtant, les lunes de Jupiter contiendraient bien un océan liquide. Ce serait le cas notamment d’Europe, Ganymède et Callisto. Io, elle, aurait même un océan de magma. Une source de chaleur qui pourrait être entretenue par les lunes elles-mêmes, selon une étude parue dans les Geophysicals Research Letters le 19 juillet dernier, ce qui n’avait jusque-là jamais été envisagé.

La théorie principale pour expliquer cette anomalie reposait sur les effets de marée. La planète massive Jupiter exerce sur ses lunes une attraction gravitationnelle qui les étire et les déforme. Le même phénomène se produit entre la Terre et la Lune, mais à moindre échelle.

Le résultat: les roches souterraines des lunes en question bougent, ce qui crée de la chaleur allant jusqu’à influencer leurs structures internes. Le phénomène était déjà bien connu, mais si la friction de marée entre la Lune et la Terre produit des turbulences sur nos océans, il n’en est pas de même dans les conditions du système jovien. Cela ne fonctionnerait que si les océans « souterrains » étaient de fines pellicules liquides de moins d’un kilomètre d’épaisseur. Ce qui semble extrêmement improbable puisque pour Europe par exemple, les mesures de la sonde Galileo suggèrent un océan profond d’au moins 80 kilomètres, et jusqu’à 170 kilomètres. Dans ces conditions, un autre phénomène doit être étudié : la résonance qui s’exerce entre les lunes.

« Les forces de marées exercées par les lunes ont longtemps été ignorées, précise à Numerama l’auteur principal de l’étude Hamish Hay, de l’Université d’Arizona. Nous pensions qu’elles étaient mineures et peu importantes. Or, ce sont les seules qui peuvent créer ce type de résonance sur des océans profonds. »

Marée, résonance et balançoire

Ce phénomène était théoriquement connu, mais a longtemps été laissé de côté, car jugé négligeable étant donné la masse ridiculement petite des satellites comparée à l’immense Jupiter. La plus grosse de ces lunes, Ganymède, reste 10 000 fois plus légère que sa planète-hôte. Ce qui a intrigué les chercheurs, c’est l’orbite des lunes, qui ne permet pas une si grande influence de Jupiter. « C’est un peu comme une balançoire, explique Antony Trinh, également chercheur à l’Université d’Arizona et qui a co-écrit l’étude. Il faut la laisser aller à certains moments pour lui permettre de trouver son rythme. Or, la distance entre Jupiter et les satellites varie peu, et Jupiter ne lâche jamais son emprise. Ce qui n’est pas le cas pour les distances des lunes entre elles. » Cela signifie que lorsque les lunes deviennent soudain bien plus proches les unes des autres, il s’exerce une impulsion. Et lorsque les impulsions sont bien synchronisées, l’effet de résonance prend le pas sur la simple force de marée exercée par la planète.

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Animations communiquées par les auteurs de l’étude.

C’est cela qui explique pourquoi une planète aussi massive que Jupiter n’arrive pas à générer seule ce type de résonance qui facilite le maintien d’océan liquide sous la surface. Car les océans semblent bien être là, même s’ils n’ont jamais été directement observés. Les différentes analyses sur la conductivité électrique de ces astres montrent bien une présence de liquide sous la surface.

Les auteurs ont donc changé leur méthode de calcul en prenant en compte le mouvement des lunes autour de Jupiter et aussi la manière dont elles se rapprochaient parfois, et ils ont découvert que la force de marée exercée par les lunes entre elles pouvait dans certaines conditions contribuer beaucoup plus à leur réchauffement que Jupiter elle-même. Et sans le bon équilibre entre le froid nécessaire à l’apparition d’une épaisse couche de glace à la surface, et la chaleur qui maintient un océan liquide en dessous, Ganymède, Callisto et Europe ne seraient plus que des boules glacées.

Les mystères du système jovien

Dans ces conditions, il est difficile de différencier exactement les apports de Jupiter et celui des lunes. D’autant plus que le schéma n’est pas complètement figé puisque ces jeux de marées entre les lunes déséquilibrent les orbites sur le long terme, ce qui bouleverse encore les dynamiques en œuvre. « Nous pensons que dans la plupart des cas, c’est Jupiter qui domine, soutient Hamish Hay, mais lorsque les lunes s’éloignent de la planète, ce sont les autres lunes qui prennent le relais et qui créent suffisamment de chaleur pour maintenir l’océan souterrain. » Les chercheurs appellent à mener d’autres études sur le sujet pour en savoir plus.

En attendant, ces travaux pourront aider à en savoir un peu plus sur ce système jovien encore bien mystérieux. Le nombre de lunes lui-même est sujet à caution, au-delà des 79 satellites officiels, certains scientifiques pensent qu’il y en a pas moins de 600 ! Et tout l’enjeu est de savoir comment ce système s’est formé, comment il a évolué. « Notre travail peut être utilisé pour savoir comment les orbites des lunes ont changé avec le temps, assure Hamish Hay, mais aussi à quel point les océans sont profonds à chaque fois puisque la déformation des lunes dépend de ce paramètre. Pour cela, il faudrait savoir précisément comment les lunes se déforment sous l’influence de leurs voisines, ce qui doit être possible. »

« Avec tout cela, nous pourrons remonter dans le temps, ajoute Antony Trinh, et ainsi savoir à quoi ressemblait ce système jovien dans le passé. »

Les auteurs extrapolent enfin sur les conséquences à propos des connaissances sur les autres systèmes. Si ce phénomène de résonance influe sur le climat sur les lunes et les planètes, il peut-être utilisé pour mieux évaluer l’habitabilité des exoplanètes. C’est notamment le cas sur le système TRAPPIST-1 où les planètes, et probablement leurs satellites naturels, sont proches les unes des autres. L’effet de marée des lunes peut là-bas être important même s’il reste encore beaucoup à faire pour en savoir plus sur des mondes si lointains.


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